Peut-on nourrir la population et les territoires de manière juste ? Éduquer à la justice alimentaire. publié le 11/10/2017  - mis à jour le 12/10/2017

Retour sur le Festival International de Géographie de St Dié des Vosges 2017

Faut-il avoir peur de manquer de nourriture ?

Sur terre 815 millions de personnes souffrent de sous alimentation dans le monde en 2016 et ce chiffre augmente. Il existe toujours un faisceau de cause qui explique les problèmes d’alimentation. Il existe donc toujours un défi de la faim et de la malnutrition. Les objectifs du millénaire étaient très ambitieux mais ont été revus à la baisse. Pourtant la production augmente (multiplication par trois de la production de céréales depuis les années 60). L’agriculture reste la première activité dans le monde et ce sont les petits paysans des agricultures familiales qui produisent 80% de l’alimentation. Existerait-il un faux sentiment de sécurité sur les questions alimentaires ? L’équation alimentaire à résoudre reste : nourrir de plus en plus d’urbains, avec de moins en moins de paysans. Ce retour de la question alimentaire est appréhendé très différemment en fonction des espaces mais tout cela traduit des rapports inégaux et de pouvoir. Ce questionnement est au cœur de l’éducation au développement durable qui, comme le montre la déclaration de Buenos Aires de 2017, incite les territoires à s’emparer de ces enjeux éducatifs.
La question essentielle est bien celle de la répartition et de la concentration des produits alimentaires dans certains pays. La question alimentaire doit permettre de construire des sociétés plus justes et plus inclusives.

L’alimentation, une problématique transversale Nord/Sud, un langage commun de l’Humanité.

Tout le monde est concerné par la question alimentaire, quelque soit son lieu de vie. Ces dernières années, elle a fait l’objet d’un changement de paradigme :
 Les crises alimentaires, en particulier les scandales ont permis de faire évoluer notre regard (concombres contaminés, viande de cheval). Ces scandales modifient le rapport des consommateurs à la nourriture et remettent en cause le système agricole tel qu’il a été pensé depuis les années 60. Pourtant ce système a été crucial pour alimenter les populations. Se pose donc la question de la diversité des modèles de production : cela se joue à l’échelle des produits, des exploitations, des terroirs.
 Les évolutions de l’environnement, à l’heure du changement climatique nous obligent à penser les systémiques.
 L’alimentation et l’agriculture sont devenus des sujets centraux dans les espaces, à la télé..
 L’alimentation est une pratique de plaisir. La possibilité pour tous d’accéder à une alimentation choisie de qualité est donc fondamentale.

Qu’apporte la notion de justice alimentaire ?

La « justice alimentaire » terme venant de « food justice movement » des pays anglo-saxons est définie ainsi par Gottlieb et Joshi : « un partage équitable des bénéfices et des risques concernant les lieux , les produits, et la façon dont la nourriture est produite et transformée, transportée et distribuée et accessible et mangée » (Gottlieb et Joshi, 2010). Il s’agit d’un concept opérant pour l’étude des territoires dont on va questionner les productions agricoles, les possibilités d’approvisionnement afin de déterminer les inégalités d’accès qui peuvent en naitre. Mais la réflexion ne s’arrête pas à l’établissement de constats, on peut aussi s’interroger sur les moyens d’obtenir cette justice. Ainsi, on peut s’appuyer sur l’idée de « food justice » pour améliorer la sécurité alimentaire des populations pauvres et des minorités ethniques.

Un questionnement autour de l’accessibilité de la ressource en nourriture.

La question de l’accessibilité est centrale : accès physique aux ressources, l’accès géographique, points de fourniture. On interroge l’adéquation entre les politiques qui sont mises en place et les populations auxquelles elles s’adressent. Ainsi, quand la fondation issue d’une FTN de l’agroalimentaire fait paraître une brochure sur le repas français, on peut s’étonner du fait qu’ aucun visage de la diversité n’apparaissent. Cet exemple traduit bien le fait que les questions d’alimentation doivent prendre en compte les habitudes de l’ensemble des populations d’un territoire et non pas simplement s’appuyer sur des représentations éloignées de la réalité et correspondant à des clichés culturels.

Le « food movement » une alternative au productivisme ?

Les études actuelles sur les alimentations insistent sur les dérives du modèle productiviste. Un mouvement alternatif s’est créé le « food movement » qui s’inscrit dans plus de local et de qualitatif. Mais les chercheurs ont mis en évidence le fait qu’il est ancré dans la classe moyenne blanche aux USA. Les études dénoncent une division entre population qui peut juste manger et population qui peut bien manger : la food justice s’inscrit donc dans l’idée d’inclure les populations les plus pauvres dans le changement global. Jusqu’ici cette question concernait plus les pays du nord car les questionnements dans les pays du sud étaient centrés autour de la notion de sécurité alimentaire. Désormais, il s’agit de rapprocher les problématiques du nord de celles du sud, car les comportements alimentaires ne sauraient se réduire à la seule question économique. Ainsi, dans les quartiers pauvres des villes du nord, certaines populations ne s’autorisent pas à accéder à des produits locaux ou bio, même quand ils sont à des prix identiques de ceux des produits issus de l’agroalimentaire classique.

Le programme Marguerite, un dispositif pour éduquer à la justice alimentaire

Le programme Marguerite « est un projet en Enseignement-Recherche qui vise à faire le lien entre l’agriculture et l’alimentation ». Il a d’abord été mené dans des quartiers défavorisés de Lyon. Il est porté par des chercheurs de l’École normale supérieure et de l’Institut Français d’Éducation (IFÉ). Grâce à un partenariat entre chercheurs et établissements scolaires, ce projet permet d’éduquer les élèves aux questions de justice alimentaire. Il interroge notamment les processus qui connectent et qui déconnectent les producteurs et les consommateurs. Le programme Marguerite permet aux enseignants qui souhaitent développer cette éducation d’accéder à des ressources et à des sessions de formations. Les classes impliquées s’inscrivent dans un réseau qu’elles enrichissent de leurs échanges et qui leur offre la possibilité d’entrer en contact avec d’autres participants.
Le programme Marguerite permet aux enseignants d’entrer dans la question alimentaire à travers plusieurs questionnements et en se centrant sur des territoires proches ou lointains

Comment résoudre la contradiction entre production agricole suffisante et persistance de la sous nutrition ?

La question du produire plus est au centre des préoccupations agricoles actuelles et interroge sur les méthodes employées pour y arriver. De nouveaux modèles apparaissent : la production hors sol qui permet de produire sans terre, en hydroponie… Le programme Marguerite propose différentes approches pour entrer dans cette question. On peut par exemple commencer par effectuer un état des lieux des ressources alimentaires dans l’espace de production proche. On s’intéresse aussi au potentiel de cet espace et aux possibilités qu’il offre de développer d’autres formes de production agricole. Ainsi à Lyon, le siège social de Groupama est pourvu d’un toit végétalisé exploité par un maraicher. Mais ces innovations montrent des limites (espaces qui produisent sans agriculteur, utilisation de la chimie) même si de nouvelles techniques font leur apparition pour limiter les dégâts environnementaux ( utilisation des drones pour mieux contrôler les usages des intrants), la question de la technologie reste centrale.

Quelles sont les recompositions des espaces agricoles ?

Le grand retour de l’agriculture en ville ne va pas de soit. De nouveaux problèmes surgissent : dans certains écoquartiers par exemple, les terres utilisées pour remblayer proviennent parfois d’anciens sites industriels très pollués et non décontaminés. Or les nouveaux habitants veulent faire des potagers. … On peut s’interroger sur la notion de proximité et cela peut signifier mettre en place des potagers qui correspondent à l’alimentation des populations présentes dans les quartiers, en prenant en compte le fait que cette alimentation peut être différente des modèles habituels.

Quels sont les conflits d’usages entre productions agricoles et quelles en sont les conséquences ?

La question du « produire quoi » est essentielle car elle révèle des concurrences entre les usages des terres agricoles (ex : bio carburants et productions alimentaires) mais ce dualisme peut cohabiter et être complémentaire. Ainsi au Brésil, il existe deux ministères de l’agriculture, l’un pour l’agriculture paysanne l’autre pour l’agrobusiness. Mais ces éventuelles rivalités entre productions renvoient aussi à la question de la justice foncière qui est un aspect important de la justice alimentaire.

Comment commercialiser et distribuer plus juste ?

Les inégalités d’accès sont au centre de ce thème qui est un prisme intéressant pour aborder la question du genre. Le maillage par les systèmes alimentaires à travers l’approvisionnement, peut aussi révéler un desserte inégale par les réseaux. Aux États Unis, on assiste ainsi à l’émergence de la notion de « déserts alimentaires » (food deserts) difficile à transposer en France du fait de la différence des distances de référence (40 miles pour les études américaines). Cela oblige à redéfinir cette notion pour la France, et des recherches sont en cours. Aborder ce thème c’est aussi questionner les clichés sur les circuits courts. En effet, les circuits intermédiaires permettent parfois, quand ils sont réellement tournés vers les producteurs comme en Amérique Latine, d’améliorer les conditions de rémunération des paysans.

Pour obtenir des renseignements sur l’éducation à la justice alimentaire le site du programme Marguerite :

 Agriculture et justice alimentaire : MARGUERITE

Impression

  Imprimer
  L'article au format pdf

Auteur

 Cécile Llantia

Partager