Les Rendez-vous de l'Histoire: L'État au Moyen Age (France XIe-XVe siècles) publié le 29/10/2020

RDV de l’histoire, 2020

Du 07 au 11 octobre 2020, les 23èmes rendez-vous de l’histoire de Blois ont accueilli plus de 1000 intellectuels et proposés prés de 400 conférences autour de la thématique : gouverner.

Le jeudi 08 octobre a eu lieu une conférence sur l’État au Moyen Age (France XIe-XVe siècles) avec Claude Gauvard, Professeure émérite d’histoire médiévale à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Florence Chaix, IA-IPR d’histoire et géographie, académie d’Orléans-Tours, Françoise Beauger-Cornu, professeure d’histoire et géographie et formatrice à l’INSPE d’Orléans-Tours.

Intervention de Claude Gauvard

Peut-on parler d’un État au Moyen Age ?

Quelle est la notion d’État ? Pour Max Weber, l’État est ce qui détient le monopole de la violence légitime. Mais, cette notion est inapplicable au Moyen Age. Il semble donc intéressant de se tourner vers Pierre Bourdieu. Pour lui, l’État est un objet impensable, un lieu neutre. Fort de cela, Claude Gauvard dresse les invariants de l’État, qui suppose une stabilité politique, une continuité du pouvoir sur un territoire bien délimité, le royaume, avec une adhésion éventuelle de la société. Il faut éviter une lecture téléologique qui consisterait à partir d’un État anarchique, le Moyen Age vers un État florissant et absolutiste. Il s’agit donc de présenter l’État au Moyen Age sous trois angles, à commencer par le roi et le royaume puis les serviteurs de l’État et enfin les grands domaines d’exercice du pouvoir.

Le roi et le royaume

Dès le XIe siècle, le pouvoir sacré du roi le place en dehors des seigneurs. Il se nourrit d’un respect lié à une signification symbolique que lui confère le sacre depuis Pépin le Bref (VIIIe siècle). Codifié depuis les ordinés , repris et amplifié par Charles V, le sacre se voit doter d’une propagande importante autour du roi sacré. A cela, s’ajoute la notion de roi thaumaturge pour laquelle l’Église était opposée. La thaumaturgie vient plutôt d’une conception populaire autour de Laon à travers l’exemple de saint Marcoul à corps béni. Ce pouvoir sacré fait du roi un quasi prêtre auquel il faut ajouter la canonisation de Saint Louis en 1297 qui accentue ce côté religieux. Toutes les querelles du roi avec les prêtres n’ont rien de laïques car il veut exercer lui-même le pouvoir religieux. Force est de constater, la surchristinaisation du pouvoir sous Philippe le Bel. Les Templiers ne sont pas pourchassés pour l’argent mais parce que le roi est convaincu que l’Ordre a fauté. Il appartient donc au roi de les punir pour mener son peuple à la rédemption. L’Etat est donc religieux du XIe au XVe siècle.

Le pouvoir est également dynastique. En 1179, Philippe Auguste est le dernier roi associé. S’impose par la suite, la célèbre formule « le roi est mort, vive le roi ». Cette conception nouvelle du pouvoir, défend l’idée de la primogéniture mâle, ce qui pose le problème de l’absence de fils en 1316. Pour Claude Gauvard, la guerre de cent ans commence suite à ce problème de succession en 1316. Il se développe sous Charles V qui pour y faire face invente la loi Salique. Cette dernière est retrouvée par hasard sur une étagère de l’abbaye de St Denis.

Le royaume est à construire. On pense qu’il existe mais la perception du royaume est très complexe. Le traité de Verdun (843) a défini les frontières. Il n’empêche que le royaume se morcelle par la suite sous l’action des principautés locales et particulièrement des Plantagenets. C’est pourquoi, la féodalité est centrale, à condition d’appliquer la fidélité et l’hommage à rendre au roi. Or, ce n’est pas une faiblesse de l’État car le roi ne peut exercer son pouvoir sur un territoire aussi grand. C’est donc une façon de déléguer son pouvoir. Preuve en est, sous Philippe-Auguste, le territoire est multiplié par 4. Il confie des apanages à ses frères pour déléguer le pouvoir à des princes de sang. L’ensemble constitue une façon de renforcer le pouvoir par les liens du sang et non de l’affaiblir. Par ailleurs, la notion de frontière s’épaissit pour être de moins en moins perçue comme une marche. Employée au XIVe siècle, elle est vue comme un sillon qui sépare de l’étranger, dessus sont les bannis, les criminels et qui font basculer vers l’autre dont on se méfie. Le royaume devient le territoire de l’État royal. Les frontaliers sont à la pointe pour défendre le roi et le royaume comme en Normandie, en Lorraine ou aux confins de la Bretagne. Dès lors, il apparait que les serviteurs du roi se développent d’abord dans le domaine royal avant de gagner le royaume.


Les serviteurs

Dès l’époque carolingienne, il existe des serviteurs de l’Empire. La transition des Carolingiens aux Capétiens s’est en fait réalisée plus doucement que Georges Duby ne l’avançait. Elle prend forme au sein de la Curia regis où se développe des offices à l’instar des connétables, chambellans … Le changement vient du développement du droit romain à partir du XIIe siècle. Il est bon de rappeler que le droit romain s’apparente au droit de l’empereur. Or, les seigneurs manifestent le souhait de s’imposer notamment autour de Montpellier. Ils s’appuient sur le développement des universités de Paris en 1215 puis d’Orléans en 1306, qui garantissent d’autres fondements que le droit romain. Les méthodes de gouvernement sont changées. On assiste au développement de cadres administratifs avec une bureaucratisation qui se fait au niveau central et local. La Curia regis se transforme progressivement pour donner place à des institutions comme le Parlement, la Chambre des comptes, la Cours des aides ou la Chancellerie.

A L’échelon local, Philippe Auguste institue les baillis et sénéchaux en 1190. Il n’empêche que ce sont des nobles. Ils partent donc à la guerre et se font alors remplacer par de vice-baillis ou par des juges. Cette réalité favorise le développement d’institutions locales gérées par des individus formés au droit. Ils sont les chevilles ouvrières de l’Etat. En soi, ils ont conscience de faire partie de l’État comme corps du roi. Ils sont nommés par lui et gagé par lui. Leur nombre ne cesse de s’accroitre ce qui donne lieu à l’expression de bureaucratie galopante. Par contre, au milieu du XIVe siècle, le nombre de création d’offices baisse. Non pas parce-que l’État s’affaiblit mais du fait de la diminution de la population d’un quart ou de moitié. La bureaucratie doit donc logiquement s’adapter et réduire le nombre d’officiers pour correspondre à la réalité de la population.

Les missions des officiers sont diverses. Il s’agit principalement de défendre le prince, la respublica et le bien commun. Sous Philippe le Bel, les légistes comme Guillaume de Nogaret ou Pierre Flote sont décrits comme la fine fleur de la bourgeoisie montante. Ils n’en restent pas moins apparentés à la noblesse. Ils ont alors pour principale préoccupation l’agrandissement de leur territoire. De même, ils s’inscrivent dans la même logique que le roi en reprenant à leur compte la surchristinaisation. En revanche, l’État tient bon pendant les trente ans de folie de Charles VI, voire il se renforce grâce à l’implication des officiers et des serviteurs royaux. Preuve en est, le chancelier pouvait remplacer le roi. Claude Gauvard a pu démontrer que ces derniers ont signé nombre d’actes puisque figure en bas desdits actes per vox, par vous, en lieu est place de la signature du roi.

Les grands domaines d’exercice du pouvoir

Juger est l’acte premier de l’État. Pour autant, il est difficile de parler de monopole de la justice étant donné qu’il existe des tribunaux concurrents comme ceux des seigneurs, des villes ou de l’Église. Mais il y a une mainmise de l’État notamment au pénale. Le roi veut avoir la main sur le droit de vie ou de mort. Pour ce faire, Louis IX développe les enquêtes et supprime les ordalies. Il lance de grandes enquêtes sur les biens mal acquis par les officiers. Mais son but est religieux, celui d’assurer son salut. La justice est également renforcée par le droit d’appel au Parlement de Paris. Il permet d’appeler de tout le royaume et pas seulement du domaine royal. En outre, le roi exerce son pouvoir direct sous la forme de lettre de rémission à partir de 1304. A compter des années 1340, on en recense plus de deux-cents par an. Elles permettent d’affirmer son pouvoir de vie et de mort. D’autant que l’on appelle son droit de grâce de toutes les seigneuries à l’image de la seigneurie de Bersudes. La lettre de grâce permet d’aller vite (moins de 6 mois) et coûte moins chère que les transactions avec l’Église.

Les prélèvements fiscaux sont le second grand domaine d’exercice de l’État. Le roi ne peut plus vivre de son domaine car il doit payer ses officiers. Pour battre monnaie, il faut payer de plus en plus cher car le métal s’est raréfié. L’État a donc imposé l’impôt à partir du consentement des sujets. L’État doit-il être autoritaire ou démocratique ? Au milieu du XIVe avec Étienne Marcel, la possibilité de basculer dans un État plus démocratique est évoquée dans une période de crise. La logique serait que ce qui appartient à tous, doit être décidé par tous. Et finalement, c’est l’État autoritaire qui l’emporte mais pas avant 1440 avec Charles VII par ses victoires et sa réforme de l’État.

Enfin, le fait de légiférer constitue le troisième grand acte de l’État. La première ordonnance royale pour l’ensemble du royaume remonte à Louis VII. Les juristes affirment que le roi porte le droit en son sein. De plus, les ordonnances générales sont des ordonnances de réforme qui semblent remettre en cause le système à l’image de celle de Philippe le Bel en 1303. Elle est pourtant répétée vingt-quatre fois jusqu’en 1457. Ces ordonnances de réforme sont fondamentales pour comprendre l’État. Non seulement, elles énumèrent tous les rouages de l’État, remettent en cause la partialité de la justice, le nombre d’officiers royaux, mais elles les inventorient ce qui les légitime aux yeux du peuple. Elles sont moins là pour être appliquées que pour montrer que l’État peut fonctionner car il est purifié. En somme, l’État puise dans le passé pour mieux imposer le monopole de l’État.

Mais ce monopole reste fragile car le roi dans ses décisions ne la prend pas motu proprio, (de sa propre initiative). Il faut qu’il y ait eu une requête. Il apparait clairement que nous ne sommes pas sortis d’un État sensible aux dons comme le relate l’adage, gouverner, c’est donner. Le roi doit donc conserver cette aura de fécondité.
L’État se caractérise par un nombre de temps fort à l’exemple de Philippe le Bel ou de temps plus fébrile à l’instar du milieu du XIVe siècle. Il n’est pas un État froid comme le présente Max Weber. La coercition existe mais l’État reste pragmatique, concret, symbole des deux corps du roi. Sans oublier, le lien tissé avec la société autour de valeurs comme l’hérédité, l’amour, la famille….


Ressource pédagogique pour enseigner l’État au Moyen Age

Mme Beauger-Cornu propose une ressource pédagogique autour des comtes de Blois du XIe au XVe siècle.

Grandeur et décadence des comtes de Blois by cornu.beauger on Genially

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