Les Rendez-vous de l'Histoire: L'État au Moyen Age (France XIe-XVe siècles) publié le 29/10/2020

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Les serviteurs

Dès l’époque carolingienne, il existe des serviteurs de l’Empire. La transition des Carolingiens aux Capétiens s’est en fait réalisée plus doucement que Georges Duby ne l’avançait. Elle prend forme au sein de la Curia regis où se développe des offices à l’instar des connétables, chambellans … Le changement vient du développement du droit romain à partir du XIIe siècle. Il est bon de rappeler que le droit romain s’apparente au droit de l’empereur. Or, les seigneurs manifestent le souhait de s’imposer notamment autour de Montpellier. Ils s’appuient sur le développement des universités de Paris en 1215 puis d’Orléans en 1306, qui garantissent d’autres fondements que le droit romain. Les méthodes de gouvernement sont changées. On assiste au développement de cadres administratifs avec une bureaucratisation qui se fait au niveau central et local. La Curia regis se transforme progressivement pour donner place à des institutions comme le Parlement, la Chambre des comptes, la Cours des aides ou la Chancellerie.

A L’échelon local, Philippe Auguste institue les baillis et sénéchaux en 1190. Il n’empêche que ce sont des nobles. Ils partent donc à la guerre et se font alors remplacer par de vice-baillis ou par des juges. Cette réalité favorise le développement d’institutions locales gérées par des individus formés au droit. Ils sont les chevilles ouvrières de l’Etat. En soi, ils ont conscience de faire partie de l’État comme corps du roi. Ils sont nommés par lui et gagé par lui. Leur nombre ne cesse de s’accroitre ce qui donne lieu à l’expression de bureaucratie galopante. Par contre, au milieu du XIVe siècle, le nombre de création d’offices baisse. Non pas parce-que l’État s’affaiblit mais du fait de la diminution de la population d’un quart ou de moitié. La bureaucratie doit donc logiquement s’adapter et réduire le nombre d’officiers pour correspondre à la réalité de la population.

Les missions des officiers sont diverses. Il s’agit principalement de défendre le prince, la respublica et le bien commun. Sous Philippe le Bel, les légistes comme Guillaume de Nogaret ou Pierre Flote sont décrits comme la fine fleur de la bourgeoisie montante. Ils n’en restent pas moins apparentés à la noblesse. Ils ont alors pour principale préoccupation l’agrandissement de leur territoire. De même, ils s’inscrivent dans la même logique que le roi en reprenant à leur compte la surchristinaisation. En revanche, l’État tient bon pendant les trente ans de folie de Charles VI, voire il se renforce grâce à l’implication des officiers et des serviteurs royaux. Preuve en est, le chancelier pouvait remplacer le roi. Claude Gauvard a pu démontrer que ces derniers ont signé nombre d’actes puisque figure en bas desdits actes per vox, par vous, en lieu est place de la signature du roi.

Les grands domaines d’exercice du pouvoir

Juger est l’acte premier de l’État. Pour autant, il est difficile de parler de monopole de la justice étant donné qu’il existe des tribunaux concurrents comme ceux des seigneurs, des villes ou de l’Église. Mais il y a une mainmise de l’État notamment au pénale. Le roi veut avoir la main sur le droit de vie ou de mort. Pour ce faire, Louis IX développe les enquêtes et supprime les ordalies. Il lance de grandes enquêtes sur les biens mal acquis par les officiers. Mais son but est religieux, celui d’assurer son salut. La justice est également renforcée par le droit d’appel au Parlement de Paris. Il permet d’appeler de tout le royaume et pas seulement du domaine royal. En outre, le roi exerce son pouvoir direct sous la forme de lettre de rémission à partir de 1304. A compter des années 1340, on en recense plus de deux-cents par an. Elles permettent d’affirmer son pouvoir de vie et de mort. D’autant que l’on appelle son droit de grâce de toutes les seigneuries à l’image de la seigneurie de Bersudes. La lettre de grâce permet d’aller vite (moins de 6 mois) et coûte moins chère que les transactions avec l’Église.

Les prélèvements fiscaux sont le second grand domaine d’exercice de l’État. Le roi ne peut plus vivre de son domaine car il doit payer ses officiers. Pour battre monnaie, il faut payer de plus en plus cher car le métal s’est raréfié. L’État a donc imposé l’impôt à partir du consentement des sujets. L’État doit-il être autoritaire ou démocratique ? Au milieu du XIVe avec Étienne Marcel, la possibilité de basculer dans un État plus démocratique est évoquée dans une période de crise. La logique serait que ce qui appartient à tous, doit être décidé par tous. Et finalement, c’est l’État autoritaire qui l’emporte mais pas avant 1440 avec Charles VII par ses victoires et sa réforme de l’État.

Enfin, le fait de légiférer constitue le troisième grand acte de l’État. La première ordonnance royale pour l’ensemble du royaume remonte à Louis VII. Les juristes affirment que le roi porte le droit en son sein. De plus, les ordonnances générales sont des ordonnances de réforme qui semblent remettre en cause le système à l’image de celle de Philippe le Bel en 1303. Elle est pourtant répétée vingt-quatre fois jusqu’en 1457. Ces ordonnances de réforme sont fondamentales pour comprendre l’État. Non seulement, elles énumèrent tous les rouages de l’État, remettent en cause la partialité de la justice, le nombre d’officiers royaux, mais elles les inventorient ce qui les légitime aux yeux du peuple. Elles sont moins là pour être appliquées que pour montrer que l’État peut fonctionner car il est purifié. En somme, l’État puise dans le passé pour mieux imposer le monopole de l’État.

Mais ce monopole reste fragile car le roi dans ses décisions ne la prend pas motu proprio, (de sa propre initiative). Il faut qu’il y ait eu une requête. Il apparait clairement que nous ne sommes pas sortis d’un État sensible aux dons comme le relate l’adage, gouverner, c’est donner. Le roi doit donc conserver cette aura de fécondité.
L’État se caractérise par un nombre de temps fort à l’exemple de Philippe le Bel ou de temps plus fébrile à l’instar du milieu du XIVe siècle. Il n’est pas un État froid comme le présente Max Weber. La coercition existe mais l’État reste pragmatique, concret, symbole des deux corps du roi. Sans oublier, le lien tissé avec la société autour de valeurs comme l’hérédité, l’amour, la famille….