Quels sont les effets de l’évaluation sur les performances en lecture-compréhension ? publié le 07/11/2022

Contexte

Dans la salle de classe, un des éléments qui différencie les élèves est le fait que pour une même leçon, un même exercice, une même tâche à réaliser, certains élèves vont avoir tendance à ressentir de la difficulté alors que d’autres vont plutôt ressentir de la facilité.
Ces différences dans l’expérience subjective des élèves peuvent provenir de niveaux antérieurs de familiarité ou d’entrainement avec les savoirs travaillés. D’autres facteurs comme l’origine sociale peuvent également influencer la façon dont les élèves éprouvent des difficultés.

Objectif de la recherche

Dans ce projet, notre objectif était d’examiner dans quelle mesure la nature plus ou moins évaluative du contexte dans lequel les élèves travaillent oriente l’interprétation qu’ils font de leur facilité (vs. difficulté) et in fine influence leur niveau de réussite.

Hypothèse de travail

Notre hypothèse est que l’expérience de la difficulté dans un contexte où l’élève pense que ces capacités intellectuelles sont évaluées peut menacer l’image de soi de l’élève et ainsi perturber sa performance. En revanche, nous prédisons que pour un même niveau de difficulté, les élèves ne se sentiront plus menacés lorsque les préoccupations évaluatives sont totalement neutralisées.
Deux premières études réalisées auprès de 200 élèves de Sixième ont confirmé cette hypothèse. N

But de la recherche

Notre but a été ensuite de répliquer nos résultats sur un échantillon beaucoup plus important (1000 élèves de Sixième). Contrairement aux deux premières études qui se sont déroulées sous forme de passation individuelle, cette nouvelle étude avait lieu sous forme de passation collective dans les classes.

Protocole

Nous avons fait passer une épreuve de lecture-compréhension à des élèves de Sixième. Les élèves lisaient un texte avant de répondre à une série de questions visant à tester leur niveau global de compréhension. Dans chacune des deux études, nous faisions varier expérimentalement le sentiment de difficulté (vs. facilité) lors de la lecture du texte. Cette expérience de facilité vs. difficulté était manipulée en faisant varier la lisibilité de la police utilisée pour afficher le texte, mais sans en modifier son contenu (cf. extrait ci-dessous).

Illustration de l'exercice

Illustration de l’exercice

Dans cette étude, il était dit à une moitié des élèves (i.e., contexte évaluatif) que le but de la séance est d’évaluer leurs capacités de lecture et de compréhension.
L’autre moitié des élèves (i.e., contexte non évaluatif) était informée que l’objectif de la séance est de tester un manuel scolaire destiné à des élèves de Sixième. Nous les informions que ce manuel étant en cours de réalisation, nous souhaitions recueillir leurs impressions sur le texte et les questions afin de voir si le matériel était adapté à des enfants de leur âge.
Le texte était ensuite présenté aux élèves. Il leur était demandé de lire le texte une première fois à voix basse. Ils étaient assignés de façon aléatoire à lire la version facile ou difficile du texte. Les élèves répondaient finalement à 10 questions mesurant la compréhension d’informations explicitement indiquées dans le texte, ceci dans un temps limité à quinze minutes.
Notre hypothèse était que l’expérience subjective de difficulté —vs. expérience de facilité – peut perturber la performance en contexte évaluatif, tandis que la même difficulté rencontrée dans un contexte non évaluatif ne modifie pas la performance. Après le test, les élèves étaient pleinement débriefés sur le but de l’expérience.

Résultats

Les résultats de l’étude ne confirment pas l’hypothèse et les premiers résultats obtenus dans les études s’étant déroulées en passation individuelle. En effet, si les élèves qui lisent le texte difficile obtiennent un score de lecture-compréhension plus faible que les élèves ayant lu texte plus lisible, la performance moyenne des élèves ne varie pas selon la nature évaluative du contexte.
Autrement dit, contrairement à notre hypothèse, les élèves qui lisent la version difficile du texte n’obtiennent pas une moins bonne performance lorsqu’ils pensent que leurs capacités sont évalués que lorsqu’ils pensent tester un manuel Une possible interprétation est que les élèves de la condition évaluative aient pu tout de même ressentir une forme de pression évaluative. En effet, la standardisation de l’étude (tables espacées, temps de lecture et de réponse chronométrés et limités) a pu faire penser les élèves à une situation d’évaluation, et les amener malgré la consigne donnée à créer une certaine forme de contexte évaluatif.
Cette interprétation mérite évidemment d’être prise avec prudence et confirmée par la suite, et de nouvelles études devront essayer de comprendre ces résultats contradictoires.

Remerciements

Nous remercions l’ensemble des services académiques et des personnes qui ont permis la réalisation de cette recherche, à savoir le Rectorat de Poitiers, le CARDIE, l’INSPE de Poitiers, Mr. Arnaud Leclerc Directeur Académique des Services de l’Éducation Nationale des Deux-Sèvres, la DSDEN79, les chefs d’établissement et leurs équipes enseignantes et administratives, et bien évidemment l’ensemble des élèves et leurs familles.

Les chercheurs

Sébastien Goudeau est maitre de conférences en psychologie sociale au Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage (Université de Poitiers/CNRS) et enseigne à l’INSPE de Niort auprès des futurs enseignants. Ses recherches portent sur l’influence des contextes sur les apprentissages et la construction des inégalités scolaires,

Marie-Pierre Fayant développe ses recherches au sein du laboratoire de Psychologie Sociale sur la régulation des interactions sociales, de l’exclusion sociale et de la comparaison sociale. Elle co-dirige le master de Psychologie Sociale : Changement Social, Intervention, Régulation. Elle est éditrice associée de la revue International Review of Social Psychologyet également présidente élue de l’Association pour la Diffusion de la Recherche en Psychologie Sociale.