Grandeur et déchéance des champions d'Hitler publié le 08/07/2014

une chronique à la croisée du sport et de la politique

 Le sport a bien été de tout temps au centre de multiples enjeux. En ce sens, on peut affirmer sans exagérer que le sport est une forme et un lieu de pouvoir. Les dirigeants du IIIe Reich l’avaient bien compris. Il suffit de lire l’ouvrage éclairé de Benoît Heimermann pour s’en convaincre.

 "Les champions d’Hitler" brosse le portrait de 9 personnalités hors du commun, de héros parfois oubliés qui avaient pour mission d’exalter le peuple et de porter toujours plus haut et toujours plus loin les valeurs du national-socialisme. Au nombre de ses grands champions figurent le coureur Lutz Long (l’aryen modèle qui fut battu par l’athlète noir américain Jesse Owens et qui connut une fin tragique sur le champ de bataille en 1943), le joueur de tennis Gottfried von Cramm (vainqueur de Roland Garros en 1934 et 1936, il fut accusé de "délinquance morale" et après avoir purgé une peine de prison, il fut enrôlé dans la Wehrmacht), le coureur automobile Bernd Rosemeyer (l’archétype du pilote sans peur et sans reproche sera finalement victime d’un accident de vitesse pour gagner la course au record), le boxeur maudit Max Schmeling (le chouchou de Hitler passé à la postérité pour son combat mémorable contre le noir américain Joe Louis fut rapidement mis au placard après une série d’échecs et ne dut son salut qu’aux Américains), l’alpiniste Heinrich Harrer (ce téméraire brillera par sa conquête de la face nord de l’Eiger avant de s’attaquer à l’Everest. Il signera plus tard "Sept ans au Tibet", ce best-seller mondial qui relate son expérience) et le pilote Ernst Udet (il excella d’abord au sein de l’escadrille du Baron rouge, Manfred von Richthofen, avant de connaître une fin tragique : son suicide fut maquillé en accident d’avion).

 Un homme fédère tous ces acteurs et orchestre leur réussite et leur naufrage : il s’agit du Reichssportführer Eckart Hans von Tschammer und Osten, le Ministre des Sports en poste de 1933 à 1943. "Mieux qu’un Ministre des Sports : un guide, un leader, habilité à fouetter les énergies des plus beaux arpenteurs de l’excellence allemande qui, lieux que tous les soldats, artistes, ouvriers ou fonctionnaires réunis, incarneraient la supériorité de la race élue. (...) Toujours obsédé par la perspective de repousser sans cesse les limites de l’impossible et du tolérable"( p.21)

 C’est lui qui est missionné pour assurer le lien entre pouvoirs sportifs et politiques dans le cadre des Jeux Olympiques de Berlin en 1936. Il deviendra l’ambassadeur du sport allemand et sera à l’origine d’une tournée d’information dans 7 capitales européennes pour flatter et rassurer ses homologues. A l’échelle du pays, il a également la main mise sur la sélection des athlètes allemands. Un homme incontestablement influant qui introduisit la svastika sur le biceps gauche et l’aigle vigoureux au beau milieu de la poitrine des champions nazis d’avant-guerre et imposa le salut nazi avant chaque prestation sportive. Son aura fut telle que plusieurs stades ainsi qu’un dirigeable portèrent son nom. Mais après guerre, celui qui avait une vision utile, codifiée et instrumentalisée du sport sombra dans l’oubli.

 Cet ouvrage vraiment intéressant est très agréable à lire. Il présente au reste l’avantage de pouvoir être lu et interrompu après chaque portrait grâce à une structure très souple faisant alterner des chapitres courts. Aucun risque donc de perdre le fil conducteur ! Enfin, chacun trouvera à coup sûr dans cette enquête de quoi étoffer ses connaissances sur le sport.

Les champions d’Hitler, Benoît Heimermann, Stock 2014, ISBN 978-2-234-07625-9, 18,50 euros