"Rien de trop" : études et cas pratiques sur la sobriété numérique publié le 23/01/2025 - mis à jour le 05/03/2025
Tâchons de rendre la modération des usages du numérique possible et désirable, puisque les études sanitaires et en développement durable la disent nécessaire. Identifions ce qui est le plus gourmand en énergie, eau et minerais, et ce qui pollue. Apprenons à nous connaître nous-mêmes, et avançons collectivement.
La sobriété, un vœu pieux ?
Pouvons-nous diminuer ou renoncer à nos consommations quand elles s’avèrent néfastes ?
La journée d’étude du 5 décembre 2024 du groupe thématique AESON1 a permis de croiser les points de vue de plusieurs disciplines, y compris la philosophie, sur le thème :
"La sobriété numérique dans l’éducation, représentations, champs d’action et questions éthiques"
Montaigne et Jean de La Fontaine se montraient sceptiques sur nos capacités à l’auto régulation2.
Les sciences cognitives et économiques nous apprennent que nous savons résoudre les problèmes en "ajoutant" (en innovant) mais beaucoup moins en renonçant.
Alexandre Monnin3 en déduit la nécessité d’une pédagogie du renoncement.
Il observe que les jeunes étudiant.es ne veulent plus porter le poids de la responsabilité environnementale.
Il faudrait donc, avec les élèves, allier l’information et des actions agréables, ou au moins acceptables, non culpabilisantes.
Parmi les invités, Sarah Descamps, co-auteure de l’article "vers une éducation à la sobriété numérique (2022)", a présenté le guide pédagogique "EduConetImpact", et quelques démarches collectives qui vont dans ce sens.
Prendre soin
S’il faut miser sur l’innovation, adoptons collectivement et progressivement des nouveaux rituels, des nouveaux savoir faire.
Par exemple des gestes quotidiens qui prennent soin des objets et allongent leur durée de vie. Gestes de réparation, de maintenance.
Donnons, échangeons, partageons les équipements numériques inutilisés. Prenons soin aussi de la fin de vie des appareils hors d’usage : trions, visons le recyclage.
Adoptons des gestes qui limitent les flux et les dépenses d’énergie :
- éteindre les appareils,
- limiter le streaming et la haute définition,
- limiter l’usage des IA génératives,
- choisir des sites et des moteurs de recherche conçus selon les principes de l’éco-conception,
- réduire le poids des mails,
- etc.
Prenons soin en même temps de notre santé, en commençant nos activités numériques plus tard le matin, en les arrêtant plus tôt, en reprenant des activités de sociabilisation sans écrans.
L’ADEME4 fournit un guide pratique pour mettre en œuvre les 5R de l’écologie : refuser, réduire, réutiliser, recycler, rendre à la terre.
Voir le guide "en route vers la sobriété numérique" téléchargeable gratuitement
Régulation/auto régulation : expérimenter
Jean-François Cerisier évoque l’étude sur les usages adolescents du smartphone, au cours de laquelle ont été examinées différentes tentatives de régulation et d’autorégulation.
Misons sur les expériences sensibles utilisées dans l’éducation à l’environnement, pour se connecter à la nature et s’éloigner du smartphone : les pratiques de "classe dehors" fournissent des exemples probants.
Prendre du recul, cela fait partie des compétences psycho-sociales que l’école tente de développer.
On peut aussi s’informer sur l’économie de l’attention et de la donnée, pour comprendre pourquoi et comment notre comportement est influencé. Par exemple en s’appuyant sur la websérie Dopamine qui décrypte avec humour le circuit de récompense et son utilisation par les grandes entreprises du web.
Ces influences (et donc les traceurs, les publicités ciblées, les algorithmes de recommandation, etc.) doivent elles aussi être limitées à un niveau raisonnable.
Le document "élèves et écrans", publié par l’OCDE en mai 2024, confirme les effets indésirables de distractions très attractives.
Avancées collectives concrètes
- La protection des données à caractère personnel a fait l’objet d’un règlement européen (le RGPD) qui limite la profilisation et donc l’incitation à consommer toujours plus. Entrainons-nous à esquiver la publicité, à reprendre la main. Pas seulement pour l’avenir mais aussi pour un bien-être immédiat (regagner du pouvoir, du temps pour les pratiques artistiques et culturelles, par exemple).
Voir les liens entre RGPD et consommation
- Pour les personnels de l’Education Nationale, utiliser les outils mis à disposition par le ministère permet de mutualiser des contenus au lieu de les multiplier, et de prendre de nouvelles habitudes. Par exemple les réunions à distance sont facilitées par Visio-agent, leur enregistrement est possible, il peut être téléchargé, et chaque fin de mois les vidéos de plus de 12 mois d’ancienneté sont supprimées.
Utiliser Apps.education
- Le référentiel européen de compétences Digcomp et sa déclinaison française le CRCN incluent des compétences d’usages du numérique protégeant la santé et l’environnement :
voir "Cadre de référence des compétences numériques : domaine protection et sécurité"
- Pix et Pix+édu, les outils adossés à ce référentiel, comportent des tests et ressources sur ces thématiques, notamment construites par Canopé.
voir exemple de capsule sur le bien-être numérique
A chacun ses méthodes
Individuellement, en fonction de ses centres d’intérêt et de son contexte, chaque personne peut par exemple :
- mesurer l’impact des ressources numériques qu’elle utilise, pour faire des choix : par exemple en s’appuyant sur le carbonalyser de "the Shift Project",
- exercer son esprit critique notamment sur la pertinence d’utiliser une intelligence artificielle générative,
- apprendre à utiliser des applications sobres institutionnelles (lien vers le site Mon aide numérique), ou proposées par des éditeurs respectant des normes d’éco-conception, comme la Digitale.dev,
- utiliser des outils de régulation de la connexion,
- utiliser Linux pour éviter l’obsolescence logicielle, utiliser le fediverse.
Collectivement, en fonction de ses valeurs communes, une équipe pédagogique peut :
- organiser des activités pédagogiques intéressantes sur la thématique, et en mutualiser les scénarios.
Voir deux exemples proposés par l’association "profs en transition" - participer au Digital Cleanup day le 15 mars 2025
- Utiliser le jeu de carte "numérique éco citoyen" de l’académie de Créteil, pour une activité ludique et débranchée.
- Faire produire des ressources de sensibilisation par les élèves :
Voir une exemple de niveau lycée - co-construire des chartes pour des usages du numérique sobre.
Approfondir ses connaissances
- Via un livre : "L’archipel des GAFAM", publié en 2023, de Vincent Courboulay (Actes Sud)
- Via un site institutionnel : la mission interministérielle "numérique éco-responsable" et son guide des bonnes pratiques pour les organisations (juin 2023).
- Via un Mooc : L’institut du numérique responsable est un "think and do". Ses rapports et publications guident aussi bien des collectivités territoriales que des entreprises. Un Mooc divisé en deux parties permet de se former en autonomie.
- Utiliser des réseaux sociaux sans algorithmes de recommandation :
témoignage d’une artiste sur le réseau social Mastodon - Un outil de comparaison des IA génératives fourni par le ministère : compare-IA.
(1) Adopter une Education à la SObriété Numérique
(2) cf la fable "Rien de trop" : Rien de trop est un point dont on parle sans cesse, et qu’on n’observe point
(3) Professeur en redirection écologique et design à l’ESC Clermont Business School
(4) Agence de la transition écologique, Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC)