Compte rendu de la journée d’études : "Les usages adolescents du smartphone : entre acceptation, régulation et autorégulation" publié le 13/11/2024

11 octobre 2024, organisateur : Laboratoire Techné

Visuel séminaire

Introduction
La journée a débuté par deux tables rondes qui ont mis en lumière l’importance de l’éducation des jeunes face aux risques liés à l’usage des smartphones. Les intervenants ont souligné la nécessité d’éduquer les adolescents sur la gestion de leurs données personnelles et sur les implications de leurs publications sur les réseaux sociaux. Les échanges ont également abordé la question de la capacité des jeunes à consentir de manière éclairée et de la difficulté de bien définir ce consentement. La notion de gratuité, souvent illusoire, a été discutée, en rappelant que les services « gratuits » impliquent une collecte de données, sans véritable transparence sur leur utilisation. Enfin, deux expérimentations sur le terrain ont mis en évidence la complexité de l’accompagnement des jeunes dans le développement de l’algolittératie, c’est-à-dire la capacité à comprendre et à analyser les effets des algorithmes sur leur consommation d’information et leurs choix en ligne.

1. Réflexions et approches

Régulation et autorégulation

L’acceptabilité désigne le degré avec lequel une idée, un produit ou une action est perçu(e) comme approprié(e) par les individus ou la société.

Deux concepts ont été définis :

Régulation : cadre imposé aux adolescents (exemples : RGPD, régulations parentales).
Autorégulation : cela ne signifie pas un comportement totalement autonome. Il s’agit plutôt de l’accompagnement des adolescents qui encouragerait des comportements responsables et éclairés.

Le rôle des éducateurs

Bénédicte Robert évoque Michel Serres et son essai Petite Poucette. Elle souligne que le savoir est désormais accessible en un clic. Cela alimente le mythe de l’autodidacte, remplaçant progressivement la nécessité d’un enseignement accompagné. Mais quelle place reste-t-il pour l’enseignant dans ce contexte ?

Le rôle des enseignants consiste à partir de la perspective de l’usager, en prenant appui sur les usages réels des élèves pour stimuler leur motivation.

Avant de cliquer, il est essentiel de se poser les bonnes questions, et c’est justement là que l’enseignant intervient. Il doit inculquer ce réflexe aux élèves et les encourager à explorer des domaines vers lesquels ils ne se tourneraient pas spontanément. Même si l’élève peut être réticent, ces connaissances lui seront utiles plus tard.

Les enseignants font face à un véritable enjeu : guider les élèves vers des terrains inexplorés et parfois difficiles, mais essentiels pour leur développement. Leur mission est de former des esprits critiques.

2 leviers :
Encourager la curiosité : les enseignants sont invités à inciter les élèves à s’intéresser à des sujets qu’ils n’exploreraient pas spontanément.
Formation continue : les enseignants et les parents doivent être formés à l’usage des outils numériques et à la gestion des données, permettant une meilleure coéducation.

Perspective juridique, économique, législative...ou la question du consentement

Des experts en droit ont expliqué que les adolescents sont particulièrement vulnérables aux abus de données.

Consentement :

Pour les mineurs, le consentement pose des défis. Les jeunes de 13-14 ans ont besoin de l’accord de leurs parents pour utiliser certaines plateformes, tandis que les adolescents de 15 ans et plus peuvent créer leurs propres comptes sans autorisation parentale, comme les adultes.

En théorie, les mineurs ne peuvent consentir seuls avant 18 ans dans la plupart des domaines. Cependant, dans le numérique, les règles diffèrent, et la loi ne fixe pas toujours de limites claires selon l’âge. Cela complique la gestion de leur image en ligne et leurs pratiques informationnelles. La question du consentement des mineurs reste ainsi floue et difficile à appliquer pour les plateformes.
=> Aujourd’hui, le consentement des utilisateurs est souvent symbolique, sans réelle valeur juridique.

Tanja Petelin, maîtresse de conférences en droit privé au CECOJI (Centre d’Études et de Coopération Juridique Interdisciplinaire) à Poitiers, souligne que l’approche juridique de la donnée se distingue nettement des enjeux relevant du big data. En droit, l’accent est mis sur la protection de la personne et de ses données personnelles, qui ne sont ni une marchandise ni un bien chiffrable, mais relèvent des droits fondamentaux de chaque individu.
Les concepts clés incluent le consentement – qui doit être libre, éclairé et spécifique, conformément aux exigences du RGPD.

La protection des mineurs constitue un enjeu spécifique, particulièrement fragile face aux questions de consentement.

Pour les adolescents et le numérique, le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) leur garantit des droits spécifiques (article 8), mais il reste un fossé entre ces droits et leur application effective.
À cet égard, deux projets européens sont en cours, visant à encadrer l’exploitation des données, notamment dans le suivi des pratiques numériques, comme celles liées au sommeil, un domaine particulièrement invasif. Le droit cherche à définir un cadre permettant aux individus, y compris les mineurs, de garder le contrôle de leurs données sans être exploités.

Le Règlement sur les Services Numériques (DSA) impose de nouvelles responsabilités aux plateformes, notamment l’interdiction de la publicité ciblée par l’analyse des données des mineurs et exige que les informations soient formulées de manière compréhensible pour eux.

La question est désormais de savoir comment utiliser ce cadre législatif : qui formera les mineurs pour qu’ils maîtrisent ces enjeux ? Les parents, l’école, ou la société ? Selon le législateur, l’école, en tant qu’institution, a un rôle essentiel à jouer pour éviter l’exploitation des vulnérabilités des jeunes utilisateurs.

Les assureurs soulignent plusieurs défis en matière de prévention des risques pour les jeunes.

Ils s’inquiètent des répercussions de la fatigue liée à l’hyperconnexion, qui accroît le risque d’accidents de la route. La surconsommation de notifications, notamment la nuit, entraîne des problèmes de concentration et des dettes de sommeil. Ils observent également une hausse des cambriolages due aux fuites de données personnelles.

Analyse des régulateurs
Jennifer Elbaz, chargée de mission éducation au numérique à la CNIL, met en lumière le rôle du régulateur dans la protection des droits numériques. L’histoire de la CNIL commence dans les années 1970, quand le gouvernement français envisage de créer un fichier informatique centralisé pour rassembler des informations sur tous les citoyens. Cette initiative suscite des inquiétudes quant aux libertés individuelles. En réponse aux préoccupations, il est finalement décidé de ne pas poursuivre ce projet. À la place, la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) est créée en 1978 pour protéger les droits des citoyens face aux technologies numériques, en encadrant l’utilisation des données personnelles par les administrations et les entreprises comme en témoigne la loi Informatique et Libertés.
Un principe fondamental en découle : le droit collectif ne doit jamais empiéter sur les libertés individuelles (par exemple, une caméra de surveillance privée ne peut enregistrer l’espace personnel d’un voisin ou la rue).

La CNIL tente d’innover dans les outils éducatifs proposés, notamment avec des jeux, des expositions et d’autres supports, pour sensibiliser les jeunes et les parents. Cependant, le niveau de compréhension varie grandement selon l’âge, et il persiste des lacunes dans les stratégies de protection d’identité numérique des adolescents.

La question du consentement est cruciale : il devrait être possible de le retirer à tout moment, ce qui reste difficile en pratique. La géolocalisation en est un exemple frappant. Combien de jeunes sont réellement conscients de l’espionnage auquel ils se soumettent en utilisant certaines applications ?

La CNIL reçoit de plus en plus d’appels de jeunes, mais ceux-ci concernent principalement des demandes d’exercice de droits (effacement de vidéos, déréférencement) plutôt que des questions d’information générale. L’éducation sur ces sujets reste ainsi un défi à relever, en impliquant les parents, les enseignants, et l’institution scolaire, même si le temps à y consacrer durant les cours est souvent restreint.

Au niveau des économistes, Marc-Hubert Depret, professeur des universités au LéP (Laboratoire d’économie de Poitiers), souligne que le modèle économique des plateformes entraîne une sorte de "portail de l’enfer" citant avec ironie l’injonction : "Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance" – un reflet de la réalité du consentement.

Son analyse se penche sur les raisons pour lesquelles nous sommes prêts à renoncer à notre liberté pour cet usage : une asymétrie des connaissances entre utilisateurs et entreprises, une perception de gratuité de services dont le coût réel nous échappe, le "digital labor" (travail numérique) que nous effectuons involontairement, la sous-estimation de la valeur de nos données personnelles, et une captation de notre attention qui finit par banaliser le "don" de nos informations. Cela est particulièrement frappant chez les jeunes générations, qui n’ont pas connu un monde sans ces plateformes.

Les statistiques montrent d’ailleurs que la lecture des CGU (conditions générales d’utilisation) est dérisoire, ce qui facilite un consentement à peine éclairé. La "boîte noire" des plateformes représente le cœur de ce modèle économique, un espace où "le diable se cache dans les détails" rendant les enjeux et les coûts de cette économie difficilement compréhensibles pour le grand public.

Actuellement, environ 15 % des jeunes adhèrent à des théories comme le "terraplatisme", 1/3 des "Tiktokeurs". Ils suivent des influenceurs qui bénéficient d’une crédibilité considérable selon eux. Seulement 10 % d’entre eux lisent des journaux ou des informations en ligne. Chez les générations plus âgées, seuls 3 % partagent des croyances marginales.

Tous s’alarment de la capacité des outils numériques à manipuler les opinions, rendant la frontière entre faits et opinions plus floue. Cela pose des problèmes dans la confrontation des idées, avec des "bulles de filtres" et des recommandations algorithmiques qui enferment les gens dans des blocs d’opinions, mettant fin aux débats ouverts. Les conséquences sont visibles dans certains pays comme le Brésil ou les États-Unis, où cette polarisation mène à un rejet des opinions divergentes, au détriment de la nuance et de la compréhension mutuelle.

Éducation à la donnée

L’éducation à la donnée prend différentes formes :

Éducation à l’actualité : former les élèves à vérifier les sources et à comprendre l’impact des algorithmes sur leur consommation d’informations. Cette approche vise à développer un esprit critique face aux contenus en ligne, en déconstruisant les mécanismes de filtres et de recommandations qui influencent leur perception du monde.
Ateliers pratiques : proposer des jeux éducatifs et des activités interactives encourageant une utilisation saine et consciente des technologies. Des ressources de la CNIL et d’autres partenaires éducatifs permettent aux élèves de mieux comprendre la protection de leurs données personnelles et l’importance de gérer leur identité numérique. Ces ateliers leur donnent des clés pour éviter les risques de fuite de données personnelles et les dérives potentielles, comme le renforcement de comportements à risque via les influenceurs et les plateformes.
Expérimentations sur le temps d’écran : en cours de SNT (Sciences Numériques et Technologie), des expérimentations ont été menées avec des élèves autour de la manipulation de leurs propres données de temps d’écran.
Visibilité des données : montrer aux élèves comment leurs données sont utilisées par des intelligences artificielles (IA) et les conséquences de leurs publications sur leur image.

L’éducation aux médias et la donnée

Isabelle Feroc Dumez, Maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, met en avant l’importance de l’éducation aux médias et à l’information, et maintenant à la donnée dans un environnement numérique complexe. En tant que directrice scientifique et pédagogique du CLEMI (Centre pour l’Éducation aux Médias et à l’Information), elle souligne les défis d’éduquer les jeunes aux algorithmes, aux recommandations et aux traces numériques, sans horaires dédiés ni formation systématique des enseignants sur le droit du numérique.

Les initiatives du CLEMI

Le CLEMI a lancé des projets pour mieux comprendre l’impact du numérique sur les jeunes :

  • Étude quantitative par Sophie Jehel  : analyse des préoccupations des jeunes. Selon Sophie Jehel, les jeunes sont souvent préoccupés par la façon dont les recommandations influencent leurs choix et comportements.
  • Étude qualitative par Anne Cordier : exploration des attitudes des jeunes face aux algorithmes et aux recommandations numériques. Anne Cordier parle d’"algolittératie" (la capacité de comprendre et de critiquer les algorithmes), domaine où les jeunes et les enseignants se sentent démunis.

Le projet se concrétise notamment dans la bande dessinée "Dans la tête de Juliette" qui traite de thèmes comme la nomophobie (peur panique d’être séparé de son smartphone) et l’impact des algorithmes.

Clés de lecture en EMI

Algolittératie, extrait diaporama Feroc Dumez

"Nouvelle féodalité" numérique
Cette expression, inspirée du sociologue Jacques Ellul, décrit les réseaux sociaux comme des "seigneuries numériques" qui exercent un pouvoir invisible et enferment les utilisateurs dans une sorte de dépendance. Les jeunes deviennent des "captifs" de ces plateformes, influencés et contrôlés, sans échappatoire aisée. Dans cet espace, ils acceptent les recommandations sans toujours les remettre en question, trouvant dans ces suggestions un certain confort et une reconnaissance sociale.

La "loi de Metcalfe" et la valeur des réseaux
Le concept de la loi de Metcalfe explique pourquoi ces plateformes sont si attractives pour les jeunes. Selon cette loi, la valeur d’un réseau augmente proportionnellement au carré du nombre de ses utilisateurs. Plus il y a de jeunes présents sur une plateforme, plus celle-ci devient précieuse, car elle multiplie les possibilités d’interaction, d’échanges et de contenus.

Les mécanismes addictifs
Les réseaux sociaux utilisent des mécanismes pour retenir les jeunes utilisateurs : récompenses, likes, notifications et une dynamique addictive qui les pousse à revenir sans cesse. Ils deviennent captifs de ce monde numérique où la recommandation se fait souvent au détriment de la diversité et du libre arbitre.

Le CLEMI vise à sensibiliser les jeunes et les éducateurs à ces enjeux pour leur permettre de mieux comprendre et maîtriser leur environnement numérique.

Réflexions sur la parentalité numérique

Les intervenants ont souligné l’importance de la communication entre parents et enfants au sujet de l’utilisation des smartphones. L’éducation doit être un effort collectif, impliquant les parents, l’école et la société dans son ensemble.

La question du temps d’écran provoque souvent des tensions et de l’inquiétude au sein des familles (cf "panique morale"). Pour alléger ce stress, il serait utile de créer des outils qui favorisent le dialogue et la compréhension entre parents et enfants, en vue d’une coéducation plus sereine.

Une prise de conscience collective : l’information, ça se paie !
Un autre enjeu crucial est de reformuler notre rapport à l’information. Trop souvent, jeunes et adultes s’habituent à la gratuité apparente, sans réaliser qu’elle se paie par la collecte et la monétisation de leurs données personnelles. Or, cette logique conduit à un appauvrissement de la qualité et de l’indépendance de l’information. Il est essentiel de promouvoir l’idée que payer pour une information libre et neutre nous permet d’être mieux informés, plus critiques, et d’échapper au rôle de simples consommateurs de contenu. En payant indirectement par nos données, nous perdons de la qualité et une part de notre liberté. Accepter la gratuité, transaction confortable, indolore car invisible, a un coût réel sur nos vies.

Interrogation : proposer des alternatives payantes pour mieux protéger les données, est-ce réaliste ?

Expérimentation de la "pause numérique" au collège Arthur Rimbaud.

« Le meilleur réseau social, c’est la cour de récréation », selon Cyrille Savary, principal du collège Arthur-Rimbaud dans la Vienne.

Le collège Arthur-Rimbaud à Latillé innove en devenant le premier établissement de la Vienne et le quatrième de l’académie de Poitiers, à instaurer une "pause numérique" pour ses élèves. Cette initiative vise à restreindre l’utilisation des téléphones portables sur le site scolaire, une décision qui a reçu un accueil favorable de la part des parents.

À partir de la rentrée 2024, l’utilisation des téléphones portables ne sera pas complètement interdite, mais les élèves devront s’en passer pendant leur temps à l’école.

Avec 440 élèves, le collège utilise largement les outils numériques pour enrichir l’apprentissage et dynamiser les méthodes pédagogiques. L’année dernière, des préoccupations concernant l’addiction des jeunes aux portables ont émergé (augmentation des problèmes liés aux téléphones, notamment dans les vestiaires, partage d’images inappropriées en hausse, nudes...).

Pour déterminer la meilleure manière d’implémenter cette pause numérique, le collège a mené une enquête auprès des parents et des élèves. Avec un taux de réponse de 70 %, une majorité des parents s’est déclarée favorable à cette initiative. En revanche, seulement 50 % des élèves étaient d’accord, et 78 % d’entre eux estimaient que la mesure était inutile.
La communauté ne souhaitait pas une interdiction stricte, mais plutôt un accompagnement dans l’utilisation du téléphone. Cela s’inscrit dans un travail plus large sur les compétences psychosociales (CPS) dans cet établissement.

Concernant la logistique, le collège a choisi de fournir des pochettes en tissu verrouillables pour stocker les téléphones. Ce système, qui a coûté environ 10 000 euros, permet aux élèves de garder leurs appareils sur eux, tout en s’assurant qu’ils ne peuvent pas les utiliser pendant les heures de classe, les récrés... Les enseignants disposent de moyens pour déverrouiller les pochettes pour des activités pédagogiques.
Par ailleurs, des paramètres ont été mis en place pour limiter la communication via Pronote entre 23h et 7h et interdire les messages SMS pendant le week-end.

La décision de restreindre l’usage des portables découle d’une loi de 2018 qui visait à interdire l’utilisation des téléphones dans les établissements scolaires, même si elle n’était pas toujours appliquée. À présent, aucun téléphone ne peut être utilisé en dehors des pochettes, ce qui représente un progrès. Toutefois, certains défis demeurent, comme le fait que les parents souhaitent souvent suivre la localisation de leurs enfants, et le besoin d’horloges dans les salles de classe, car beaucoup d’élèves utilisent leur téléphone comme montre.

Enfin, pour encourager l’interaction entre les élèves sans les écrans, le collège propose des activités alternatives comme des jeux de société, grands jeux d’extérieur ou un club de jardinage, qui visent à développer toutes les intelligences et à renforcer les compétences psychosociales des élèves.

Infographie collège Arthur Rimbaud

Dans les smartphones : les réseaux sociaux.

La question du greenwashing dans l’éducation est soulevée, notamment en ce qui concerne l’utilisation des réseaux sociaux en Occident. De nombreuses entreprises et institutions tentent de promouvoir des valeurs éducatives de manière superficielle, sans un véritable engagement envers l’éducation. Cela amène à se demander si les réseaux sociaux peuvent réellement être des outils d’apprentissage ou s’ils restent avant tout des plateformes de divertissement.

Certaines entreprises ou institutions cherchent à donner une image vertueuse sans réellement s’engager de façon concrète. Un exemple en est Xavier Niel, fondateur de Free et membre du Conseil de surveillance de TikTok, qui questionne la capacité des réseaux sociaux à être utilisés comme des outils éducatifs. Il compare TikTok en Occident, qui propose peu de contenu éducatif, à la version chinoise, un véritable outil de formation. En Chine, TikTok est un moyen puissant de diffuser des savoirs et de former les jeunes.

2. Expérimentations

Présentation du projet DPA (Digital Practices Awareness)

DPA : Digital Practices Awareness
Le projet DPA vise à sensibiliser les utilisateurs aux pratiques numériques et à l’impact de leur utilisation des technologies. Il repose sur la recherche menée par Hassina El Kechaï, maîtresse de conférences en informatique à l’unité Techné (Poitiers), en collaboration avec Marc Rigolot, directeur de la Fondation Maïf.

Contexte central : la régulation des pratiques numériques
Bien que des régulations externes comme les lois, les contrôles parentaux ou des tiers puissent être utiles, elles ne résolvent pas structurellement les problèmes liés à l’usage des technologies. Le projet propose d’introduire un mécanisme complémentaire : l’autorégulation des usagers.

9.Etude de données relatives aux temps d’écran

L’objectif principal est de promouvoir l’esprit critique et la réflexivité chez les utilisateurs, afin qu’ils prennent conscience de leurs comportements numériques. Pour ce faire, les chercheurs étudient les traces laissées sur les smartphones des utilisateurs, tout en respectant le RGPD.

Extrait de diaporama-Hassina El Kechaï

Stratégie de mise en œuvre :
Dans la Vienne, une expérimentation est menée auprès d’élèves de seconde en SNT (Sciences Numériques et Technologie). Dans ce cadre, des logiciels espions conformes au RGPD et avec autorisation parentale sont installés pour collecter des données. L’accent est mis sur la mesure des temps d’écran, notamment ceux passés pendant la journée, mais surtout la nuit, afin de comprendre l’impact de l’utilisation des smartphones sur le sommeil et l’attention des jeunes.

Les traces numériques sont collectées et analysées, puis restituées sous forme de tableaux de bord et visualisations. Ces outils visent à permettre aux utilisateurs de prendre conscience de leurs pratiques numériques et de s’autoréguler en conséquence. L’objectif est d’amener une prise de conscience qui favorisera une gestion plus responsable et réfléchie de l’utilisation des technologies.

Les chercheurs se sont tout d’abord penchés sur le concept d’attention. Ce concept est complexe et décliné en théories et nuances diverses.
L’étude a permis de mettre à jour 4 profils selon les traces.

Extrait de diaporama-Hassina El Kechaï

Conclusion :

Élève non régulé par les parents : une dette de sommeil qui explose, avec 130 heures cumulées sur 3 mois.
Élève régulé par les parents  : +13 heures de dette de sommeil seulement. Cependant, l’auto-régulation ne se développe pas dans ce cas. La dette de sommeil augmente de manière significative dès que le contrôle parental prend fin. Cela montre que sans une véritable autonomie dans la gestion de leur usage des smartphones, les élèves ne parviennent pas à se réguler eux-mêmes.

Retours sur les usages des adolescents du lycée Victor Hugo de Poitiers

Melina Solari, Chercheure associée à l’unité de recherche Techné (TECHnologies Numériques pour l’Éducation, Poitiers)

Public concerné : élèves de seconde en SNT, soit 59 élèves.

Méthodologie : "S’amuser avec les données"

Collecte de données à partir des smartphones des élèves.

3 étapes de l’atelier :

  • Présentation des données collectées : étude du vocabulaire, création d’un lexique.
  • Apporter du sens aux traces : comprendre concrètement ce que ces données représentent.
  • Élaboration des tableaux de bord personnels des élèves : suivi par des entretiens collectifs et individuels pour approfondir la réflexion.

Apparition de 4 profils d’élèves selon leurs interactions avec les données :

Extrait de diaporama-Melina Solari

Ces profils montrent une grande hétérogénéité dans la manière dont les élèves interprètent et réagissent aux données collectées.

"Qu’est-ce que ça veut dire être vigilant ?"
Les élèves se questionnent sur la vigilance à avoir. Ils évoquent la nécessité de lire les CGU et de comprendre les choix de cookies, mais se sentent souvent contraints d’accepter.
Ils soulignent qu’ils n’ont pas vraiment de choix dans l’acceptation des cookies, et expriment un sentiment de "captivité" par rapport au fonctionnement des plateformes.
Une conscience de l’abandon des données émerge, mais avec une confiance envers l’ENT (Environnement Numérique de Travail) de leur établissement. Certains évoquent toutefois la peur d’être tracés.

Attentes des élèves vis-à-vis de l’école :

Extrait de diaporama-Melina Solari

L’état des lieux montre que l’acculturation au numérique est réelle. Les élèves prennent conscience de l’impact de la captation des données.
Le bénéfice réel réside dans cette acculturation, mais la reflexivité reste la grande absente.
Aucun changement de comportement ou de régulation ne découle de cette prise de conscience.

Extrait de diaporama-Melina Solari

Conclusion des deux expérimentations.

Bien que ces activités permettent aux élèves de prendre conscience de leur usage du numérique et de la quantité de temps qu’ils passent sur leurs écrans (notamment la nuit), les résultats montrent que cette prise de conscience seule ne suffit pas pour induire un changement durable dans leurs habitudes. Les adolescents comprennent les données, mais cela n’entraîne pas nécessairement une réduction de leur consommation. Cela exprime la difficulté de passer d’une prise de conscience théorique à une véritable autorégulation.
Les échanges avec les élèves ont révélé un écart significatif entre la perception qu’ont les adultes des usages numériques des jeunes et la réalité de leurs pratiques. Sans une meilleure compréhension des pratiques réelles des élèves et de leurs attentes, aucun changement significatif ne pourra être opéré.

Conclusion de la journée
La journée a permis de dégager plusieurs bonnes pratiques et pistes d’action pour mieux encadrer l’usage des smartphones chez les adolescents. Les acteurs éducatifs doivent travailler ensemble pour créer un environnement sécurisé, où les jeunes peuvent naviguer de manière responsable.

Élément consensuel : l’utilisation d’un smartphone repose avant tout sur la perception de son utilité pour l’utilisateur, ainsi que sur le contrôle social exercé par ses pairs. La simple connaissance des risques n’est pas suffisante pour modifier les comportements.

=> Le coût cognitif des services proposés par les plateformes est très faible, avec un retour sur investissement immédiat et une récompense forte. En revanche, protéger ses données implique un coût cognitif élevé, avec un retour sur investissement lointain et incertain.

Alors, par quoi remplacer cela ? Une piste pourrait être de développer une éthique du renoncement : apprendre à renoncer à des choses qui procurent un plaisir immédiat, ce qui n’est pas facile.
Mais renoncer pourquoi ? Pour proposer des activités alternatives inspirantes et satisfaisantes.

La question se pose alors : est-ce un problème d’éducation, dans un monde où les enfants ne savent plus s’ennuyer ?

Et, aux vues des résultats des expérimentations, est-il inutile de faire de l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI)  ?
Non, ce n’est pas inutile. Bien que l’éducation aux médias et au numérique ne suffise pas à changer les comportements, elle est cruciale pour la construction d’une pensée holistique et des pratiques alternatives intéressantes et enrichissantes.