De l’échelle microscopique à l’échelle macroscopique : la mole : Tu quoque, fili ! ou le théorème du dernier souffle de César, problème que posait Enrico Fermi à ses étudiants. publié le 23/12/2008

Pages : 12

Précisons ce calcul. Quand César a expiré son dernier souffle en lançant à Brutus « Tu quoque fili ! », il a libéré disons un litre d’air, ce qui représente 6,02.1023/22,4 molécules aériennes, soit environ 2,7.1022 — Jeans en propose la moitié, mais n’oublions pas qu’il s’agit du dernier souffle de César et que le volume expiré s’apparente à celui d’une expiration forcée qui est de l’ordre du litre. Le volume de la troposphère (soit 80 à 90% de la masse totale de l’air) d’épaisseur moyenne 15 km est d’environ 7,5.1021 L, soit 2.1044 molécules — ce calcul présuppose une atmosphère thermodynamiquement homogène, ce qui est une hypothèse évidemment discutable, si bien que l’estimation de Jeans est certainement plus proche de la vérité. En revanche, l’hypothèse qu’il fait sur les molécules expirées par César qui seraient parfaitement distribuées dans toute l’atmosphère terrestre est des plus discutables. Ce qui pourrait faire cela, c’est la diffusion de ces molécules. Mais le coefficient d’autodiffusion de l’air étant de l’ordre de 10-5 m2s-1, la durée pour que ces molécules se diffusent dans toute l’atmosphère terrestre serait de l’ordre du milliard de... millénaires ! Quant aux convections, elles sont relativement orientées — vents dominants — et l’on voit mal comment elles pourraient disperser de manière homogène les molécules du dernier souffle de César dans toute l’atmosphère. Sans parler des réactions chimiques qu’elles ont dû subir depuis l’époque.

Mais passons, et acceptons avec réserve l’hypothèse de Jeans. Ainsi, statistiquement, il y aurait dans l’atmosphère actuelle une densité volumique de molécules du dernier souffle de César de 2,7.1022/7,5.1021, soit 3 à 4 molécules par litre. Chaque être humain aspirant en moyenne un demi litre d’air, une à deux molécules aériennes ayant transité dans les poumons de César pénètreraient dans les nôtres à chaque inspiration...

Le problème fondamental est que les molécules expirées par Jules César sont aujourd’hui indiscernables des autres — elles ne sont pas labellisées César — ne serait-ce qu’à cause du phénomène de diffusion. En ce sens, la physique a ici une politique de blanchiment de l’argent sale : il est théoriquement et techniquement impossible de savoir d’où vient l’argent blanchi. Aussi la question de savoir si nous respirons des molécules expirées par Jules César ne ressort qu’à un joli exercice de statistique, mais n’a pas vraiment de sens physique dans la mesure où ces molécules ont depuis longtemps « oublié » qu’elles sont passées par ces poumons... augustes — sans parler du discutable des hypothèses prises.