Vivre les maths ! publié le 17/03/2017  - mis à jour le 30/04/2018

Faire des maths autrement, c’est faire de l’abstraction une réalité.

Au collège Pierre Mendès France de la Rochelle (Charente Maritime), on ne se contente pas d’un Labo de Sciences, les professeurs ont voulu aller plus loin et déclencher une dynamique positive autour des mathématiques. C’est ainsi qu’ils ont créé un labo de maths pour faire de leur discipline un véritable champ d’expérimentation.

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Pour Matthieu Gaud et Cyril Redondo, professeurs de mathématiques et chercheurs à l’Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (http://irem.univ-poitiers.fr/portail/), l’apprentissage des mathématiques passe par la manipulation. Parce que manipuler des concepts ne suffit pas pour que les élèves se les approprient ; ces deux chercheurs ont eu l’idée de prendre dans la vie quotidienne des exemples concrets pour explorer différents thèmes : les aires, les durées, les prix, les longueurs, les angles et les volumes. Ces thèmes, ils les abordent dans différentes perspectives, cherchant à les comparer, les multiplier, les diviser, les mesurer et les soumettre aux calculs. Par ce biais, sont reproduits, tout au long de l’année, des gestes intellectuels, des raisonnements ; seul l’objet d’étude change. Par la répétition et l’expérimentation, le savoir se diffuse incidemment et l’élève mémorise et acquière les connaissances.

A quoi ça sert les maths ?

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Ce projet vise avant tout à redonner du sens aux apprentissages. Les maths à quoi ça sert ? S’interrogent les collégiens. Les maths sont partout répondent les enseignants … oui mais encore … Il faut donc rendre concret ce qui reste abstrait pour la plupart.
Historiquement, les mathématiques étaient enseignés à travers des problèmes concrets jusque dans les années 70 ; années durant lesquelles un virage s’opère, on passe alors aux mathématiques dites modernes, on enseigne le nombre comme étant le résultat d’une opération sans justifier son existence, bien loin des réalités quotidiennes. Mais pour Matthieu et Cyril c’est bien le cœur du problème, il fallait donc lutter contre la désarticulation des mathématiques avec la réalité tangible. C’est cette dimension plus concrète qui a voulu être restaurée à travers leurs travaux.

Développer du matériel

Pour ce faire, il faut s’intéresser fondamentalement à l’écologie d’une notion pour fabriquer le matériel qui permettra justement de l’expérimenter. Ce qui est intéressant c’est de savoir pourquoi on a besoin des outils et pour ce faire, il faut passer par les instruments comme des fausses équerres par exemple, pour comprendre ce qu’est un angle. Ainsi dans un premier temps il est nécessaire de fabriquer du matériel pédagogique adapté aux besoins de l’expérimentation, de la manipulation. Ce matériel va évoluer et va être utilisé différemment à différents niveaux en complexifiant les problèmes.

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Inventer des séquences

Ce matériel est ensuite utilisé dans le cadre de séquence pédagogique qui vont permettre aux élèves de s’impliquer, d’échanger des hypothèses et de valider collectivement les savoirs.
Prenons l’exemple d’une séquence avec des CM1 et CM2 visant à concevoir un objet qui va mesurer le temps. Les élèves ont conçu un sablier avec des bouteilles en plastiques et de la semoule. L’objectif de la séance : se familiariser avec les volumes. Aude Gandais leur professeur, leur demande de poser des hypothèses visant à mesurer le nombre de semoule écoulée durant un temps donné.

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Elle donne le départ, la musique de Pierre et le loup est lancée, les élèves manipulent leur sablier, Antoine et Anaïs regardent l’horloge, Amir et Ayoub comptent les secondes qui s’écoulent, Nolan et Naîm commencent à graduer le sablier.
La semoule se déverse, de façon plus ou moins fluide, Kenry rencontre des problèmes avec son matériel et s’évertue à accélérer le processus en forçant le passage de la semoule ; son sablier va en souffrir !
La musique s’arrête, Aude et Cyril interrogent les enfants pour recueillir leurs premières hypothèses concernant la mesure, les élèves doivent dépasser les notions de minutes et de secondes et mesurer le temps écoulé en l’associant à des volumes de semoule.
Des pistes sont données, chaque groupe discute, échange. Certains comme Mélissa, Nathan et Lenny se centrent sur les problèmes techniques qu’ils rencontrent.
Aude redonne le départ, la musique reprend ses droits, les enfants reprennent l’expérience.
Les enseignants ont capté leur attention, ils posent des hypothèses et les conclusions commencent à émerger.
A la fin de la séance les enseignants peuvent se rendre compte directement de la façon dont les élèves ses sont emparés de l’expérience.
Lorsqu’on leur demande la démarche qu’ils viennent de mener, les réponses tombent, Nolan dit qu’ils ont posé des hypothèses, Antoine parle de protocole et Anaïs affirme que la démarche qu’ils ont menée est une démarche scientifique. La prise de conscience est là, l’intérêt est suscité, les élèves se sont appropriés les connaissances. L’expérience est édifiante.

Additionner les talents

Mais créer de nouveaux outils, inventer des séquences ne suffit pas, pour transformer les méthodes d’enseignements il faut convaincre les autres enseignants de collège, mais aussi les professeurs des écoles et l’ensemble de la communauté éducative en créant une émulation inter cycle et inter niveau
Car réformer une méthode nécessite l’implication de tous pour penser autrement des méthodes d’enseignement historiquement très ancrées et relier geste intellectuel et geste manuel.
Outre la méthode, est apparue très rapidement, la nécessité d’une continuité des apprentissages entre les cycles. Pour que les notions soient apprises, comprises et manipulées correctement en fin de cycle 4, il est nécessaire que les notions soient abordées de façon progressive et cela dès le cycle 2. Il a donc fallu convaincre les collègues de primaire, persuader le proviseur du collège du bien fondé d’un travail collaboratif inter niveau et inter cycle allant du CM1-CM2 jusqu’à la 3e. L’aventure commence en 2008 au niveau 6e avec l’implication de deux professeurs, mais aujourd’hui ce sont l’ensemble des enseignants de mathématiques pour tous les niveaux du collège et les professeurs des écoles des cinq écoles du réseau Rep+ qui sont engagés dans l’expérimentation.
Pour créer du lien et expliciter leur démarche, Matthieu et Cyril sont allés intervenir lors de la semaine des mathématiques dans les écoles du réseau pour aller faire des problèmes avec les classes. Depuis, ils conçoivent le matériel pédagogique et le transmettent auprès des autres enseignants. Au delà du matériel nécessaire et des séquences pédagogiques, ils fournissent aussi aux enseignants chaque semaine des défis mathématiques et des exercices de calcul mental. Ces outils diffusés par Catherine Siquès, la coordinatrice Rep + , pallient au manque de temps des professeurs des écoles qui reçoivent ainsi des outils clé en main qu’ils peuvent expérimenter.
Une réunion de concertation, ouverte à tous, a lieu au collège une fois par période, ce qui donne lieu à un retour des enseignants de primaire auprès des deux chercheurs et par là même une véritable analyse de pratiques. Plus encore, ces échangent amènent à repenser les instruments, à remédier aux difficultés rencontrées et à envisager de nouvelles séquences pédagogiques. Catherine est le catalyseur du projet transformant l’expérimentation en une véritable aventure collective au sein du réseau Rep+.
L’échange ne s’arrête pas là, les élèves de primaire sont eux aussi venus visiter le collège et participer à la semaine des mathématiques et étaient partie prenante d’activités inter-niveau avec les classes de 5e et de 6e.

Transformer les élèves

On constate très rapidement que les élèves qui suivent ces enseignements sont plus actifs en classe, ils sont plus impliqués, plus concentrés apprennent en s’amusant. Or, comme le souligne les chercheurs de l’IREM (http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Maths_par_le_jeu/92/4/01-RA16_C3_C4_MATH_math_jeu_641924.pdf), « le jeu amène l’élève à raisonner : faire des choix, prendre des décisions, anticiper un résultat sont autant d’attitudes que l’on attend d’un élève lors de la résolution de problèmes ou de tâches complexes. Le jeu développe donc les prises d’initiatives des élèves. (…) Grâce à certains jeux, le professeur fait faire davantage d’exercices répétitifs avec ses élèves (tout en les motivant) qu’en donnant des pages de calculs à réaliser. Ce qui est attendu et souhaité c’est aussi une construction pérenne de ces automatismes de calcul. Le jeu facilite cette construction. »

Outre les méthodes pédagogiques innovantes et des outils adaptés, ce projet fonctionne car il part de l’hypothèse que les élèves ont une culture personnelle sur laquelle il faut s’appuyer pour créer le matériel et les exercices. Les enfants ont déjà une culture générale, une expérience de ce qui les entoure. Par exemple, le temps est une notion complexe lorsqu’il est expliqué ex nihilo, mais chaque être humain a déjà une expérience personnelle de ce qu’il est par le biais des lunaisons, des saisons, de la rotation de la terre. Or c’est aussi sur ces pré-notions que s’appuie le projet.

La réciproque des enseignants

De fait, les enseignants cherchent dans la vie quotidienne des applications des mathématiques. Ils sont désormais plus attentifs à ce qui les entourent et ont intégré le fait que l’appel à la technique opératoire nécessite un besoin, or sans besoin on ne peut pas être en mesure d’imposer une notion aux élèves.
Les chercheurs n’imposent pas aux autres enseignants leur vision, c’est collectivement que la réflexion se mène.

Diffusion

Certes jusqu’alors, le matériel pédagogique est construit par Matthieu et Cyril puis il est transmis aux écoles mais ce sont les professeurs des écoles qui s’en emparent et qui le font vivre. L’objectif, à plus long terme, est d’envisager une approche dans le même esprit pour le cycle 1 et le cycle 2 puis pour le lycée pour que les mathématiques redeviennent ce qu’ils sont, des outils d’analyse de notre réalité quotidienne, des objets à part entière nous permettant de mieux comprendre le monde qui nous entoure.
Au delà du réseau Rep+, cette expérimentation a donné lieu à l’édition de brochures IREM pour la 6e et le cycle 4 :
http://irem.univ-poitiers.fr/portail/index.php?option=com_content&view=article&id=147:enseigner-les-mathematiques-au-cycle-4-a-partir-des-grandeurs-les-longueurs&catid=53&Itemid=47
de publications sur Eduscol (http://eduscol.education.fr/cid99696/ressources-maths-cycle.html
Autant de moyens qui vont conduire d’autres enseignants à s’emparer de cette approche. Pour que demain les maths soient partout enseignées autrement.