Enrichir et valoriser le fonds poésie du CDI : vers un enjeu sociétal ? publié le 01/04/2019 - mis à jour le 30/04/2019
Stéréotypes et préjugés
Pour Jean-Pierre Siméon, les stéréotypes, lieux communs et préjugés récurrents nuisent à la compréhension des enjeux de la poésie. Dans ses essais, il cherche donc à les découdre. En voici plusieurs.
La poésie, ça rime ?
Dire que la poésie rime est non seulement réducteur mais de surcroît, ce n’est pas une condition suffisante.
En effet, d’une part, il existe bien d’autres formes poétiques comme :
les épopées, les chansons de geste, la fable, le dizain, le madrigal, le tombeau, le haïku japonais, le pantoum malais... mais aussi le vers libre, le verset, l’aphorisme ou la prose ! D’ailleurs, le caractère le plus constant de la poésie est son inconstance. (La vitamine P, p.26-27)
Et d’autre part, une rime, voire une abondance de rimes ne fait pas de la poésie. Il prend l’exemple « Ce matin, enfin, mon cousin Alain a pris un bain » dans lequel il y a de nombreuses rimes mais pas de poésie. (Aïe ! Un poète, p.32)
Ces stéréotypes participent à une compréhension erronée de ce qu’est la poésie.
La poésie, c’est joli ?
Avancer la beauté comme attribut principal est impropre car la poésie n’a pas pour vocation de véhiculer des valeurs morales ou de convoquer une langue esthétique.
Ni beau au sens moral
D’une part, parce que la poésie peut aussi être : la colère, l’incertitude, le doute, le désespoir, le découragement...
D’autre part, parce que la poésie ne fait pas la morale, elle ne livre pas un système d’explication du monde mais elle est d’abord un questionnement. (La vitamine P, p.9, 40)
Ni beau au sens formel (utilisation de la langue)
Enfin, il prend des exemples de vers de Jacques Prévert : « Ah ! Barbara, quelle connerie la guerre ! » (« Barbara », Paroles, Gallimard, 1946) ou de Jean Tardieu « L’étoile qui tombit, le cheval qui sautit » (« La belle fête », Le fleuve caché, Gallimard, 1968) et demande où est le beau de la langue.
Par contre, elle est avant tout, un bouleversement, un surgissement, une force qui va.
(La vitamine P, p.32)
La poésie, c’est le rêve ?
Enfermer la poésie dans quelque chose d’onirique, c’est la dénaturer, car, au contraire, pour lui, elle relève de la réalité et du vécu. Il dira d’ailleurs que le poète est un hyperattentif, un obsédé du réel. (La vitamine P, p.44)
(Aïe ! Un poète, p.17)
Loin d’être le rêve, la poésie parle de notre humanité mise à nue
(La vitamine P, p.39)
Nous le verrons plus loin mais cet ancrage dans le réel est l’intime lien avec les sciences et l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI).
La poésie « On n’y comprend rien » ?
Sur ce point, il est d’accord si l’on veut comprendre comme on comprend « passe-moi le sel » ou « un plus un égale deux ». (Aïe ! Un poète, p.16)
Seulement comprendre un poème c’est différent, il considère que c’est plutôt comme aimer, comme on aime une personne. Non pas en se disant, le doigt sur le menton : cette personne mesure tant, pèse tant, elle a les yeux de telle couleur, je l’aime ! (Aïe ! Un poète, p.43-47)
Comprendre un poème ce n’est justement pas tout comprendre mais percevoir l’écho qu’il produit en nous, d’ailleurs chaque lecteur peut avoir sa propre compréhension du poème. (La vitamine P, p.55-57)
Le poète, doux rêveur ?
A propos du mot poète, l’expérience de Jean-Pierre Siméon comme directeur du Printemps des Poètes lui a permis de soulever l’ampleur du travail de restauration du sens qu’il faut accomplir.
Il déplore les connotations mièvres, naïves ou lénifiantes (…) dans l’usage commun du mot poète, y compris dans les sphères décisionnelles et dans les milieux culturels et artistiques. (La poésie sauvera le monde, p.14-15)
Afin d’effacer cette image du doux rêveur, il le dépeint comme quelqu’un d’assez banal, il fait ses courses, a mal aux dents, se soucie du chômage et du sida. (Aïe ! Un poète, p.10-12)
Il note, cependant, une différence fondamentale avec tout-un-chacun, cette différence réside dans le fait qu’il prend le temps d’y penser, de s’interroger, d’en parler. Plus même, puisque c’est un obsédé du réel, cela lui permet de dire comment il comprend le monde, tout en indiquant que cette façon de comprendre le monde est à discuter et ce débat à partager. (La vitamine P, p.32)
Enjeu politique
Il va même beaucoup plus loin et considère cette piètre vision du poète comme un déni de poésie et en voit un enjeu politique :
(La poésie sauvera le monde, p18-19)
Poétique… vraiment ?
Il poursuit cette réflexion en insistant sur le poème et déplore l’utilisation du terme poétique pour tout et rien.
(La poésie sauvera le monde, p.19-20)