Bilan de matière : A tout seigneur, tout honneur : Antoine Laurent de Lavoisier. publié le 23/12/2008  - mis à jour le 21/08/2022

Antoine Lavoisier

Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794) est l’un des pères de la chimie quantitative moderne. On trouvera l’ensemble de ses écrits dans une édition numérique du CNRS.
Voici deux exemples de ces écrits,
le premier étant tiré du Mémoire sur la combustion (1862),
le second texte est tiré du Traité élémentaire de chimie (1864) de Lavoisier.


Mémoire sur la combustion (1862) :
« Premier phénomène
Dans toute combustion, il y a dégagement de matière du feu ou de la lumière.

Second phénomène
Les corps ne peuvent briller que dans un très petit nombre d’espèces d’airs, ou plutôt même il ne peut y avoir de combustion que dans une seule espèce d’air, dans celle que M. Priestley a nommée air déphlogistiqué, et que je nommerai ici air pur.
Non-seulement les corps auxquels nous donnons le nom de combustibles ne brûlent ni dans le vide, ni dans aucune autre espèce d’air, mais ils s’y éteignent, au contraire, aussi promptement que si on les plongeait dans de l’eau ou dans un autre fluide quelconque.

Troisième phénomène
Dans toute combustion, il y a destruction ou décomposition de l’air pur, dans lequel se fait la combustion, et le corps brûlé augmente de poids exactement dans la proportion de la quantité d’air détruit ou décomposé.

Quatrième phénomène
Dans toute combustion, le corps brûlé se change en un acide par l’addition de la substance qui a augmenté son poids : ainsi, par exemple, si l’on brûle du soufre sous une cloche, le produit de la combustion est de l’acide vitriolique ; si l’on brûle du phosphore, le produit de la combustion est de l’acide phosphorique ; si l’on brûle une substance charbonneuse, le produit de la combustion est de l’air fixe, autrement dit, de l’acide crayeux, etc. — je ferai observer ici, en passant, que le nombre des acides est infiniment plus considérable qu’on ne le pense.
La calcination des métaux est soumise exactement à ces mêmes lois, et c’est avec très grande raison que M. Macquer l’a considérée comme une combustion lente : ainsi, 1° dans toute calcination métallique il y a dégagement de matière du feu ; 2° il ne peut y avoir de véritable calcination que dans l’air pur ; 3° il y a combinaison de l’air avec le corps calciné, mais avec cette différence, qu’au lieu de former un acide avec lui il en résulte une combinaison particulière, connue sous le nom de chaux métallique.
Ce n’est point ici le lieu de faire voir l’analogie qui existe entre la respiration des animaux, la combustion et la calcination ; j’y reviendrai dans la suite de ce mémoire.
Ces différents phénomènes de la calcination des métaux et de la combustion s’expliquent d’une manière très heureuse dans l’hypothèse de Stahl ; mais il faut supposer avec lui qu’il existe de la matière feu, du phlogistique fixé dans les métaux, dans le soufre et dans tous les corps qu’il regarde comme combustibles : or, si l’on demande aux partisans de la doctrine de Stahl de prouver l’existence de la matière du feu dans les corps combustibles, ils tombent nécessairement dans un cercle vicieux, et sont obligés de répondre que les corps combustibles contiennent de la matière du feu parce qu’ils brûlent, et qu’ils brûlent parce qu’ils contiennent de la matière du feu ; or il est aisé de voir qu’en dernière analyse c’est expliquer la combustion par la combustion.
L’existence de la matière du feu, du phlogistique, dans les métaux, dans le soufre, etc. n’est donc réellement qu’une hypothèse, une supposition, qui, une fois admise, explique, il est vrai, quelques-uns des phénomènes de la calcination et de la combustion ; mais, si je fais voir que ces mêmes phénomènes peuvent s’expliquer d’une manière tout aussi naturelle dans l’hypothèse opposée, c’est-à-dire sans supposer qu’il existe de matière du feu ni de phlogistique dans les matières appelées combustibles, le système de Stahl se trouvera ébranlé jusque dans ses fondements.
On ne manquera pas sans doute de me demander d’abord ce que j’entends par matière du feu. Je répondrai avec Franklin, Boërhaave, et une partie des philosophes de l’antiquité, que la matière du feu ou de la lumière est un fluide très subtil, très élastique, qui environne de toutes parts la planète que nous habitons, qui pénètre avec plus ou moins de facilité les corps qui la composent, et qui tend, lorsqu’il est libre, à se mettre en équilibre dans tous.
J’ajouterai, en empruntant le langage chimique, que ce fluide est le dissolvant d’un grand nombre de corps ; qu’il se combine avec eux de la même manière que l’eau se combine avec les sels, que les acides se combinent avec les métaux ; et que les corps ainsi combinés et dissous par le fluide igné perdent en partie les propriétés qu’ils avaient avant la combinaison, et en acquièrent de nouvelles qui les rapprochent de la matière du feu...
...Pour éclaircir ce que cette théorie peut présenter d’obscur, faisons-en l’application à quelques exemples : lorsqu’on calcine un métal dans de l’air pur, la base de l’air, qui a moins d’affinité avec son propre dissolvant qu’avec le métal, s’unit à ce dernier dès qu’il est fondu, et le convertit en chaux métallique. Cette combinaison de la base de l’air avec le métal est démontrée, 1° par l’augmentation de poids qu’éprouve ce dernier pendant la calcination ; 2° par la destruction presque totale de l’air contenu sous la cloche. Mais, si la base de l’air était tenue en dissolution par la matière du feu, à mesure que cette base se combine au métal, la matière du feu doit devenir libre, et produire, en se dégageant, de la flamme et de la lumière. On conçoit que, plus la calcination du métal sera prompte, c’est-à-dire plus il y aura de fixation de la base de l’air dans un temps donné, plus aussi il y aura de matière du feu qui deviendra libre à la fois, et plus, par conséquent, la combustion sera sensible et marquée...
...Je pourrais appliquer successivement la même théorie à toutes les combustions ; mais, comme j’aurai de fréquentes occasions de revenir sur cet objet, je m’en tiens, dans ce moment, à ces exemples généraux. Ainsi, pour résumer, l’air est composé, suivant moi, de la matière du feu comme dissolvant, combinée avec une substance qui lui sert de base et en quelque façon qui la neutralise ; toutes les fois qu’on présente à cette base une substance avec laquelle elle a plus d’affinité, elle quitte son dissolvant ; dès lors la matière du feu reprend ses droits, ses propriétés, et reparaît à nos yeux avec chaleur, flamme et lumière.
L’air pur, l’air déphlogistiqué de M. Priestley est donc, dans cette opinion, le véritable corps combustible, et peut-être le seul de la nature, et on voit qu’il n’est plus besoin, pour expliquer les phénomènes de la combustion, de supposer qu’il existe une quantité immense de feu fixée dans tous les corps que nous nommons combustibles, qu’il est très probable, au contraire, qu’il en existe peu dans les métaux, dans le soufre, dans le phosphore et dans la plupart des corps très solides, très pesants et très compactes ; et peut-être même qu’il n’existe dans ces substances que de la matière de feu libre, en vertu de la propriété qu’a cette matière de se mettre en équilibre avec tous les corps environnants.
 » pp. 226-231.


Traité élémentaire de chimie (1864).
Le second texte est tiré du Traité élémentaire de chimie (1864) de Lavoisier.
« On a vu que l’air de l’atmosphère était principalement composé de deux fluides aériformes ou gaz, l’un respirable, susceptible d’entretenir la vie des animaux, dans lequel les métaux se calcinent et les corps combustibles peuvent brûler ; l’autre, qui a des propriétés absolument opposées, que les animaux ne peuvent respirer, qui ne peut entretenir la combustion, etc. Nous avons donné à la base de la portion respirable de l’air le nom d’oxygène, en le dérivant de deux mots grecs όξύς, acide, γείνομαι, j’engendre, parce qu’en effet une des propriétés les plus générales de cette base est de former des acides en se combinant avec la plupart des substances.
Nous appellerons donc gaz oxygène la réunion de cette base avec le calorique. Sa pesanteur dans cet état est assez exactement d’un demi-poids de marc par pouce cube, ou d’une once et demie par pied cube, le tout à 10 degrés de température et à 28 pouces du baromètre.
Les propriétés chimiques de la partie non respirable de l’air de l’atmosphère n’étant pas encore très bien connues, nous nous sommes contentés de déduire le nom de sa base de la propriété qu’a ce gaz de priver de la vie les animaux qui le respirent, nous l’avons donc nommé azote, de l’α privatif des Grecs, et de ζωή, vie ; ainsi la partie non respirable de l’air sera le gaz azotique. Sa pesanteur est de 1 once 2 gros 48 grains le pied cube, ou de 0 grain, 4444 le pouce cube.
Nous ne nous sommes pas dissimulé que ce nom présentait quelque chose d’extraordinaire ; mais c’est le sort de tous les noms nouveaux ; ce n’est que par l’usage qu’on se familiarise avec eux. Nous en avons d’ailleurs cherché longtemps un meilleur, sans qu’il nous ait été possible de le rencontrer ; nous avions été tentés d’abord de le nommer gaz alcaligène, parce qu’il est prouvé, par les expériences de M. Berthollet, comme on le verra dans la suite, que ce gaz entre dans la composition de l’alcali volatil ou ammoniaque ; mais, d’un autre côté, nous n’avons point encore la preuve qu’il soit un des principes constitutifs des autres alcalis ; il est d’ailleurs prouvé qu’il entre également dans la combinaison de l’acide nitrique ; on aurait donc été tout aussi fondé à le nommer principe nitrigène. Enfin, nous avons dû rejeter un nom qui comportait une idée systématique, et nous n’avons pas risqué de nous tromper en adoptant celui d’azote et de gaz azotique, qui n’exprime qu’un fait ou plutôt qu’une propriété : celle de priver de la vie les animaux qui respirent ce gaz
. » pp. 48-49

Le symbole N utilisé pour l’azote a quant à lui une origine anglo-saxonne, ce gaz étant désigné par nitrogen en anglais, ce qui étymologiquement signifie « faiseur de nitre » à savoir de salpêtre (nitrate de potassium KNO3).