La référence en arts plastiques - une place ou une relation publié le 29/06/2022

Ici, la question de la place de la référence est envisagée seulement à partir d’observations éparses réalisées cette année au contact d’élèves de lycée (seconde et terminale enseignement de spécialité). Les considérations ci-dessous n’ont donc pas de solidité théorique particulière : elles sont le fruit d’un constat et d’une analyse personnelle. L’objectif est modestement de partager une expérience vécue sur la question de la place de la référence en cours d’arts plastiques. Elle est évidement ouverte à la critique et au dialogue.

Premier élément : si les moments de présentation en classe d’une référence (ou de plusieurs) sont souvent, en tant qu’enseignant, des temps particulièrement plaisants, c’est parce qu’ils sont ceux pendant lesquels on peut offrir aux élèves la possibilité de produire un recul réflexif particulier pour comprendre que leurs productions sont reliées, de bien des manières, aux œuvres reconnues dans un ou plusieurs champs artistiques. Ainsi, si étymologiquement, l’intelligence est cette capacité à faire des liens ou à relier (inter et ligare), à tisser les choses entre-elles (idées, objets, évènements), alors, le moment de la présentation d’une ou plusieurs références est un temps pédagogiquement crucial dans lequel on facilite l’accès de l’élève à la compréhension d’une notion, d’un enjeu, d’une question artistique par la mise en relation de son travail avec la référence présentée.

Deuxième élément : toutefois, si on se place du côté des élèves, tous n’envisagent pas ces temps où les références surviennent comme des moments permettant un retour réflexif sur leur production personnelle. Bien souvent – et peut-être est-ce lié à une expérience passée – la référence va être comprise et vécue comme « ce qu’il faut apprendre » - sous-entendu retenir, de manière très « scolaire » pour être redonnée, plus tard, dans l’hypothèse d’une évaluation de connaissances des plus « classiques ». Les stéréotypes sont parfois très ancrés !
Dès lors, d’où vient le contraste entre l’intention pédagogique de l’enseignant et la réception des élèves sur cette question de la place de la référence et de son intérêt dans la formation des élèves ? De toute évidence, on peut penser cette place – ou plutôt sa position - à plusieurs instants, dans l’espace-temps des apprentissages – et tenter de comprendre ce qu’elle engage, pour l’élève, dans son contact avec le fait artistique et son rapport plus général aux questions de culture.

Exposé d'élèves et utilisation de références pour traiter une question sur le statut de l'artiste.

Exposé d’élèves et utilisation de références pour traiter une question sur le statut de l’artiste.

La généralisation ne saurait décrire la réalité d’une situation. Toutefois, si les élèves font le choix de continuer à suivre un enseignement d’arts plastiques au lycée, c’est bien, d’abord pour les pratiquer. Pour les élèves, ce qui est parfois plus compliqué à accepter, c’est que la référence va nourrir leur pratique, approfondir le sens de leur travail, consolider les intentions et les intuitions – en somme, produire de l’intelligence (une nouvelle fois, au sens étymologique du terme). On parle bien ici de référence et non « d’inspiration » (nous évoquerons plus bas la question de Pinterest, Instagram etc.).

Comment expliquer cette difficulté à accepter la référence comme constituant d’une pratique plastique réfléchie ? Un élément de réponse se trouve peut-être dans la représentation que les élèves se font de ce terme, autrement dit, dans le sens qu’ils lui donnent. En effet, à mon sens, deux acceptions du terme sont en jeu : l’une est topologique, l’autre est relationnelle.

Exemple de travail d'une élève mettant en lien ses travaux réalisés cette année, le projet poursuivi et les références en relation à ses travaux.

Exemple de travail d’une élève mettant en lien ses travaux réalisés cette année, le projet poursuivi et les références en relation à ses travaux.

Dans la première acception, la référence implique d’être aussi un lieu, un emplacement, un topos. C’est pourquoi lorsque l’on fait référence à quelque chose (ici, une œuvre, un artiste…), on établit de fait une distance qu’il s’agit désormais de mesurer entre l’objet devant nous (la production de l’élève) et la référence. Ainsi, il me semble que certains élèves reçoivent la référence comme un point inatteignable, un pôle autour duquel ils graviteront sans cesse : l’élève inaugure alors un écart qu’il pense ne pas pouvoir combler, installe une situation figée qui constitue, entre sa production et l’œuvre, une altérité infrangible et une distance qui ne pourra être rabattue. Dans cette conception, la référence s’impose avec autorité et n’offre pas la possibilité d’aborder la référence dans sa dimension constructrice et émancipatrice.

Dialogue en classe sur des références

Dialogue en classe sur des références

La deuxième acception, relationnelle, me semble bien plus favorable aux apprentissages. Il s’agit ici de considérer la référence comme l’opportunité d’un rapport. Dans ce rapport se déploient ce que je nomme des « filiations génératives » : ce qui est en jeu, c’est une dynamique résolument équivoque qui va de l’un à l’autre (production vers l’œuvre, œuvre vers la production et par rebonds, vers d’autres œuvres ou vers d’autres productions). La référence vue comme un rapport ou relation offre ainsi aux élèves la possibilité d’un mouvement exploratoire dans le champ des arts. L’ambition n’est pas de situer sa propre production par rapport à des oeuvres mais de nouer des relations avec elles, dans une dynamique d’élargissement constant, d’ouverture aux champs artistiques et à leurs innombrables occurrences.

Reste à aborder brièvement la nature de la référence elle-même. Ici réside souvent l’écart entre deux types de culture, l’une dite artistique, l’autre dite visuelle. Au risque d’être caricatural, on signifie ici la culture dite savante en opposition à la culture dite populaire autrement dit la culture légitime dissociée de celle qui ne le serait pas.

« Coups de cœur artistique » : chaque semaine, les élèves partagent ce qu'ils ont vu et apprécié sur un dossier partagé.

« Coups de cœur artistique » : chaque semaine, les élèves partagent ce qu’ils ont vu et apprécié sur un dossier partagé.

Constat : il se peut que l’on propose à des élèves une référence sous la modalité du rapport mais le jeu qui s’instaure entre la référence proposée avec la production de l’élève ne soit pas toujours acceptée (par les élèves) : pour certains, entendre que leur travail relève, sur certains plans, des mêmes logiques que celles de A.Watteau, R.Dufy, B. Piffaretti, S.Polke ou de P.Ardouvin (ou de n’importe quelle autre référence - contemporaine ou ancienne) ne provoque pas forcément l’adhésion ni le transport et ne permet pas de réaliser le rapport souhaité entre le travail et l’oeuvre. En d’autres termes, mettre à disposition un matériel culturel facilitant la prise de conscience de certains enjeux ou de questionnement artistiques n’est parfois pas accepté. Souvent, l’élève aurait bien préféré que l’on valide la ressemblance formelle entre son travail et son « inspi » (inspiration).

Références d'élèves

Références d’élèves

Celle-ci relevant fréquemment d’une imagerie poético-figurative reposant sur des stéréotypes réconfortants ou sur des maitrises techniques d’un académisme dix-neuvièmiste mis à jour. Or c’est précisément à l’endroit de cette difficulté que l’enseignant doit veiller à établir un lien entre la « référence Pinterest » et la « référence Phaïdon » (ou Les Presses du Réel) et de bien comprendre l’ambition de démocratisation culturelle que son enseignement porte. Il s’agit donc, non de disqualifier les « inspi » mais de les intégrer dans un champ plus vaste, et notamment artistique, afin que chaque occurrence y trouve sa place mais aussi sa valeur. Cette disponibilité à ce qui n’est justement pas artistique, et la capacité de dialoguer sur ces bases et de proposer des liens vers des oeuvres doit permettre à l’enseignant « d’accrocher » l’élève aux questionnements artistiques en lui permettant de circuler dans un champ ouvert de références dont l’ambition n’est pas d’être immensément étendu mais d’être particulièrement opérant. Cette piste possible veut seulement faciliter l’accès à l’artistique en le distinguant de l’efficacité visuelle et permettre à l’élève de construire sa propre idée de la différence entre ce qui est donné à penser par rapport à ce qui est seulement donné à voir.