Sortir le travail de sa nuit publié le 27/02/2024

Une exposition collective au CCCOD de Tours, du 16 février au 1er septembre 2024

Rendre visible les Invisibles ou désinvibiliser les Invisibilisé·es, voici des termes qui sont devenus des nouveaux axes thématiques de l’art contemporain, de nouveaux poncifs pourrait-on dire. On ne compte plus les textes de présentation, cartels d’œuvres ou notices biographiques d’artistes qui explicitent l’engagement des plasticiens à redonner de la visibilité aux communautés invisibles.

DEKYNDT Edith, One second of silence (part 1, New York), 2008

DEKYNDT Edith, One second of silence (part 1, New York), 2008

Le Centre de création contemporaine Olivier Debré de Tours propose une exposition intitulée Sortir le travail de sa nuit et s’intéressant à la part de travail qui est tenue dans l’ombre et qui structure pourtant l’ère du capitalocène.
Pariant sur le fait que nous ne pouvons prendre conscience que de ce qui nous est donné à voir, les œuvres de Bertille Bak, Romina de Novellis, Edith Dekyndt, Jeremy Deller, Julien Discrit, claire fontaine, Olivier Garraud, Elisa Giardina Papa, Juliette Green, Lauren Huret, Bouchra Khalili, Kapwani Kiwanga, Anna Kutera, Celsian Langlois, Martin le Chevallier, nøne futbol club, Martha Rosler et Basil Träsch, justement scénographiées par les commissaires Delphine Masson et Marine Rochard, nous réassocient à une chaîne de production capitaliste qui a pris l’habitude de ne faire émerger que la partie "communicable" de la fabrication et de la mise en circulation d’un produit.

Ainsi, les pièces de Juliette Green, à travers un vocabulaire visuel et textuel, nous expliquent combien de personnes sont mobilisées pour la fabrication d’un sandwich alors que l’installation de Celsian Langlois diffuse des voix féminines qui "orchestrent" le bon déroulement technique d’un opéra, voix qui durant la représentation resteront inaudibles mais indispensables.

L’exposition se poursuit derrière les bannières de l’artiste britannique Jeremy Deller, vers les vidéos de Martin le Chevallier, Lauren Huret et Elisa Giardina Papa qui s’intéressent aux formes de prolétarisation spécifiques au monde numérique (trolls, clickworkers, modérateurs de contenus, etc.)

Plus loin, une pièce historique de l’américaine Martha Rosler, Semiotics of the kitchen, de 1975 et Feminist paintings de la polonaise Anna Kutera questionnent le travail domestique assigné au genre féminin ou le genre féminin assigné au travail domestique.

Le spectateur découvrira également les vidéos de Bertille Bak (qu’on peut voir également en ce moment au Jeu de Paume à Paris dans une très belle exposition), qui détournent le processus de production d’une marque de crevettes pêchées aux Pays-Bas, décortiquées au Maroc et réexpédiées aux Pays-Bas, pour produire des artefacts néerlando-marocains avec les yeux des crustacés (seule partie non exploitable), les drapeaux de "gilets de haute visibilité" du collectif claire fontaine ou encore les textes d’Olivier Garraud et nøne futbol club.

Loin de se fondre dans un discours stéréotypé, l’exposition met en exergue des propositions artistiques, qui, la plupart du temps, jouent d’un aller-retour entre les structures, c’est à dire qui proposent à la fois la distance critique propre à l’œuvre d’art qui ne se cantonne pas au documentaire en même temps que d’être puisée "de l’intérieur" dans les expériences vécues d’artistes investiguant le champ du travail, par choix et/ou nécessité.