Compte-rendu de l'exposition Icono de... publié le 02/01/2022

Flore Kunst-ICONO

PARCOURS

Flore Kunst est passionnée par les iconographies de bandes dessinées, de magazines et de livres depuis l’enfance. Enfant, elle aime également dessiner et créer. Les images imprimées des années 50-70 sont la base de son travail. Elle les trouve dans des revues, des livres de ses grands-parents ou dans les archives familiales.

Flore intègre l’école Emile Cohl, une école d’art privée à Lyon dans laquelle elle y développe sa technique de dessin (bandes dessinées, dessin animé, d’après modèle, etc...). Mais cet apprentissage académique ne lui convient pas, elle ne se sent pas dans son élément. Elle ressent une envie de créer autrement que pour des commandes et souhaite exprimer sa créativité afin de développer un travail artistique.

Elle teste l’illustration numérique et, en parallèle, engrange des travaux personnels de recherche. Son défi est de réussir à développer ses créations sans se servir de sa technique de dessin qui l’empêche de s’exprimer entièrement .
Elle commence alors le collage qui n’est pas le plus reconnu des médiums dans le milieu de l’art français. Celui-ci est plutôt vu comme un déclencheur pour l’émancipation d’autres techniques (dessin, peinture...). Le collage souffre parfois même d’être assimilé à une technique, une expressivité pratiquée dans les petites écoles mais qui est délaissée en tant que moyen d’expression artistique à part entière.

DÉMARCHE

Depuis 2 ans, Flore Kunst revient à des techniques académiques de dessin et peinture par le biais du collage. Elle compose d’abord une image source en découpant du papier et la reproduit ensuite en peinture.
Ses séries Fragments ou Evanouie sont en lien direct avec le collage et la peinture qui, si elle emprunte, du point de vue technique, à des savoir-faire académiques, s’en éloigne dans les thèmes proposés. Elle aborde l’idée du collage avec un médium différent (peinture, puzzle).

Flore ne s’impose qu’ une seule contrainte dans son travail : elle n’utilise aucune image provenant d’internet. Elle pioche dans des magazines devenus des encombrants abandonnés par les gens, et procède ainsi à une sorte de recyclage artistique. Ces images sont sans valeur marchande : des revues sur des ménagères, de vieux Paris Match ou encore ces revues post-guerre françaises qui reprenaient l’iconographie des pin-up américaines.
Elle recherche également une certaine poésie, une esthétique (couleurs, papiers, textures, impressions, motifs), ou un aspect politique dans les images.
Son travail participe aussi d’une approche historique. Les images représentent la société occidentale des années 50-70 que le public de 2021 découvre ou redécouvre. Ces clichés capturent une certaine élégance, une expressivité naturelle et une fragilité dans les sourires de ces figures populaires. A travers celles-ci, nous pouvons essayer de décrypter une société de l’image dans laquelle nous évoluons aujourd’hui et son contrôle omniprésent des iconographies (images retouchées, retravaillées, photoshopées, codifiées).

QUELQUES ŒUVRES

Cartographie est une cartographie mentale d’images du passé. Flore construit une sorte de mosaïque de fragments d’images restés en mémoire. Les carrés de couleurs primaires font référence aux artistes modernes tels que Mondrian, Calder ou encore Lichtenstein. Ces couleurs ayant construit toute l’histoire de l’art (peinture, photographies, images imprimées), qui une fois mélangées, donnent accès à l’entièreté du spectre des couleurs. Il y a dans ce travail plusieurs liens à faire. Tout d’abord un lien entre les images (thèmes qui se rejoignent , images décomposées par le mouvement). Un lien poétique, historique et politique. Un jeu visuel et graphique (formes, motifs). Enfin, un lien avec le surréalisme (mélange d’univers antagonistes différents afin de créer une nouvelle lecture, une nouvelle histoire, une rêverie politique ou poétique).

La chambre est une installation en volume. L’impression des portraits doubles est placée dans des cubes en bois, sur des plexiglass mis en lumière. Les lumières de couleurs pop (qui peuvent faire écho à Andy Warhol), rappellent également les vitraux de la chapelle. Les portraits sont issus d’un manuel de photographies des années 60 regroupant des portraits photographiques d’une même femme, sous des angles, des lumières et des focus différents. Cette œuvre évoque l’idée du double (la double personnalité ou l’apparence/ l’intériorité ou encore le double portrait).

RÉFÉRENCES et INSPIRATIONS

Le collage est une démarche consistant à prendre des sources d’images que l’on crée soit même ou que l’on va récupérer et que l’on confronte les unes aux autres avec des fragments ou par du montage (images transformées, composées). Flore Kunst, lors de sa formation artistique, découvre et s’inspire des précurseurs du collage (les cubistes, dadaïstes, surréalistes) comme Pablo Picasso, Georges Braque, Hannah Höch ou encore Kurt Schwitters) qui ont tous contribué à développer le collage durant le premier quart du XXème siècle (les moyens d’expression, durant la première guerre mondiale étant restreints, les artistes trouvèrent dans le collage, une manière plus simple et directe de s’exprimer).
Flore Kunst se réfère à des artistes tels que John Baldessari, un artiste conceptuel au sortir du pop art qui manie l’autodérision par rapport à son propre travail artistique. Son travail repose sur de la récupération iconographique cinématographique, de la photographie, du texte, qui sont traités de manière graphique (rupture, lignes géométriques).

Sa série Champs de bataille est inspirée de l’artiste engagée Barbara Kruger qui produit un travail essentiellement militant et graphique (création de slogans, de typologies et de découpages aiguës) aux résonances féministes.

EXPOSITION

En tant qu’artiste exposant, Flore a dû faire de multiples choix de mise en espace. Tout d’abord en prenant en compte l’Histoire et la mémoire du lieu d’exposition, la chapelle des Dames Blanches. Ce lieu désacralisé n’est tout de même pas anodin et peut provoquer des réactions auprès de certains visiteurs, de par la présence des œuvres montrant des femmes dénudées et d’un érotisme dévoilé. Le lieu et l’exposition s’opposent (contraste entre la nudité et la pudeur religieuse) et se rejoignent à la fois (les vitraux, ces fragments résonnent et sont un autre type de collage). Nous pouvons également mettre en parallèle ces Dames Blanches (chapelle) et les peintures (Évanouie 1, 2 et 3). Flore porte un regard critique mais respectueux sur sa propre éducation catholique qui a forgé notamment une connaissance des images.

Un artiste qui expose doit construire des univers distincts tout en créant une harmonie générale dans l’exposition, créer un rythme dans les accrochages (d’où l’importance du vide), ne pas les rendre ennuyeux et linéaires, sculpter l’espace par rapport aux formats et prendre du recul sur la mise en valeur des œuvres (la présence d’un regard différent de l’artiste sur l’exposition est nécessaire). Le choix des supports rentre également en jeu (comment est-ce que j’accroche ?), l’artiste doit prévoir des éventuelles difficultés techniques et se laisser une part d’improvisation. L’exposition peut être pour l’artiste, un moyen de concrétiser des idées d’installations et devenir exploratoire. Il s’agit à la fois d’une opportunité de création supplémentaire qui doit prendre acte des contraintes imposées par l’espace d’exposition.

THÉMATIQUE

Dans son travail, Flore interroge l’histoire, l’intimité et la vie de ces gens anonymes photographiés (que ce soit pour de la technique de photographie, de la publicité ou des images à caractère érotique). Elle remet au premier plan l’humanité des personnes photographiées et leur redonne une seconde vie à travers sa discipline artistique.
Flore a également pour but de faire dévier le regard du spectateur de la vision de la femme-objet que donnent à voir les images érotiques qu’elle emploie. Elle souhaite changer la vision du public sur des images d’époques dites misogynes. Par les fragments de papier, Flore transforme, montre et cache à la fois le corps de ces pin-up qui assument leur côté désirable et leur sexualité. Elle leur redonne une seconde vie, les met en valeur autrement que par l’érotisme. Nous pouvons voir cela comme une certaine démarche féministe. En effet, elle s’identifie en partie à l’engagement féministe. Son travail se concentre sur le corps féminin et est une sorte de revendication indirecte des droits des femmes. Son exposition s’adresse à tout type de public et fait réfléchir sur le statut des femmes et sur l’acceptation de son corps, sur les choix de nos sexualités et de nos identités.

Texte de Déva Milon et Johanne Rabeau

L’exposition Icono de Flore Kunst est à découvrir jusqu’au 30 janvier 2022 à la Chapelle des Dames Blanches