Etude d'une œuvre de propagande nazie publié le 22/01/2011

Le Triomphe de la volonté (Triumph des Willens), Leni Riefenstahl, 1935

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Le Triomphe de la volonté, un documentaire du Congrès du Parti du Reich ?

Le film est présenté lors du générique d´ouverture comme « Le documentaire du Congrès du Parti du Reich » (chapitre 1), comme s´il s´agissait d´un simple compte-rendu factuel de ce qui s´est passé. Si l´on en croit l´étymologie de « documentaire » cela aurait donc valeur d´une preuve, qui se différencierait d´un mensonge, d´une construction… donc, qui ne serait pas une œuvre de propagande. Ce sera à partir de 1945 l´argument de Leni Riefenstahl pour se disculper de toute allégeance au NSDAP : « Le film ne contient aucune scène reconstituée. Tout y est vrai (…) C´est l´histoire, un pur film historique, je précise c´est un film-vérité. Il reflète la vérité de ce qu´était en 1934, l´histoire. C´est donc un document, pas un film de propagande. » (interview de Michel Delahaye, « Leni et le loup » in Cahiers du Cinéma, # 170, Septembre 1965)
Cependant le documentaire sous le régime nazi joue précisément un rôle idéologique très particulier. Si les nazis jettent leur dévolu sur les productions audiovisuelles non fictionnelles, c´est que pour eux leur vision du monde ne peut réellement et totalement s´exprimer dans la fiction. À la recherche d´une légitimité culturelle, les nazis comprennent qu´elle ne peut provenir que de la science et sous sa forme artistique : le documentaire, car seul le documentaire sera considéré comme sérieux / objectif pour le public qu´ils comptent séduire.

Pour Goebbels, l´apparente subjectivité du documentaire est un gage de vérité et de persuasion irremplaçable. À l´arrivée du NSDAP au pouvoir, cette croyance du public de la véracité intrinsèque du documentaire pouvait être d´autant plus forte que, pendant la République de Weimar, la production documentaire doit son renom à son objectivité, à son sérieux. Cette démarche pédagogique, ce savoir faire scientifique, seront récupérés par les nazis (comme la totalité d´une industrie cinématographique nationale de très grande qualité). Cela explique l´importante production de « kulturfilm », court-métrage documentaire culturel (traitant de l´archéologie, de la médecine, de l´art etc.) dont la grande diffusion est favorisée par la loi de 1936, faisant précéder obligatoirement tout film de fiction d´un ou deux courts métrages documentaires. En cela le film de Riefenstahl représente une particularité car il est l´un des rares long-métrages documentaires produit en Allemagne lors de la période nazie (avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale).
De plus, comme le rappelle C. Delage, « les documentaires réalisés entre 1933 et 1945 sont entièrement pris en charge par des réseaux de production et de distribution soumis à l´administration nazie et ont pour fonction d´intervenir dans le champ d´action politique et de la vie quotidienne allemande : ils constituent une expression autonome et complémentaire du National Socialisme comme système de gouvernement et de représentation » (in op.cité, p.16).
Qui plus est, dès le début, Leni Riefenstahl a vu son œuvre comme un film héroïque montrant « par la volonté du Führer que son peuple a vaincu ». Un film « produit » comme nous le rappelle le générique « sous ordre du Führer » (chapitre 1).