L’élève placé dans la situation du peintre pour comprendre l’œuvre : Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV publié le 27/05/2008  - mis à jour le 06/07/2016

« Analyser une œuvre d’art en cours d’arts plastiques- Classe de 6ème »

Je souhaite faire analyser l’œuvre de Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV, roi de France, 1701, par une classe de 6 ème.
Cette œuvre abordée en cours d’histoire ne leur est pas étrangère. Elle a souvent été vue à l’école primaire. Cependant, l’approche qui est en faite durant le cours d’histoire et le cours d’arts plastiques est différente. Une approche vient alors compléter l’autre pour que le regard de l’élève sur l’œuvre soit enrichi.

Hyacinthe Rigaud, Louis XIV roi de France, 1701

Hyacinthe Rigaud : " Louis XIV, roi de France", 1701, Huile sur toile,
279 x190 cm, Musée du Louvre

Afin de permettre à l’élève de saisir l’enjeu de ce portrait, je souhaite placer l’élève dans une situation proche de celui du peintre, qui, voulant magnifier son modèle, va être obligé de faire des choix plastiques pour servir son intention.

Lien avec le programme

« L’image : les questions se rapportant à l’image sont posées à partir des réalisations des élèves et des reproductions d’œuvres d’art venant à l’appui du cours. Le professeur fait voir et analyser les images du point de vue spécifique des arts plastiques. »

« Acquisition de repères à partir des œuvres :
Chaque travail est l’occasion de mettre l’élève en relation avec le champ artistique en lui faisant découvrir des oeuvres et des démarches d’artistes contemporains et d’époques passées. (…) Cette articulation permanente de la pratique avec les oeuvres fait progressivement acquérir à chaque élève une culture artistique. »


Le dispositif

L’œuvre à analyser n’est pas montrée aux élèves au début de la séquence : la pratique, ici, est nécessaire à posteriori, puisqu’elle est une expérience pour l’élève lui permettant de comprendre et mettre en évidence (en les verbalisant) les enjeux de l’œuvre.
Cette analyse ne fera alors pas l’objet d’un cours magistral de la part de l’enseignant, mais l’objet d’un apprentissage durable pour l’élève car il l’aura « vécu » et non « subit ». L’enseignant aura à conduire et éventuellement compléter cette analyse dont l’essentiel sera mis en évidence par les élèves.

Objectif

Faire des choix plastiques pour servir une intention, pour, in fine, être capable de comprendre les choix plastiques opérés par Hyacinthe Rigaud dans Portrait de Louis XIV, roi de France .

Compétences

1) Concernant la pratique

  • Compétence artistique :
    Interroger le rapport qu’entretient sa production avec le référent et avoir une approche sensible de la réalité.
  • Compétence méthodologique :
    Identifier un problème et mettre au point une démarche de résolution durant le temps de pratique.

2) Concernant l’analyse de l’œuvre :

  • Compétences culturelles :
    Savoir décrire la nature d’une reproduction d’oeuvre d’art, de sa production ou de celles de ses camarades en maîtrisant le vocabulaire spécifique.
    Se construire des repères dans la relation avec les références artistiques.

Demande : Je suis le plus beau, le plus grand, le plus fort.

Contrainte : utilisation de signe, de logo, de chiffre, ou de mot interdite

Support : Feuille rouge format 21 x 29.7cm

Technique : Feutres

Matériaux : une photocopie de votre photo d’identité

Temps : 30 minutes

Travail individuel

Chaque élément du dispositif est choisi pour servir l’objectif d’enseignement

L’intention de Hyacinthe Rigaud est de peindre la grandeur du roi : cette intention est déterminée par la commande. Dans le dispositif du cours, la commande est centrée sur l’élève lui-même (autoportrait) qui doit donner une image magnifiée de lui : « Je suis le plus beau, le plus grand, le plus fort ».

La contrainte permet de concentrer l’élève sur des choix purement plastiques : ainsi en évitant l’utilisation de logo, chiffre, signe ou mot, les représentations devront se suffirent sans adjonction connotée. Bien que Hyacinthe Rigaud emploie des objets dont la symbolique renforce l’idée de puissance, de grandeur, telle que l’épée, le sceptre, je sais que cet aspect est étudié en cours d’histoire : je ne souhaite donc pas faire redondance mais ouvrir le regard sur les éléments plastiques de l’œuvre.

Le support est volontairement rouge : il permet d’emblée de donner un fond coloré obligeant l’élève à faire des choix de couleurs qui serviront la demande. De plus, dans le temps donné, l’élève n’aurait pas le temps de traiter le fond : il s’attardera donc implicitement à l’image qu’il va donner de lui-même (posture, vêtements, taille…).

Les feutres offrent une panoplie de couleurs vives et donnent un contraste suffisant sur le papier rouge, ce qui ne serait pas le cas des crayons de couleurs, par exemple. Le pinceau et la gouache, quant à eux ne sont pas encore (en 6ème) maniés avec la dextérité suffisante pour être choisie dans ce dispositif.

Le trombinoscope de la classe est scanné et imprimé en couleur (de préférence) pour que chaque élève dispose de l’image de son visage. L’élève n’a pas à se soucier de la ressemblance de son visage mais il concentre son attention sur la représentation de son corps (posture, vêtements, taille…).

Quelques productions

Les visages sont masqués pour respecter l’anonymat des élèves.

PRODUCTIONS_RIGAUD

L’évaluation formative

Extrait de la verbalisation :

Toutes les productions sont accrochées au mur :

— Professeur : « Que dire de vos productions ? »
— Charline : « C’est rigolo ! »
— Julien : « Moi, je trouve qu’on est bien réussi ! »
— Louis : « Oui, on est pas mal, comme ça ! »
— P : Qu’est-ce que tu veux dire par « comme ça » ?
— Louis : « Je trouve qu’on voit bien qu’on est fort, surtout les garçons. »
— P : « Grâce à quoi ? »
— Louis : « Aux muscles, et aux bras comme ça ! » En disant ces mots, il prend la pose qui lui permet de montrer ses muscles. »
— P : « Êtes-vous d’accord ? »
— Charline : « Oui, c’est comme dans Monsieur Propre : il est costaud ! Ca se voit à sa façon de mettre ses bras. »
— P : « Effectivement, cette manière de se montrer ou de se représenter, cette posture (mot écrit au tableau), traduit l’idée de la force. Et pour vous représenter en tant que « le plus beau », qu’avez-vous fait ? »
— Sonia : « Nous, (les filles), on s’est maquillée, on a mis des robes, des chaussures à talons, des bijoux…pour être belle ! Et ça ressort bien sur le rouge. »
— Charline : « Oui, on a tous mis des couleurs vives, parce que le jaune par exemple, ça ne ressort pas sur le rouge alors que le vert, on le voit bien. »
— P : « Pourquoi le vert se voit-il bien sur le rouge ? »
— Louis : « Parce que c’est une couleur froide sur une couleur chaude. »
— P : « Oui, mais il y a une autre raison… »
— …
— P : « Si je prends ce cahier vert et que je le place à côté du pull rouge de Pascalina…et que maintenant, je le place près du pull bleu de Baptiste…Que se passe-t-il ? »
— Soline : « C’est plus vif à côté du rouge, qu’à côté du vert ».
— P : « C’est vrai. Le vert et le bleu sont deux couleurs voisines : il faut du bleu et du jaune pour faire du vert. Le bleu et le jaune sont deux couleurs voisines du vert : le contraste n’est pas très important lorsqu’on les place l’une à côté de l’autre. (Le cercle chromatique est dessiné au tableau pour montrer la place des couleurs).
Le vert et le rouge sont deux couleurs complémentaires : lorsqu’elles sont juxtaposées, le contraste est plus violent que si elles étaient mises à côté d’une couleur voisine.

Et pour vous représenter « comme le plus grand », qu’avez-vous fait ? »
— Thomas : « Moi, je rempli toute la feuille, de haut en bas. »
— Aurélie : « Je suis plus grande que les montagnes ! »
— P : « Tu veux dire, Thomas, que la place qu’occupe ton dessin sur le support a de l’importance ? »
— Thomas : « Oui ! On voit bien que je prends toute la place donc que je suis grand ! »
— P : « Et toi, Aurélie, qu’en penses-tu ?’
— Aurélie : « C’est mieux si il y a quelque chose de grand qui est dessiné à côté de nous ! »
— P : « Par exemple ? »
— Aurélie : « Les montagnes, tout le monde sait que c’est grand et sur mon dessin, je suis encore plus grande, alors on comprends bien. »
— P : « Qu’en pensez-vous ? »
— Soline : « On comprends dans les deux.. . »

— P : « A présent, je voudrais vous montrer un tableau. » (projection au vidéo projecteur)
— Louis : « Ah ! On l’a déjà vu en histoire ! C’est Louis XIV ! »
— P : « Oui, qui a peint ce tableau ? »
— …
— P : « Hyacinthe Rigaud. »
— Les élèves : « Ah oui ! »
— P : « A quelle date a-t-il été peint ? »
— Baptiste : « Au XVIIIe siècle. »
— P : « Oui, et plus précisément en 1701, c’est-à-dire au tout début du XVIIIe siècle. Vous avez dit qu’il s’agissait de Louis XIV, comment est-il représenté ici ? »
— Soline : « On voit que c’est lui, le roi : il est fier. »
— P : « Ah ?... »
— Soline : « Il se tient bien droit. »
— P : (qui prend une pose identique au Roi) « Il comment appelle-t-on la façon de se tenir ? »
Louis : « La posture ! »
— P : « Exactement ! Le peintre a choisi de représenter le Roi dans cette posture et non dans celle-ci par exemple (le professeur prend une pose « avachie »). Pourquoi ? »
— Baptiste : « C’est le Roi quand même ! Il ne pouvait pas être comme ça ! »
— P : « Pourquoi ? »
— Baptiste : « Le Roi doit bien présenter : c’est lui le plus fort ! »
— Soline : « Oui, c’est aussi le plus beau et le plus grand, comme nous ! »
— P : « A quoi le vois-tu ? »
— Louis : « Il est monté sur une estrade, et en plus il a des chaussures à talons ! »
— P : « Pourquoi ? »
— Louis : « Pour être grand ! »
— P : « Bien sûr. »
— Soline : « Il a mis des beaux habits, il y a un beau décor... »
— P : « Effectivement, les étoffes, le velours, la fourrure, sont des matières nobles…et les couleurs ? »
— Aurélie : « Il y a un peu de vert dans le fond et du rouge pour le tissu. »
— P : « Et alors ? »
— Charline : « Ca fait bien ressortir le tissu rouge, parce que ce sont deux couleurs complémentaires. »
— P : « Très bien ! Mais il y a un autre endroit où le peintre juxtapose deux couleurs complémentaires…
Si nous revenons sur le cercle chromatique, nous avons vu que le rouge était à l’opposé du vert. Maintenant, si nous prenons le bleu, que trouvons-nous à l’opposé ?"
— Les élèves : « Du orange ! »
— P : « Et à l’opposé du violet ? »
— Les élèves : « Du jaune ? »
— P : « Nous remarquons donc qu’il y a trois couples de couleurs complémentaires :

VERT-ROUGE, BLEU-ORANGE et VIOLET-JAUNE.

Voyez-vous dans le tableau un endroit où deux couleurs complémentaires seraient juxtaposées ?
— Julien : « Il y a du orange marron derrière le Roi, et du bleu foncé sur le trône. »
— P : « Oui, c’est ça, le orange est ici en fait du doré, on le trouve sur le tapis, la tenture de l’arrière plan mais aussi sur les fleurs de lys de la cape. Ce doré contraste avec le bleu marine. C’est un contraste moins fort que si les couleurs étaient pures cependant. »
(…)

Conclusion

Les élèves font vite le lien entre leurs productions et l’œuvre à analyser : les choix plastiques qu’ils ont été obligé de faire dans leurs productions leur ont permis de prendre conscience de l’importance de ces choix mis au service d’une intention.
Leurs formulations leur permettent de mettre en évidence les qualités plastiques de l’œuvre : l’enseignant conduit la discussion afin que les élèves précisent leurs pensées et il complète les manques par des apports théoriques.

cours Louis XIV-6ème (Word de 1.5 Mo)

Analyser une oeuvre en cours d’arts plastiques

Nathalie Blanchard - mai 2008 - ARt’RESEAU

Portfolio