Comment "Echapper" au peintre Emil Nolde ? Le projet audacieux de Lionel Duroy publié le 23/03/2015

 Lionel Duroy est certes un écrivain prolifique, mais l’ancien journaliste à Libération est davantage connu pour son travail de biographe de la jet set française. Il a par exemple dernièrement prêté sa plume à Gérard Depardieu. Lauréat du prix Renaudot des lycéens en 2012 et du prix Joseph Kessel 2013 pour son roman "L’hiver des hommes", il revient cette fois-ci sur le devant de la scène avec un ouvrage largement autobiographique qu’il a sobrement intitulé "Echapper".

 La couverture envoûtante de ce roman nous transporte d’emblée dans l’ambiance du nord de l’Allemagne. La mer dans son immensité est envahissante et menaçante, le ciel gros de nuages fait peur. Cette peinture évoque inéluctablement l’atmosphère glaçante et sombre des nouvelles de l’enfant du pays, Theodor Storm. Le narrateur Augustin confesse : " Après avoir lu Lenz, et avant même de découvrir Husum, j’avais passionnément lu Storm." (p.62) et conclut : "Qui pourrait avoir envie d’habiter Husum après avoir lu Theodor Storm ?"(p.63)

 Mais ce n’est pas ce détail qui va ruiner son rêve audacieux d’écrivain. Il entend écrire une suite à "La leçon d’allemand", le chef d’oeuvre de Siegfried Lenz qui l’a bouleversé dans sa jeunesse et le hante depuis. Il en esquisse l’intrigue en ces termes : "L’histoire se déroule durant la Seconde Guerre Mondiale, dans le village de Rugbüll, à une trentaine de kilomètres au nord d’Husum. (...) l’ambiance est chaleureuse à Rugbüll, et cela grâce à la présence du peintre Nansen (l’incarnation de Nolde dans le roman) dont la maison est ouverte à tous les villageois." (p.19-21). Il nous invite par ces mots à nous replonger dans la lecture de ce roman fleuve paru en 1968. L’effet sur le narrateur a été immédiat. Il écrit : "pendant des jours et des jours j’ai habité Rugbüll, tantôt chez le peintre, tantôt chez le policier, empruntant moi aussi la digue puis le chemin de brique pour aller de chez l’un à chez l’autre. Je respirais le vent d’ouest, j’entendais au loin le ronronnement d’un moteur d’avion, (...), je contemplais moi aussi le watt désolé. Tandis qu’on me croyait à Paris, j’étais à Rugbüll, injoignable, guettant certains jours la lourde voiture de la Gestapo remontant d’Husum. Husum que je rêvais de connaître, prêt à accompagner le peintre quand un jour le Gestapo l’y emmène, Husum dont Siegfried Lenz entretient le mystère et dont je finis par faire un lieu mythique." (p.24-25)

 Lionel Duroy réussit un coup de maître dans ce roman autobiographique touchant. Il nous entraîne à la fois sur les pas du peintre Emil Nolde frappé d’interdiction de peindre par les nazis. Il nous immerge en cela, à la manière d’un peintre, par touches successives, dans l’ambiance vraiment singulière du nord de l’Allemagne. Par ailleurs, il nous fait le récit d’une vie amoureuse tumultueuse, marquée par des séparations douloureuses mais salutaires. Porté par un projet d’écriture qui le ramène à la vie, le narrateur nous livre des réflexions universelles qui trouvent un écho en chacun de nous.

Un ouvrage empreint de sensibilité, à lire sans modération !

 Pour aller plus loin
— écouter l’entretien de Lionel Duroy avec Augustin Trapenard sur France Inter (22 décembre 2014)
— retrouver Lionel Duroy dans plusieurs émissions sur France Culture

"Echapper", Lionel Duroy, Julliard, 2015, ISBN 9782260021377, 18,50 euros

"Deutschstunde", Siegfried Lenz, dtv ISBN 978-3-423-13411-8, 9,90 euros

"La leçon d’allemand", Siegfried Lenz, Robert Laffont pavillon poche, 2009, ISBN 978-2221112939, 11,50 euros