Littérature et livres numériques publié le 12/11/2018

Livres numérisés, livres enrichis, livres augmentés, livres interactifs … Quelles différences ? Quelles spécificités ?

Pages : 123

La création littéraire numérique ou web littérature

Philippe Bootz, dans Les Basiques : la littérature numérique, définit la littérature numérique comme

« toute forme narrative ou poétique qui utilise le dispositif informatique comme médium (moyen de communication) et met en œuvre une ou plusieurs propriétés spécifiques à ce médium ».

L’hypertexte, la littérature générative et la littérature animée sont les principaux genres de cette littérature dont la caractéristique première est l’interactivité.

Le récit hypertextuel

Un hypertexte est une structure particulière d’organisation d’une information textuelle. Des blocs d’information textuelle (les nœuds) sont liés les uns aux autres par des liens de sorte que leur consultation (la navigation) permet à l’utilisateur de passer d’un nœud à l’autre à l’écran par activation du lien qui les unit.

R. Queneau avec Un conte à votre façon (1967) a ouvert la voie au récit hypertextuel.
Ce texte a une structure en arbre. A chaque embranchement, le récit propose autant de solutions qu’il y a de branches.
Le lecteur construit lui-même sa version du conte en choisissant à chaque étape l’une des solutions proposées. Avec le numérique, les possibles narratifs sont réalisés par la navigation du lecteur.

C’est ainsi que Comme si de rien n’était de Charles Guillocher et Joan Vidal Andres explore la technologie hypertexte dans le but de mettre en parallèle deux interprétations possibles d’une même situation narrative.
Le lecteur en fonction des choix effectués navigue entre un polar et une romance à l’eau de rose.

2. La littérature générative

La littérature générative recourt à un générateur de texte. Un générateur de texte est un programme qui crée du texte à partir d’un ensemble de règles qui constituent une grammaire et d’un ensemble d’éléments préconstruits qui forment un dictionnaire.
Les Cent mille milliards de poèmes de R. Queneau est considérée comme l’œuvre fondatrice de l’écriture générative.
Les membres de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) puis de l’A.L.A.M.O (Atelier de Littérature Assistée par la Mathématique et les Ordinateurs) ont été les figures de proue de cette littérature.

Jean-Pierre Balpe a ainsi créé dans les années 80 des générateurs automatiques de textes qu’il a ensuite adaptés sur Internet.
Son générateur de haïkus en ligne Contre-Haïkus sollicite la participation (limitée) du lecteur :

« La poésie étant ce que de nos jours elle est, je refuse d’écrire des haïkus si vous n’en manifestez pas le désir en utilisant le bouton ci-dessous. Cependant, si vous en manifestez le désir, ma productivité poétique est infinie… »

peut-on lire sur la page d’accueil du site.

Il donne une autre implication au lecteur dans son œuvre narrative, Trajectoires, roman policier interactif et génératif pour Internet dont l’action se déroule à la fois en 1793 et en 2009.
À travers la lecture de pages générées par le programme, donc toujours différentes, le lecteur est invité à trouver le corbeau qui menace vingt-quatre habitants.
Les textes ne sont pas pré-écrits, mais les mots sont combinés, en temps réel, à partir de 96 logiciels d’écriture automatique et interactive capables d’engendrer les pages d’un roman sans fin, tout en ne laissant pas deviner leur origine informatique.
Cela signifie que chaque lecture, chaque actualisation de l’œuvre par une lecture interactive, est unique.

3. La littérature animée (ou cinétique)

La littérature animée ou cinétique désigne des réalisations faisant appel à une mise en mouvement du texte.
Cela signifie que les mots, les lettres, les phrases, c’est-à-dire les constituants linguistiques du texte, subissent des transformations temporelles et spatiales à l’écran.
Les signes utilisés peuvent provenir de différents codes (linguistique, musical, graphique, photographique, vidéo…). Les œuvres numériques animées sont principalement des œuvres narratives ou poétiques. BleuOrange, la revue de littérature hypermédiatique québécoise, publie depuis 2008 ce type d’œuvres.
Le lecteur peut y découvrir Tramway d’Alexandra Saemmer, un récit animé à dimension autobiographique, dans lequel l’auteur cherche à relater les souvenirs de son enfance un an après la mort de son père.


Le texte défile comme sur des rails, formant une bande passante, ou bien surgit dans des fenêtres que le lecteur peut ouvrir, fermer, déplacer.

Ainsi les œuvres numériques interactives métamorphosent le pacte de lecture et les modes de narration.
Du côté des auteurs, le numérique s’affirme progressivement comme un média métamorphosant les modes de narration.