« Le mouvement et la durée » : la vitesse de la photographie publié le 01/05/2012  - mis à jour le 07/05/2012

Au croisement de l'histoire des arts et de l'histoire des sciences

Pages : 12
Mise au point pour le professeur

Vitesse de la photographie « le mouvement et la durée »

Introduction :

les premières photographies ( début du XIXe siècle. avec le daguerréotype par exemple) nécessitaient des temps de pose assez long pour que l’image ait le temps de s’imprimer sur la plaque sensible à la lumière. On photographiait alors des paysages ou des personnages statiques, mis en scène et habillés pour l’occasion. La technique avançant, l’idée de pouvoir prendre une personne, un événement sur le vif, fit petit à petit son chemin et des photographes s’attacheront naturellement à des prises de vue instantanées, les premières scènes de rue apparaissent alors.
Vers 1880, avec l’augmentation de la sensibilité de la pellicule, l’accélération de la vitesse de l’obturateur, enfin tous les procédés qui permettent l’instantanéité, un monde de formes insoupçonnées est ouvert au photographe. Ce qui n’est pas perceptible dans le continuum de la vision devient observable, on accède à l’arrêt sur image. On a alors la possibilité de fixer et d’étudier le mouvement, étude qui amènera, étonnamment, à l’avènement du cinéma. Mais ce dernier n’est-il autre chose que la recomposition fidèle du temps vécu, on retourne au continuum, la boucle est bouclée. Deux techniques photographiques permettent de rendre compte du mouvement d’un corps, c’est ce que je vous propose de présenter ici.

I ) Eadweard Muybridge et les prises de vues « en rafale » :

  • 1°) Eléments biographiques

E. Muybridge (1830-1904) est un photographe américain d’origine irlandaise. Il était installé en Californie où ses photographies grand format des paysages grandioses de la vallée de Yosemite (western) commencent à lui donner une certaine renommée. Il est à l’origine du premier système de prises de vues en rafale voir le galop de Daisy.

  • 2°) L’origine du principe :

Tout débute par la commande de l’ex-gouverneur de Californie, très riche et passionné de courses hippiques, M. Stanford, qui lui demande de vérifier que, conformément aux travaux de Marey, à un instant précis, aucune jambe du cheval ne touche le sol lorsque celui-là est au trot. Muybridge met en place un dispositif très ingénieux : 12 appareils photographiques placés le long de la piste qui se déclenchent électriquement lorsque le cheval touche un à un les fils reliés aux appareils photos.
Entre 1877 et 1879, les résultats sont sans discussion possible. « L’automatic Electric Photograph » permet de capter des images en une fraction de seconde.

Animal Locomotion, de E. J. Muybridge

Animal Locomotion, de E. J. Muybridge

 

Etienne-Jules Marey, Expérimentation sur la marche de l'homme

Etienne-Jules Marey, Expérimentation sur la marche de l’homme
Vers 1884, chronophotographie géométrique, (d’après négatif original),
Archives du Collège de France.

 

Etienne Jules Marey, La chute du chat,

Etienne Jules Marey, La chute du chat,
chronophotographie sur pellicule mobile, 1894,
musée Marey, Beaune.

  • 3°) De la Technique à l’Art :

En 1881, Muybridge rencontre un médecin Jules Marey* et Meissonier un peintre qui le convainquent de l’intérêt artistique et scientifique de telles analyses photographiques.
De 1884 à 1885, E. Muybridge photographiera à l’université de Philadelphie une diversité de mouvements de l’homme et de divers animaux. Plus de 20000 clichés au total, une sélection de ces clichés sera publiée dans un ouvrage intitulé « Animal Locomotion ».
La diversité des clichés, les mises en scène proposées, les situations parfois humoristiques s’éloignent de l’intérêt purement scientifique. Certaines de ces scènes témoignent des métiers d’autrefois, montrent des athlètes, d’autres un enfant marchant à quatre pattes, une femme portant un pot. Ces séries de photos nous renseignent mais nous amusent aussi.
Le fond est quadrillé, les personnages sont contrastés, soit noirs sur fond blanc, soit blancs sur fond contraire. La nudité de nombreux personnages et le fond quadrillé rappelle l’intérêt scientifique mais aussi s’oppose au puritanisme ambiant.

  • 4°) Pour conclure :

Ici une demande pragmatique (l’étude de la position des membres du cheval en mouvement) aboutit à une technique nouvelle qui ouvre la porte à un champ d’étude à la fois scientifique et artistique. « Animal locomotion » a permis à de nombreux peintres à préciser la position de leur personnage – Meissonier rectifiera d’ailleurs la posture de certains des chevaux peints sur ses toiles- mais influencera de nombreux peintres du 20ème soucieux de capter et de sublimer l’énergie du mouvement (Bacon ; le mouvement futuriste italien).

II) Jules Marey et la chronophotographie :

  • 1°) Eléments biographiques :

Jules Marey (Beaune 1830-Paris 1904) est un médecin physiologiste français connu pour ses travaux sur la circulation sanguine et la locomotion humaine et animale. Pour étudier avec précision les mouvements des corps, il invente la technique de la chronophotographie sur pellicule fixe puis sur pellicule mobile. Cette dernière avancée technologique posera les bases du principe du cinéma.
De plus, les nombreux clichés photographiques sur le vol d’oiseaux aideront fortement les recherches aéronautiques et contribueront en 1900 aux débuts de l’aviation.

  • 2°) Origine de la chronophotographie :

En 1882, suite aux travaux de E. Muybridge, Jules Marey imagine un système de prise de vue permettant de renseigner les mouvements d’un homme en terme de temps (comme le fait L’Automatic Electric Photograph de Muybridge) mais aussi en terme d’espace pour pouvoir faire des mesures précises et des calculs de vitesse. Il a l’idée de déclencher l’obturateur de son appareil photo à intervalle régulier, l’appareil prend ainsi une douzaine de prises de vues par seconde sur le même support papier. Pour un résultat facilement exploitable, les personnages ou objets sont blancs sur fond noir.

  • 3°) Conclusion : Sciences ou Art ?

Bien que Jules Marey ait toujours limité ses travaux à leur seule vocation scientifique, on ne peut pas renier la dimension onirique de telles images. En effet, la superposition des différents clichés donne une image tout à fait nouvelle et irréelle. La précision de prises de vue est permise grâce aux avancées techniques importantes : l’obturateur s’ouvre pendant moins de 1/500 de seconde, la pellicule est recouverte d’un mélange d’iodure et bromure d’argent beaucoup plus sensible à la lumière que le traditionnel collodion humide. Ainsi la netteté des différentes postures, le contraste des sujets, l’harmonie des mouvements donnent une réelle dimension poétique. On se laisse emporter par la beauté de telle photographie et on se surprend à rêver. Finalement, l’œuvre de J. Marey dépasse les intentions du maître, n’est-ce pas le destin de toute œuvre d’art ?