Plaider pour la défense des droits humains publié le 25/01/2020  - mis à jour le 18/02/2020

Comment défendre une cause en public, incarner avec conviction et sérénité un discours ?

Le 6 décembre dernier, des élèves de première du lycée Vieljeux de La Rochelle ont plaidé en public pour la défense des droits humains. Les dix membres du jury ont tous été impressionnés par la qualité de leur prestation, leur capacité à argumenter mais aussi à incarner un discours.

Retour sur cette expérience à travers les témoignages d’Emma Biber et Emma Linder, finalistes 2020 du concours de plaidoiries des lycéens du mémorial de Caen, Muriel lucot, professeure d’histoire et géographie, Camille Geoffroy metteure en scène et Anne-Christine Estiot, intervenante diplômée en PNL et spécialiste de la gestion du stress, qui les ont accompagnées.

À Muriel Lucot - Qu’est-ce qui vous a incité à expérimenter ce projet fondé sur la maîtrise de l’argumentation mais aussi l’art oratoire ? 

visuel du lycée Vieljeux réalisé par Vicente Guillon-Guzman

En 2017, Jonas Limam, alors en première au lycée Vieljeux, a participé au concours de plaidoiries des lycéens du Mémorial de Caen dont il a fini troisième. J’ai suivi avec attention l’évolution de son travail, du choix du sujet, la prévarication des banques dans les pays en crise aux prises avec les règles drastiques du FMI, au texte final de sa plaidoirie et à sa déclamation (de 4.55.11 à 5.04.26).
J’ai été témoin de ce que cette expérience lui a apporté : il a gagné en maturité, en confiance en lui ce qui lui a permis de s’engager dans d’autres projets lui offrant la possibilité de découvrir le monde et de s’exprimer.
J’ai naturellement eu envie de proposer à d’autres élèves de suivre ce même chemin afin qu’eux aussi gagnent en confiance à travers la réalisation d’une tâche ambitieuse.
Ce que j’aime particulièrement dans ce projet, c’est qu’il y est autant question de la forme que du fond. La capacité à exprimer en public clairement et avec conviction une prise de position documentée, argumentée est quelque chose qui s’apprend et qui peut véritablement faire la différence lors d’un examen, dans le cadre professionnel mais aussi personnel ; alors l’opportunité de faire mûrir les élèves en les faisant se confronter à une situation « réelle » de prise de parole en public, me semblait devoir être saisie !

À Emma Linder et Emma Biber - Le concours consiste à prononcer une plaidoirie illustrant une situation d’atteinte aux droits de l’homme. Les exemples ne manquent malheureusement pas. Comment avez-vous choisi votre sujet ?

Titre de la plaidoirie d'E. Biber et E. Linder

Le choix du sujet a été source de nombreux questionnements. Nous nous sommes rapidement intéressées aux droits de l’enfant et à leurs atteintes. Et au cours de nos recherches nous avons découvert avec stupéfaction qu’aux Etats-Unis, des enfants pouvaient être ré-adoptés. Nous avons été bouleversées par les témoignages de victimes que nous avons pu lire ou visionner. Nous avons donc choisi de dénoncer le « rehoming », véritable marché de l’adoption que nous considérons comme injuste et surtout amoral. C’est par ailleurs un thème assez peu connu du grand public et ce concours a été l’occasion de le mettre en lumière.

À Muriel Lucot - Les élèves ont donc tous été libres du choix de leur sujet ? Comment les avez-vous accompagnés dans leurs recherches ?

Oui, tous les élèves ont été libres de choisir leur sujet et chacun l’a fait selon son propre chemin. Nous les avons orientés vers des publications auxquelles le CDI est abonné, je pense notamment à Femmes d’ici et d’ailleurs, mais il y en a d’autres…
Ils ont aussi trouvé l’inspiration par leurs propres moyens : une discussion avec un membre de leur famille, une situation personnelle, la lecture d’un article, un documentaire, la curiosité pour un sujet qu’ils ignoraient… Ces démarches différentes les ont conduits vers des sujets très divers et j’en ai été ravie car les droits humains sont un univers très vaste dont chacun a des représentations différentes en fonction de ce qu’il est, de ce qu’il a vécu, de ce qu’il sait ou de ce qu’il a envie de savoir. C’est précisément cette démarche qui me semble intéressante dans ce concours.
Ainsi Louise A. et Léo R. ont traité séparément et différemment la question de la fin de vie et de l’euthanasie ; Apolline V. a plaidé une plus grande liberté des femmes en termes de style et d’image ; Marie L. et Uriel C. ont argumenté en binôme contre le crédit social en Chine ; Adrien P. a, quant à lui, défendu la cause du peuple Peul au Nord du Tchad face aux conséquences du réchauffement climatique... Les sujets, comme vous le voyez, sont donc très variés.
Je ne suis intervenue que pour inciter chacun à mobiliser davantage la législation car c’est un point du règlement et donc un des critères d’évaluation que beaucoup ont tendance à négliger. Et le prendre en considération nécessite de la rigueur. Cela suppose en effet de mobiliser des compétences en recherche documentaire, en particulier sur le web, ainsi que des connaissances juridiques que les élèves ne possèdent pas.

À Emma Linder et Emma Biber - Comment vous êtes-vous emparées du sujet pour en faire un plaidoyer ? Comment avez-vous composé, écrit votre discours ?

Nous nous sommes emparées du sujet en ayant conscience d’avoir une responsabilité importante. Nous ne pouvions pas témoigner au nom de jeunes enfants ré-adoptés, évoquer leur parcours et leur souffrance avec légèreté.
Nous avons donc commencé par nous documenter précisément sur le sujet puis nous avons déterminé les points principaux à aborder ainsi que les textes de loi en référence.
Ensuite, nous avons réfléchi à la forme que nous voulions donner à notre discours sachant que notre intention était de susciter l’indignation du public. Pour provoquer ce choc émotionnel, nous avons décidé de mêler fiction et réalité.
La composition du discours, sa forme, nous l’avons trouvée en nous mettant en situation à l’oral. A partir des données dont nous disposions, nous avons improvisé et noté au fur et à mesure ce qui fonctionnait bien, abandonné ce qui était artificiel. L’écriture scripturale du texte n’est venue qu’après ce travail de mise en situation directe à l’oral.
Visionnez la plaidoirie des deux lycéennes sur le site du mémorial de Caen ( à partir de 4.58.38)

À Camille Geoffroy - La façon de travailler d’Emma et Emma ressemble à l’écriture de plateau utilisée par des metteurs en scène. Quels conseils, quels outils avez-vous donné aux élèves pour qu’ils puissent incarner leur discours ?

En premier lieu, je travaille pour que l’élève ne « parasite » pas son discours avec trop de gestes, de mobilité. Le premier travail consiste à se laisser traverser, « infuser » par le texte avec sincérité et authenticité. Chercher à créer de l’émotion amène souvent à fabriquer. Si l’orateur laisse le texte l’habiter et jaillir, l’émotion surgit.
Ensuite , Je procède par un travail de training en partant des pieds (ancrage) jusqu’à la tête (notamment travail de la pose du regard) avec évidemment un important travail sur l’organe voix (respiration, diction, projection).
Puis chaque élève s’entraine à déclamer son discours. Nous avons fait des simulations. Les retours étaient extrêmement personnalisés. Sur leur force, sur la qualité de leur entrée et sortie de scène, leur tenue, ce qu’ils dégagent …
Avec ce groupe, j’ai insisté collectivement sur le fait qu’ils puissent avoir confiance en leur texte et son contenu. Etre ici et maintenant, Hic et Nunc. Ne pas créer de pathos, mais être dans la sincérité du propos.

À Anne-Christine Estiot - Prendre la parole en public est un exercice difficile et peut s’avérer anxiogène pour certains les élèves. Quels conseils leur avez-vous donné afin qu’ils surmontent leur stress ?

Mon accompagnement repose sur la sophrologie et la technique de l’ancrage issue de la programmation neurolinguistique (PNL). Cela consiste à associer un état émotionnel positif à un geste précis pour pouvoir créer un conditionnement bénéfique. Dans ce contexte précis, j’ai demandé à chaque élève de nommer l’état dans lequel il souhaiterait être lors de sa plaidoirie : être calme, zen, tranquille, joyeux ... Ensuite, ils ont cherché dans leur souvenir un moment où ils ont véritablement été dans l’état souhaité. Ils s’en sont fait le film, en ont isolé un photogramme auquel ils ont associé un sens (une couleur, une odeur, un son, un goût, un geste). La dernière étape a consisté à faire l’ancrage tactile de cette image positive qu’ils pourront ensuite convoquer chaque fois que nécessaire.

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Auteur

 Dominique Chassain

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