Compte rendu de l'Université de printemps d'histoire des arts. publié le 12/06/2018  - mis à jour le 14/06/2018

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 A 11h

Leçon inaugurale du Festival.

Par Anne Amsallem.

Entretien avec Jean-Michel Othoniel, par Éric de Chassey Théâtre municipal, Salle de spectacle.

E. de Chassey : Le rapport au corps et au désir est évident dans votre œuvre. En particulier dans Le lit.

Référence à l’œuvre de J.M Othoniel, Mon lit, Le cortège endormi, 2003, verre de Murano.

J.M. Othoniel : Mon lit, part de l’idée du corps couché : nous sommes conçus dans un lit, nous naissons dans un lit et nous terminons allongés sur un lit mortuaire. Ce travail est très inspiré du Songe de Poliphile et reprend l’idée d’une narration donnée par des choses toujours trop grandes pour nous : un lit trop grand, des bannières immenses qui scandent les promenades avec le jardin, qui jouent avec la lumière, et la sensualité, avec le désir et la frustration. Les formes sont attirantes, ressemblent à des bijoux, on en a envie mais on ne peut porter, ni même toucher, ces œuvres.

E. de Chassey : Comme dans le rêve : il y a quelque chose qui nous échappe toujours.

J.M. Othoniel : Mon séjour à la villa Médicis fut très important. Le temps d’une résidence est un temps où l’on peut rêver, s’ennuyer, se laisser surprendre par la ville, avoir un libre rapport aux jardins, dans et autour de Rome. Le dialogue se tisse dans un rapport intime, charnel, et pas forcément érudit, avec une ville, ses bâtiments, son histoire. J’en garde la nostalgie d’une errance, d’une douceur.

E. de Chassey : L’idée de la fragilité, de la peur, est aussi là.

J.M. Othoniel : Mon travail affirme la fragilité, la différence. Le fait de mettre des œuvres en verre dans des jardins, exposées au vent et aux intempéries, suscite la peur de l’altération ou même de la casse. La beauté est en suspens, peut-être éphémère.

E. de Chassey : Votre travail se présente comme un travail beau, avec une certaine séduction, accessible, populaire. Est ce que la beauté est une chose qui vous préoccupe ?

J.M. Othoniel :J’ai longtemps essayé d’échapper à la beauté dans mes œuvres. Je viens d’une génération d’artistes où la beauté était taboue, suspecte, témoin d’une non-radicalité. J’ai longtemps lutté. Puis je l’ai sublimée dans une tentative de montrer la violence dans la beauté. En Asie la beauté n’est pas du tout tabou mais se présente au contraire comme un accès à la spiritualité. Les voyages m’ont redonné accès à la beauté.

Eric de Chassay : Vos œuvres transforment les lieux. Le Kiosque des noctambules, par exemple, a profondément modifié un endroit de Paris.

Le kiosque des noctambules.
Kiosque des noctambules, verre de Murano, Paris, 2000.

Source : flickr.com

J.M. Othoniel : Cette œuvre a répondu à un concours lancé pour les 100 ans du métro. C’est ma première commande publique. Cette œuvre est née à Rome. L’image de Guimard m’est apparue depuis Rome et l’idée de faire une folie de jardin dans Paris m’a semblé évidente. Il y a eu aussi une collusion avec l’histoire : à l’époque de Guimard il y avait aussi eu un concours pour faire les bouches de métro. Le directeur du métro avait choisi Guimard pour incarner la modernité bien qu’à l’époque tout le monde fut contre. Le rapport à l’histoire et ce que représente le grand art est déterminant dans ma création. J’ai fait le parti prix de la beauté en questionnant la manière dont ce kiosque allait dialoguer avec les volumes de la place. Par son intimité et par le fait qu’elle appelle les gens à se mettre en scène (sorte de petit théâtre avant le grand théâtre de la comédie française), cette œuvre a contribué à changer la ville. Avant le kiosque il y avait la route. La création de cette placette autour du kiosque est très romaine, pas très parisienne, comme un écho de la résidence à Rome.

E. de Chassey : Dans la longue tradition de l’ornement et du décoratif, l’un et l’autre ont souvent été en conflit. Pour créer une situation qui soit une dimension de rêve partagée il faut passer par des processus matériels très précis. Si l’on prend le projet de la grande vague, objet assez massif qui a l’air en même temps fragile, on voit un objet très phallique. Après l’avoir montré à Sète vous l’avez reconfiguré dans une forme extrêmement différente à St Etienne au point qu’on peut y voir un passage du phallus à la matrice.

Référence à l’œuvre de J.M Othoniel The big wave, 2017, briques en verre noir indien, métal, 533x1500x500, expo Géométries amoureuses, Sète.

J.M. Othoniel : Cette œuvre a commencé au moment du tsunami, quand j’étais au Japon et j’ai commencé à dessiner des vagues, comme un cauchemar. Puis j’ai eu la volonté de donner corps à ce rêve. Cette vague a été réalisée à l’échelle 1 pour avoir l’impression de la recevoir en pleine face. Elle implique de faire appel à des savoir-faire de l’architecture puisque c’est une œuvre monumentale. Le lieu d’exposition n’était pas un musée mais un lieu d’expérimentation et de recherche et cela a son importance. Ces œuvres ne se posent plus la question de la beauté et de la séduction, ce sont des œuvres plus agressives. Mais ces vagues sont faites en briques en verre transparente, elles laissent donc passer la lumière. L’œuvre est paradoxale.

E. de Chassay : Vous avez décloisonné ce qui serait l’œuvre d’art sérieuse et l’œuvre dans l’espace public qui doit partir de sentiments populaires et parler au spectateur.

J.M.Othoniel : Ce projet, impulsé par un paysagiste, lie patrimoine et création contemporaine.
Je ne pense pas être un artiste de la rupture mais un artiste de la continuité. Je voulais trouver un lien avec l’histoire de Versailles. Louis XIV était un roi qui aimait la danse. Je suis tombé sur internet sur des dessins de Feuillet tentant d’écrire les mouvements de la danse baroque : la France est le premier pays à avoir gardé des traces de sa danse. Feuillet a fait un livre de ces traces et ma création s’inspire des formes de Feuillet. Mes sculptures sont les mouvements des pas de danse du roi dansant sur l’eau : les plans d’eau ont remplacé les scènes sur lequel le roi dansait. De plus, transformer les sculptures en fontaine a ajouté du son, du mouvement.