Postures de lecteurs et postures d’enseignement publié le 04/06/2019

Séance d'AP permettant aux élèves de distinguer différentes modalités de l'interprétation littéraire

Constat

À la lecture des nouveaux programmes de français du cycle 4 et du Socle commun, on prend note de l’objectif fondamental de faire de nos élèves des interprètes, capables non simplement de comprendre un texte dans ses grandes lignes mais d’aller tisser le sens de celui-ci.

Or, on peut très bien s’accorder sur le fait que si l’ambition est tout à fait louable, la démarche pour enseigner l’interprétation au sortir de la 6e mais aussi jusqu’en 3e est loin d’être très explicite. En témoigne en premier lieu notre passé d’élève : loin de s’enseigner, l’interprétation est un geste implicite pour lequel il nous a fallu nous entraîner en imitant, en échouant et en réussissant mais aussi et surtout en tâtonnant un peu comme un aveugle avec sa canne.


Objectif

Partant de ce constat et de cet ambitieux défi, il convenait de chercher des voies à emprunter pour permettre à nos élèves de réussir dans l’interprétation ou au moins de vouloir s’y risquer ! À la lecture d’Anne Vibert, il semble pertinent d’enseigner l’interprétation des textes en mettant au jour, pour nous comme pour les élèves, des postures de lecteurs interprètes.


Dispositif pédagogique

Lors d’une séance d’AP sur « Honte et Deuil » d’Andrée Chédid, dans le cadre de l’étude du roman Le Message du même auteur en oeuvre intégrale, les élèves sont invités à lire le poème et à noter quelques remarques au dos de celui-ci. Ils bénéficient de cinq minutes pour réfléchir et / ou faire des allers et retours entre le recto contenant le texte et le verso ménageant leur espace de réflexion. Aucune autre consigne n’est donnée pour ainsi laisser la plus grande place possible à la réception du texte par les élèves.
Ensuite, la parole est laissée à chacun des élèves pour formuler une remarque sur le texte : elles sont toutes très diverses et ne sont pas commentées par le professeur mais simplement notées au tableau autour du texte projeté sur TNI.
Le professeur invite à la précision de certaines remarques quand celles-ci sont laconiques. Souvent, ce sont les autres élèves qui engagent le camarade un peu vague à s’expliquer. Le demi-groupe entre alors dans un dialogue. Même si l’enseignant ne l’a pas spécifié, le texte se voit alors cité pour venir justifier ou discuter certaines remarques. Les élèves annotent le texte à leur convenance pour garder une trace de ce qu’il se dit.
Ce faisant, l’enseignant, une fois le jeu de « relais-interprétatif » terminé, reprend la parole tout d’abord en rassurant les élèves sur la qualité de leurs remarques puis en soulignant la variété des propositions faites, ceci parce qu’une interprétation ne peut être unique ou univoque. Interpréter est effectivement un geste personnel qui gagne sa validité dans l’explication, la compréhension et la validation par les autres de la proposition formulée, raison pour laquelle la discussion s’est invitée dans cette séance. L’enseignant annonce alors aux élèves qu’en chacun d’entre eux « un lecteur » a agi. Il reprend alors chaque remarque notée et les fait regrouper par les élèves, par un jeu de couleur via le TNI. Chaque geste est ainsi « classé » puis « baptisé » pour permettre aux élèves de comprendre ce qu’ils font et ce qu’on attend implicitement d’eux quand ils interprètent.


Explicitation des six postures de lecteurs

On définit alors peu à peu six lecteurs, en vérité six postures de lecteurs :

  • le lecteur de fiction capable de cerner les personnages, les relations entre les personnages, le cadre spatio-temporel, l’action du récit, l’action hypothétique dans la suite du récit ;
  • le lecteur empathique capable de se mettre à la place des personnages et donc d’analyser sentiments, sensations et pensées de celui-ci ;
  • le lecteur esthète capable d’apprécier le texte, de se fasciner, de tomber en émoi pour un passage ;
  • le lecteur littéraire ou cultivé pour lequel le texte fait écho à d’autres lectures ou à des connaissances sur des écrivains, des mouvements ;
  • le lecteur linguiste capable de s’attacher à un fait de langue dans le texte et de l’analyser ;
  • le lecteur philosophe capable de voir dans le texte un message argumentatif ou une réflexion sur l’homme, la société, le monde avec un repérage de thèmes, de thèses, d’arguments…

    Fin de la séance
    Chacun est ravi d’apprendre quel lecteur il a été. Très vite, les élèves analysent même par avance quel lecteur ils ont été sur le texte donné et prennent conscience des autres chemins qu’ils auraient pu emprunter.
    À la fin de la séance, les élèves repartent avec une photographie (glissée sur l’espace numérique de travail de l’établissement) des six lecteurs et de leur travail collaboratif sur le texte. L’objectif de la séance n’étant pas d’aboutir à une interprétation approfondie mais bien de comprendre comment interpréter, demande est faite aux élèves de mettre sous forme de carte mentale les postures du lecteur interprète, les logos étant fournis par l’enseignant, puisque voués à être réemployés par la suite dans ses cours.

Carte heuristique réalisée par Louise - 3ème

A l’issue de la séance, les élèves déclinent les postures sous forme de carte mentale.

NB : Lors d’une séance précédente le terme « interpréter » a été défini et délimité.


Perspectives

Cette explicitation des postures de lecteurs ne peut en rester là pour être réellement efficace. Le professeur durant l’année a à coeur de prendre le temps de ce recul sur les gestes de lecteur. Il construit aussi ses premiers devoirs ou ses corrections en mettant en lumière ces postures pour lancer les élèves autant que pour remédier. On peut même se livrer à un travail d’analyse de questions avec ce spectre, par exemple.
Au lycée, les postures de lecteurs et leur explicitation peuvent facilement être reprises (renommées aussi) pour conduire les élèves vers l’autonomie notamment dans la construction des commentaires littéraires. Au-delà, mettre à jour ces postures de lecteur permet à l’enseignant de réfléchir à l’entrée la plus pertinente dans les textes. L’enseignant aura alors tendance à élire la posture la plus propice à la discussion et invitera ensuite les élèves à passer d’un lecteur à l’autre.
La place de l’enseignant s’en voit considérablement modifiée puisqu’il place l’élève dans un « faire » : il analyse l’action des élèves, les relance, les oriente, les fait réfléchir, reformuler, justifier.


Bibliographie
(http://eduscol.education.fr/lettres/im_pdflettres/intervention-anne-vibert-lecture-vf-20-11-13.pdf