Du savoir à la justice publié le 08/07/2010

A la recherche de ce qui se joue au coeur d'Agamemnon

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Ouverture :

Puisque la présentation publique d’Agamemnon par les élèves d’option a été l’occasion d’un débat en cours de philosophie, le professeur nous a proposé cette ouverture :

A première vue, la tragédie « C’est quand on sait ce qui va arriver, qu’on fait tout pour que ça n’arrive pas, et que ça arrive quand même ». Mais le tragique ne se comprend jamais à première vue.
Car la tragédie est représentation de la tragédie. Et cela change tout ! Entre hier et demain, un seuil. Il s’y exprime un passage : l’entrée dans l’histoire, avec la trace de son héritage et l’horizon de son projet.
Le monde d’hier était un monde réglé par la seule répétition des sociétés et des modèles, seule intelligibilité, inutile donc. Car si j’ai compris que tout se répétait, comprendre ne servirait qu’à attendre. L’entrée en scène des acteurs qui signent des actions et des jugements de leur nom vient dérégler ce monde. Tout est comme avant et tout a changé : il y a bien quelque chose qui se répète, mais ce qui se répète est un rapport entre des situations, des actions et des jugements. Quelque chose peut-il dépendre de nous ? La question est moderne, ils n’ont pas le loisir de se la poser. Leur souci est « Que faire ? » Ici et maintenant : saisir une occasion, croire l’interprétation de telle situation, faire ceci ou cela, juger avec ceux-ci ou ceux-là. La tragédie explore ce seuil de l’entrée dans l’histoire en explorant le discours que tiennent les acteurs sur leurs raisons, leurs droits et leurs devoirs, leurs angoisses, leurs plaintes, leurs mémoires et leurs espoirs.

Le premier regard sur ce qui est arrivé est douloureux. Ce qui est fait est fait. Chercher des coupables ? Trouver des excuses ? Qui avait raison ? Faut-il continuer à jouer ce rôle ? Ramasser la mise ? Parier pour demain ? L’Orestie est un inventaire systématique des points de vue. Et que va-t-il se passer maintenant ? Sur la scène, le monde n’est pas rejoué comme un mythe récurrent, qui nous enferme dans une réponse tout faite, destinée à étouffer nos questions. Ce qui est montré n’est pas ce qui se passe mais ce qui s’en disait, ce qui s’en dit, ce qui s’en dira. Certains l’avaient bien dit, ont-il raison pour autant ?
L’avenir n’est pas libre : les possibles sont ceux qu’a laissé ouverts le passé, qui pèse, de tout son poids. Volonté de puissance ou de vengeance ou de survie ? De tant de logiques coexistantes naîtra un ce ces possibles, que les Dieux auront permis.

Un événement permis par les Dieux est un événement intelligible ! Il faut comprendre ce qui se passe ! Sinon c’est le chaos. Agir pour comprendre, peut-être, comprendre pour agir, sans doute, mais dans l’urgence et dans l’obscurité, sur fond de la plainte insistante de la longue colonne des porteurs de cendres, avec un oeil sur la confirmation imminente du signe qui doit venir.

Finalement, le tragique « c’était quand on croyait savoir, qu’on avait fait ce que l’on croyait devoir faire, et que ce qui arrive nous étonne, nous embarrasse ou nous stupéfie ? ». La science naît dans l’étonnement, dira Aristote. L’histoire aussi, naît dans l’étonnement... et devrait en vivre.

François Elie