Quelques portraits publié le 27/04/2006  - mis à jour le 23/02/2014

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Holweck Fernand

« Fernand HOLWECK est certainement l’un des plus remarquables représentants de la physique française de la première moitié du vingtième siècle. Son intelligence, sa perspicacité, son habileté d’expérimentation se retrouvent dans l’ensemble de ses apports à la science moderne ». (Pierre Dessapt : Cf. documentation).
Fernand Holweck est né à Paris en 1890, d’une famille alsacienne ; il est d’abord élève à l’École Communale Boulevard Arago, puis à l’École Lavoisier, et enfin à l’École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles (ESPCI) de Paris (Rue Vauquelin) dont il sort major Ingénieur Physicien en 1910.

Appelé sous les drapeaux en 1911, il sert sous les ordres du Commandant Ferrié 1 au Mont Valérien, puis au centre de TSF du Champ de Mars (Tour Eiffel), où il se perfectionne dans les techniques du vide, et s’intéresse aux détecteurs des ondes électromagnétiques : il apporte d’abord des améliorations au détecteur électrolytique, puis il construit des lampes valves à usage de détection thermoionique (càd des diodes à vide mettant à profit l’effet thermoélectronique). Il est ensuite préparateur au laboratoire Curie, où il travaille auprès de Mme Curie, puis il devient Maître de Conférences à la Faculté des Sciences de Paris. Dans des lettres personnelles que lui a envoyé Marie Curie, elle avouait son admiration pour cet homme de talent, brillant technicien, manipulateur d’exception…(Pierre Dessapt). Durant la grande guerre, il est d’abord affecté dans une compagnie radio de la Xe Armée sur la Somme. Il met au point avec succès un système d’écoute des réseaux ennemis. A partir de 1917, il est affecté sur sa demande à la Direction des Inventions (créée par Jean Perrin ), au laboratoire d’essais de Toulon, où il travaille sur les ultrasons, sous la direction de Paul Langevin 2, avec notamment Maurice de Broglie 3. Il collabore à la mise au point d’un "Sonar" pour la Marine Nationale.

A compter de 1919, il retourne au laboratoire de Mme Curie, devenu l’Institut du Radium, comme préparateur, puis Chef de Travaux. Dès lors, « avec modestie et dévouement, mais en travailleur acharné, il conçoit et réalise matériellement des objets techniques fondamentaux » : A partir des années 1920, les émetteurs à ondes entretenues permettant une modulation d’amplitude sont réalisés avec des tubes électroniques dérivés des premières triodes. La recherche de puissances d’émission toujours plus grandes conduit à la fabrication de tubes de plus grandes dimensions, pour éviter d’associer plusieurs, voire un grand nombre de lampes de puissances plus faibles. La durée de vie de ces composants est limitée ; le filament, en particulier, se fragilise rapidement par sublimation : les premières lampes d’émission doivent être remplacées après quelques centaines d’heures de fonctionnement. Il en résulte une forte augmentation du coût d’exploitation des installations, et l’idée de réaliser les émetteurs avec des lampes démontables et réparables s’avère très séduisante. Pour réaliser ces lampes démontables, la vraie difficulté est l’obtention d’un vide poussé. Les premières pompes utilisées dans l’industrie des lampes sont fragiles, encombrantes et pas très performantes : l’obtention d’un vide secondaire est longue et difficile, à cause des problèmes d’étanchéité de la robinetterie. Pour pouvoir mettre en œuvre des lampes démontables, il faut pouvoir refaire rapidement le vide dans l’ampoule, et pour cela disposer d’une pompe à vide au plus près de la lampe ; l’idée qui vient à l’esprit est de pouvoir disposer d’une pompe à vide couplée à la lampe d’émission : Fernand Holweck, qui travaille alors à l’Institut du Radium, développe un nouveau modèle de pompe à vide, dite pompe moléculaire hélicoïdale, au fonctionnement bien plus satisfaisant que la pompe à vapeur de mercure développée par le physicien allemand Wolfgang Gaede 4 vers 1916. Cette pompe robuste, compacte et transportable, permet de maintenir un bon vide dans un tube électronique, malgré les dégagements gazeux résultant de la sublimation des électrodes.

Un prototype de lampe démontable est donc construit par les Etablissements Edouard Belin 5, et testé par une commission présidée par Gustave Ferrié : Les essais sont concluants : le prototype donne entière satisfaction. Une lampe démontable Holweck est donc mise en place en mai 1923, sur l’émetteur de la Tour Eiffel, en remplacement des 30 lampes de faible puissance : la tension plaque est de 5000 V, et l’intensité anodique de 30 A. Diverses améliorations seront apportées par la suite à ces lampes : Circuit de refroidissement de la plaque, filaments de chauffage multiples pour augmenter la surface thermoémissive (les cathodes à chauffage indirect n’apparaîtront qu’au début des années 30), etc. Plus tard, on fabriquera des lampes de 150 kW (tension plaque de 7500V ; intensité anodique maximale de 50 A).

En 1920, Holweck établit théoriquement et expérimentalement la continuité (spectrale) entre les rayons ultra-violets et les rayons X. Il effectue également une mesure de la constante de Planck. Dès 1926, il s’intéresse aux principes de réception d’images de télévision sur oscilloscope cathodique et réalise la première réception. Il est aidé par Pierre Chevallier, ingénieur de l’École Centrale et René Souille, mécanicien de précision. Il met au point un tube cathodique d’une définition de 33 lignes avec une tension d’accélération de 1000 Volts. Cette invention est malheureusement sans lendemain pour cause d’incompréhension de la Société fournissant une partie du matériel expérimental. A la même époque, il met au point un dispositif pratique d’obtention de miroirs réfléchissants en aluminium destinés aux télescopes.

De 1929 à 1932, il réalise, avec le Professeur Antoine Lacassagne 6, alors Directeur de l’Institut du radium, un système technique appliquant les propriétés des rayons X et la pompe moléculaire à la biologie. On lui doit également une méthode d’ultra micrométrie statique permettant la mesure des dimensions d’organismes cellulaires tels que les virus. A la même époque enfin, à la demande du géophysicien Pierre Lejay 7, directeur d’un observatoire en Chine, il entreprend la réalisation d’un pendule gravimétrique à lame oscillante inversée pour la mesure du champ gravitationnel, applicable à la recherche de gisements miniers et pétrolifères : Selon le cahier des charges, cet appareil doit être peu encombrant, facilement transportable, et d’une très grande sensibilité : Holweck réalise sous microscope le minuscule pendule inversé ! Pour cette invention, il reçoit le Prix Albert 1er de Monaco en 1936. En fait, les seuls appareils opérationnels qui ont permis à la France de rétablir sa situation dans le domaine des mesures gravitationnelles ont été fabriqués par Holweck. A la veille de la seconde guerre mondiale, il s’intéresse au microscope électronique, aux amplificateurs de lumière, aux compteurs de photons. Il fait également des recherches en astrophysique, et en radioastronomie.

Pendant la « drôle de guerre » (1939-1940), il intervient dans le groupe du pilote Antoine de Saint-Exupéry, affecté à la 33ème escadre, près de Saint-Dizier : Les avions sont des bimoteurs Potez 63, pour des missions à haute altitude, dont les mitrailleuses ont le défaut de s’enrayer, parce que le lubrifiant gèle. Holweck est chargé de remédier à ce problème. En 1940, à la demande de Saint-Exupéry, il entreprend, avec la collaboration de René Barthélémy 8, ingénieur de la Compagnie des Compteurs de Montrouge, la mise au point d’un appareil de mesure des distances à partir des avions. Durant la guerre et l’invasion de la France, ses travaux sont mis sous surveillance, et son indépendance se heurte à la volonté d’utilisation des ses inventions par les troupes allemandes. Dès 1941, il rentre dans la résistance, et vient en aide aux parachutistes et aviateurs britanniques sur le territoire occupé. Quand la situation devient pour lui plus critique, il refuse de fuir la France, bien que se sachant menacé. Arrêté le 11 Décembre 1941 par la Gestapo, il est incarcéré à la Santé où il décède des suites de mauvais traitements le 24 Décembre 1941.
«  Le 11 Décembre 1946, la dépouille de Fernand Holweck est inhumée dans la crypte de la Chapelle de la Sorbonne. Elle témoigne avec d’autres de l’esprit de résistance, de l’esprit d’indépendance, du courage et de la volonté dont nous pouvons aujourd’hui nous inspirer ».

Le Prix Fernand Holweck a été fondé en 1945 par la Physical Society de Londres, pour honorer la mémoire de Fernand Holweck. Destiné à maintenir les liens amicaux entre les physiciens anglais et français, « ce prix est décerné tous les ans alternativement à un physicien français par l’Institute of Physics, et à un physicien anglais par la Société française de Physique. En 1954, un accord entre les sociétés de physique anglaise et française a permis de prolonger ce prix au-delà de la période de dix ans envisagée initialement. Il comporte la remise d’une médaille en vermeil ». Parmi les lauréats français de ces dernières années :
* en 1995 : Pierre Léna, astrophysicien à l’observatoire de Meudon.
* en 1997 : Jean-Pierre Briand, de l’université Pierre et Marie Curie.
* en 2001 : Pierre Coullet, de l’INLN de Nice.
* en 2003 : Catherine Brechignac, du Laboratoire Aimé Cotton d’Orsay.

Documentation :

J’adresse tout particulièrement mes remerciements à monsieur Pierre Dessapt, auteur d’un site absolument remarquable sur l’histoire de la Radio, intitulé « Raconte-moi la Radio », qui comporte entre autres de nombreuses biographies de physiciens. Monsieur Dessapt m’a autorisé à utiliser les pages qu’il avait écrites sur Fernand Holweck et les lampes démontables.

(1) Gustave Ferrié  : général et ingénieur français (1868-1932) : Dés 1899, il est enthousiasmé par les premières réalisations de Marconi, et s’impose alors de doter la France d’une télégraphie sans fil puissante et perfectionnée. Il met au point des émetteurs-récepteurs pour la marine et les colonies. Ses travaux permettent de faire passer la portée de l’émetteur télégraphique de la Tour Eiffel, entre 1903 et 1908, de 400 à 6000 km. Pendant la première guerre mondiale, grâce à lui, la radiotélégraphie militaire française est la plus performante des armées alliées. Il substitue les ondes entretenues aux ondes amorties, fait construire les célèbres lampes triodes T.M. (télégraphie militaire), avec le physicien Henri Abraham , et poursuit l’équipement du réseau français d’outre-mer. Ses collaborateurs ont développé l’étude des ondes courtes, d’où sortira plus tard le radar.

(2) Paul Langevin  : physicien français (1872-1946) : Il entre premier, à seize ans, à l’Ecole de Physique et Chimie industrielles de Paris, où il suit les cours de Pierre Curie. En 1894, il se présente à l’Ecole Normale Supérieure, où il est encore reçu premier. Boursier au laboratoire Cavendish de Cambridge, Langevin travaille sous la direction de J.J. Thomson. Docteur en 1902, il est nommé professeur au Collège de France. En 1904, il succède à Pierre Curie à l’Ecole de Physique et Chimie industrielles, dont il devient directeur en 1925. En 1934, il entre à l’Académie des Sciences. Guidé par le souci d’intégrer à son enseignement les dernières découvertes de la physique contemporaine, Langevin essaie vers les années 1920 de faire comprendre et populariser la théorie de la relativité d’ Einstein . Il ne cesse également, devant ses étudiants, d’approfondir et de clarifier les idées de la physique quantique. Parallèlement à son enseignement, Langevin poursuit des recherches dans les domaines les plus variés : mouvement brownien, ionisation des gaz, théorie du rayonnement, théorie du magnétisme, thermodynamique et théorie cinétique des gaz, relativité (paradoxe de Langevin !). Enfin, pendant la première guerre mondiale, Langevin imagine la technique de production et de détection des ultrasons qui devait être appliquée au repérage des sous-marins.

(3) Maurice de Broglie  : physicien français (1875-1960) : Elève de l’Ecole Navale, il quitte la marine en 1904. Il travaille d’abord à l’Observatoire de Meudon, puis au Collège de France, où il est l’élève de Langevin, et enfin dans son laboratoire privé, où il forme de nombreux physiciens. Docteur es sciences en 1908, il devient professeur de physique générale et expérimentale au Collège de France. Il travaille d’abord sur l’ionisation des gaz. A partir de 1913, il se consacre aux spectres de rayons X. En 1921, il découvre l’effet photoélectrique nucléaire : les éléments irradiés par les rayons X émettent des électrons qui peuvent être séparés par formation de spectres corpusculaires

(4) Wolfgang Gaede  : physicien allemand (1878-1945) : Il est connu par ses travaux sur les techniques d’obtention de vides poussés : Il a inventé en 1916 une pompe rotative à vapeur de mercure, qui permet d’abaisser la pression à 10-6 mm Hg.

(5) Edouard Belin  : inventeur français (1876-1963) : Il est l’inventeur (en 1907), puis constructeur des premiers appareils de phototélégraphie exploités en France. Il apporte aux procédés de transmission des images fixes plusieurs perfectionnements, dont la transmission du signal image par modulation en fréquence d’une sous-porteuse.

(6) Antoine Lacassagne  : biologiste et radiologue français (1884-1971). Il est sous-directeur (en 1923), puis directeur (en 1937) du laboratoire de l’Institut du radium. En 1941, il est nommé professeur de radiobiologie expérimentale au Collège de France. Il devient membre de l’Académie des Sciences en 1949. On lui doit des travaux de radiobiologie et de radiothérapie, de cancérologie et d’hormonologie.

(7) Pierre Lejay  : géophysicien français (1898-1958) : Jésuite, il est directeur d’un observatoire en Chine de 1930 à 1940. Il sera plus tard président du comité national français de géodésie et de géophysique (CNFGG). En 1946, il devient membre de l’Académie des Sciences. Il est notamment l’auteur de recherches sur les variations du champ de pesanteur.

(8) René Barthélémy  : physicien français (1889-1954) : Il est l’un des créateurs de la télévision en France. Ingénieur de l’Ecole Supérieure d’ Electricité, il s’intéresse d’abord à la création d’appareils de mesure, et à la radiophonie. Pendant la première guerre mondiale, il monte des émetteurs, et participe à l’installation du Poste de la Tour Eiffel. Il se tourne ensuite vers la télévision, et devient ingénieur en chef du centre expérimental de Montrouge. Perfectionnant le dispositif de l’anglais Baird, il est chargé d’une émission régulière en 1935. Cette même année, il porte la définition de 90 lignes à 180, puis à 240. Pour éviter le papillottement de l’image, il met au point le balayage entrelacé. Pendant la seconde guerre mondiale, il continue ses travaux, effectuant notamment des recherches sur le Radar.