Initiation au projet scénographique publié le 23/03/2009

Bilan d'un stage de scénographie

La scénographie au cœur de l’enseignement du théâtre

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler pourquoi cette "écriture dans un espace à trois dimensions"1, dont les révolutions ont accompagné celles de la mise en scène au XXème siècle, est une part essentielle de l’enseignement du théâtre en option, une fois dégagée d’une fonction arbitrairement ornementale ou purement illustrative :

  • Elle est un acte créatif intrinsèque qui initie et accompagne la création de la mise en scène et de l’acteur ;
  • Toujours concrète : qu’il s’agisse de construire une proposition de plateau, une maquette ou un schéma, elle oblige à quitter le fantasme de l’espace fictionnel pour proposer une réalité scénique et plastique en trois dimensions (en quatre en ajoutant le temps ) ;
  • Elle est chargée de l’intelligence sensible d’une œuvre et du théâtre, au cœur du système de signes de la représentation.

L’enseignement en croise les voies d’approche :

  • Angle incontournable de la réception de spectacle, qui cultive la rigueur de l’observation et l’acuité du questionnement, et aide à repérer, par cohérence ou décalage, les autres partis pris.
  • Souci constant pour la pratique de plateau, comme culture du décentrement qui rappelle que toute proposition scénographique – même techniquement limitée – par ses possibilités et ses contraintes, est un appui à la création de l’acteur et de la mise en scène et s’inscrit à la fois dans une réalité scénique, un projet créatif et une certaine idée du théâtre.
  • Elle devient un enjeu propre du travail écrit en option de spécialité : les épreuves du Bac peuvent demander de définir ( devoir de type I ) ou d’analyser (devoir de type II ) les principes d’un projet scénographique.

Comme dans le cadre de ces épreuves, la communication du projet ne peut se faire qu’en deux dimensions, on ne saurait trop conseiller de s’exercer à vérifier ses intuitions par la réalisation de maquettes, qui constitue toujours une première mise à l’épreuve de l’intérêt et de la cohérence théâtrale d’un projet.

C’est pourquoi nous présentons ici le compte rendu d’un stage d’initiation à la scénographie avec pour objectif la création de maquettes, stage que nous avons pu mettre en place en octobre 2007 : après un mois d’approche dramaturgique de trois des cinq œuvres au programme cette année-là, le groupe des élèves de terminale en option de spécialité théâtre au LISA s’est retrouvé en position d’invention sous la direction précieuse d’un scénographe professionnel : ce stage a été animé par Jack Percher, scénographe et metteur en scène, qui est également intervenu lors de la mise en jeu des Pièces de guerre d’Edward Bond au mois de Mars 2008. Ce bilan est construit à partir d’extraits des journaux de bord des élèves : soit sous forme de synthèse soit sous forme de regards croisés.


Regards sur la scénographie

Synthèse de plusieurs journaux de bord
Nous commençons, assis autour d’une grande table, à nous demander ce qu’est la scénographie.
La scénographie est la mise en espace d’une pièce. Elle doit faire l’objet d’une recherche sur le climat et l’atmosphère. Notons au passage que la première vision que le spectateur a du spectacle va conduire définitivement son regard sur la pièce. Le scénographe est donc responsable de l’image pour le spectateur comme de l’espace de jeu pour les acteurs.

La première chose à faire pour créer un décor est de s’appuyer sur le seul lien avec l’auteur : le texte. La scénographie n’est ni plus ni moins qu’un exercice d’interprétation. Il faut donc laisser tomber l’idée préconçue qui enferme la scénographie dans les didascalies. Les didascalies sont une aide mais en aucun cas des directives à suivre à tout prix, prudence !
Au théâtre, il n’y a pas de règles, tout est possible : il ne faut donc pas hésiter à proposer les idées les plus farfelues et les plus folles à condition qu’elles soient justifiées. Le scénographe ne peut avoir qu’une seule et même idée et doit ouvrir l’angle d’attaque de son regard. On peut tout montrer mais il s’agit d’interpréter. Par la scénographie, on interprète notre lecture d’un texte. Les choix artistiques peuvent être très différents selon la lecture d’une oeuvre. « On peut tout imaginer », tant qu’il y a de la cohérence.

Les premiers choix sont ceux de l’époque de référence : doit-on obligatoirement en choisir une ? Que signifie le parti pris d’une absence significative de repères dans le temps ? Se pose également la question d’un intérieur ou d’un extérieur.

Autre enjeu : le rapport scène salle qui offre un statut différent au spectateur. Nous ne sommes pas obligés de rester dans un dispositif frontal. Si la majorité des pièces que nous voyons ont un dispositif à l’italienne, cela tient à des raisons économiques : il est plus facile pour les metteurs en scène de vendre leur spectacle par la suite car la majorité des théâtre sont à l’italienne. Cela ne vient pas forcément d’une préférence du metteur en scène. En nous souvenant de nos cours sur l’espace théâtral, nous commençons par confronter différents types d’organisations du lieu théâtral : le théâtre circassien ou un dispositif en ring ; ou bien la disposition frontale en boîte ; ou encore la bi-frontalité qui permet aux spectateurs de se voir ; ou une configuration en couloir … Si l’on a fait le choix d’un théâtre en extérieur, se pose encore le choix d’un spectacle itinérant ou d’un spectacle fixe. Si les possibilités sont multiples, on se souvient que tous les modèles - historiques ou non - s’inspirent de deux principes de base : le théâtre en rond ou la boîte, l’encerclement ou le reculement
Pour les costumes, le scénographe a également un droit de regard. Il travaille en relation avec le costumier afin d’installer une cohérence. Notons que c’est, avant tout, un travail d’équipe.

Quel est l’intérêt de se poser toutes ces questions ? Il s’agit de trouver son propre cheminement. C’est le parcours du spectateur qui fait la fable et non l’inverse. Le scénographe comme le metteur en scène doit se mettre à la place du spectateur et adopter un regard extérieur ; dans la scénographie le puzzle des signes est reconstitué : le spectacle retrace son propre cheminement.


Le questionnement dramaturgique condensé en quelques mots

Le scénographe doit ensuite travailler avec les images qui lui viennent. Il peut les retranscrire au moyen de mots. C’est ce que nous avons fait pour Nous les héros, Juste la fin du monde de Lagarce et La Fausse Suivante de Marivaux. Avec Jack et notre professeur, nous avons interrogé les trois pièces en posant des questions dramaturgiques pour aller vers un choix scénographique.

Avant d’entrer dans les détails, il faut trouver la sensation que nous voulons donner, puisque, rappelons-le, la première chose que voit le spectateur est une image dont il se nourrit pendant le reste de la pièce. Nous cherchons ensemble quelques mots qui seraient les mots-clefs de chaque pièce.

Pour Nous les héros de Jean-Luc Lagarce

Nous trouvons :

  • Guerre : il n’y a pas d’échappatoire dans cette pièce : nous pouvons penser à un espace sans issue, à un plafond Nous pouvons aussi imaginer une lumière très froide, très agressive. Des mots en rapport avec la guerre : oppression, réfugiés, froid, sombre, fin.
  • Fiançailles : avenir, festif, clair, gaîté … ce devrait être un moment heureux, convivial. Pourtant nous voyons qu’ici ce n’est pas vraiment le cas. Cela nous conduit à un paradoxe qui donne à réfléchir sur l’ambiance, sur la situation des personnages, sur le côté pathétique qui en ressort Il y une sorte de déséquilibre et de bouleversement : comment peut-on représenter un déséquilibre ?
  • Famille : ici, cette famille est un résumé de la société : elle est sans cesse travaillée par des tensions, des solidarités et des remises en cause. Mais tous les personnages ne font pas partie de la famille. Certains sont embauchés par la troupe. C’est une sorte de « famille - entreprise ». Quels sont les rapports entre les personnages ? Les « personnages rapportées » sont-ils très différents des autres ? Quels sont les rapports de force ?
    Dans cette pièce, une question s’impose : ont-ils véritablement joué une pièce auparavant ? Jack nous rappelle que ce n’est pas parce qu’un personnage dit quelque chose qu’il faut le croire. Nous pouvons prendre le parti de faire mentir un personnage ou de le rendre fou.

Pour Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce :

Il est question de famille, de retour, et d’amour :
Louis revient dans sa famille mais il est oublié, rayé par les siens. On voit qu’il n’y a pas et qu’il n’y a jamais eu de communication. Le retour de Louis est impromptu, « intempestif ». Les choses vont-elles se dire et être dévoilées ? Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de communication et d’écoute qu’il n’y a pas d’amour, nous rappelle Claudine

Il est question d’adieux. Le personnage Louis revient vers son passé car il va mourir, il n’a plus d’autre choix que de prendre conscience de sa situation. Nous pouvons cependant imaginer qu’il revient sans aucun signe de désintégration. Nous pouvons penser qu’il est parti parce qu’il se sentait, à tort ou à raison, différent de son entourage. Des résonances autobiographiques ? Nous ne pouvons nous empêcher de faire un parallèle avec la vie de l’auteur qui lui aussi a une sœur ( mais son père n’est pas mort ) Cependant la pièce ne met en scène ni la mort ni la maladie, juste le retour de Louis. Ces personnages se séparent au moment où ils se retrouvent, mais à part Louis personne ne le sait. Plus que jamais il ne faut pas raconter la fin, ni par la scénographie, ni par le jeu – nous verrons à quel point il faut éviter le pathétique - même si tout est vu du point de vue de la fin.
Dans la scénographie, nous devons faire le choix de la dimension du temps et du souvenir.

Pour La Fausse Suivante de Marivaux

Il est question d’épreuve et de vérité, d’argent et d’amour.

L’histoire se passe chez la Comtesse. Dans ce lieu, il y a toujours du passage, des entrées et sorties en permanence : chaque fin de scène est ponctuée par un« quelqu’un vient » ou un « je m’en vais » Beaucoup de bruits de couloir, un va-et-vient permanent. C’est un espace totalement perméable, piégé : on peut passer, on peut parler, on peut être vu, surprendre et être surpris. La question est de savoir comment représenter dans la scénographie cette perméabilité constante.

Ce jeu d’apparitions et disparition est lié au thème central du travestissement : une femme se déguise en chevalier afin de tromper son (ses) adversaires(s) Cependant l’argent est le nerf de la guerre, du jeu de séduction, entre ceux qui en veulent et celle qui en a : le chevalier qui peut « arroser » est de ce point de vue maître du jeu. Mais à quel prix peut-on acheter la vérité ?

Autre point essentiel pour la scénographie : le jeu des valets. Trivelin est plus malin que ses maîtres, on peut penser à Sganarelle dans le théâtre de Molière. Leur malice n’est pas ridicule, bien au contraire. Pour eux il n’est question que de sexe, d’argent et de ventre.


L’élaboration critique des projets

Nous formons des groupes et nous mettons au travail : en groupe car « au théâtre on ne travaille jamais seul, il y a les comédiens les costumiers, le metteur en scène, les régisseurs … » Nous avons donc fait cinq groupes de trois personnes, avons choisi deux oeuvres sur lesquelles nous voulions construire un projet scénographique, parmi les trois oeuvres proposées. Chaque groupe commence à réfléchir à la mise en place de son projet, et d’abord aux interprétations qu’ils font du texte.

Pour la Fausse Suivante : une piscine ?...
Par Marie

Nous souhaitons une scénographie « moderne » mais nous n’avons pas d’illumination. On appelle à l’aide : moderne ? Pourquoi pas ? A notre époque on épouse encore pour de l’argent : aujourd’hui Lélio serait un gigolo mondain et la comtesse une héritière décatie.

Nous nous proposons de situer l’action dans le milieu de la jet-set : le monde du clinquant et du faux semblant, du cynisme et de l’opportunisme ; le travestissement est omniprésent dans la mesure où chacun est obsédé par son image, qu’il travaille, qu’il veut maîtriser et montrer comme parfaite

D’où l’idée d’une piscine dans une villa, où les jet-setters continuent la fête tout en poursuivant leurs spéculations. Les valets deviennent les serveurs. Le jeu devient un défi pour le chevalier qui doit être assez rusée pour ne pas se dévoiler, ne pas « se mouiller » au sens propre.

schéma piscine

La piscine sera donc au centre comme un symbole d’une société de consommation et de loisirs ; autour transats et parasols deviendront des accessoires de jeu pour les acteurs ; la haie offre la possibilité de se cacher et d’espionner ; le sol sera d’herbe, naturelle ou artificielle.
Nous choisissons un dispositif frontal inscrit dans une boîte noire, puisqu’au théâtre le noir ne représente rien et laisse le public tout imaginer.

maquette piscine

… ou un chantier ?
Par Coline

Avec Estelle et Lucie, nous choisissons La Fausse Suivante.
Nous avons voulu exploiter le plus possible l’idée des bruits de couloir, de l’espionnage.

Nous voulions donc que tous les personnages soient toujours présents sur scène. De cette manière, tout le monde devient menteur et tout le monde est complice de ce mensonge collectif. Nous voulions donc un espace sans issue. Au départ nous voulions que seul le Chevalier échappe au mensonge. Dans cette interprétation, la Comtesse serait machiavélique : purement intéressée, dotée de faux sentiments, elle rechercherait « à tout prix » de l’argent. Nous nous confrontons peu à peu aux limites de cette lecture univoque mais elle a mis au travail notre imagination.

On imagine donc qu’elle manque d’argent. Sa maison est en ruine, ou en reconstruction. C’est la ruine de l’aristocratie qui est mise en question, son opportunisme. Sur la scène, deux échafaudages. Nous pensions au début mettre le public sur ces échafaudages mais nous nous sommes vite rendu compte que nous n’avions pas de raison de faire cela : donner trop de surplomb au spectateur va à l’encontre de la dramaturgie de Marivaux. L’espace est donc frontal. Les acteurs ont plusieurs espaces et niveaux de jeu : le sol, les deux étages des deux échafaudages, un étage rejoignant les deux, au fond et des escaliers disposés à différents endroits. Autour de ces échafaudages, du grillage pour qu’ils soient vraiment enfermés.

Chantier Fausse Suivante

Sur le sol, de la terre pour rendre le lieu sale. La Comtesse, en robe de soirée, paraît décalée et ridicule. En fait nous prendrons du marc de café pour réaliser ce sol, ajoutant l’odorat aux sensations scénographiques ;

… ou un nœud d’escaliers ?
par Florent

Avec Alexandre et Hanan, nous avons choisi de nous attaquer à La Fausse Suivante. Cette pièce fourmille d’entrées et des sorties, à chaque scène, l’arrivée d’un personnage est annoncée, c’est une succession de rencontres. Nous avons donc pris parti d’un lieu de rencontres, un lieu de passage. Au départ on a eu l’idée d’un pont, puis d’un escalier. En effet le rôle d’un escalier est de relier deux points séparés par un étage. Nous avons donc pensé à axer notre scénographie sur des escaliers. A la base ce devait être une grande structure en fond de scène avec un ou deux escaliers collés à un grand mur parsemé de quelques portes, par lesquelles les personnages pourraient apparaître ou disparaître. Et puis on a vite abandonné cette idée de mur du fond pour ne garder que l’idée d’escaliers. D’accord, la pièce est censée se dérouler chez la comtesse. Mais quel est le plus important ? La fiction (la mimesis dirait Claudine ) ou le type d’espace proposé ?

Nous avons choisi de mettre en place une scénographie totalement abstraite. Des escaliers qui partent dans tous les sens et dont on ne voit pas l’origine, inscrits dans une boîte noire. A la base les escaliers auraient dû être également noirs, de sorte à être invisibles à l’œil du spectateur, mais finalement nous les avons fait blancs parce que c’est plus pratique et prudent pour les comédiens au niveau des déplacements (surtout s’ils doivent sauter d’un escalier à l’autre) et puis aussi parce que nous avions fabriqué les escaliers de la maquette sur du canson blanc et que finalement on s’est dit que ce n’était peut-être pas la peine de les peindre en noir, qu’en blanc ça donnait très bien. Et on a constaté que la structure en était d’autant plus impressionnante avec des escaliers qui montent jusqu’au plafond et partent d’en dessous de la scène, ou bien des coulisses, bref dont on ne voit ni commencement ni la fin, si l’on peut dire cela d’un escalier.

Claudine nous apporte une œuvre d’Escher, Relativité, qui pourrait nous inspirer : un écheveau fantastique d’escaliers qui crée un espace improbable, paradoxal, conjuguant l’idée de pure circulation (tous azimuts) et d’enferment : une vision presque kafkaïenne de Marivaux. A se demander si Lagarce n’a pas contaminé notre lecture de Marivaux, même si l’idée de piège et de désorientation sont bien au cœur de sa dramaturgie.

Relativity

Nous avons donc fabriqué une boîte noire à l’échelle de 2 cm pour 1 m (le personnage mesure 3,4cm pour 1.7m) et conçu un dispositif d’escaliers qui partent un peu dans tous les sens, avec un escalier imposant qui part du milieu de la scène (sa base est située sous le plateau) et semble se perde au fond de la scène au milieu de rien. Tout fonctionne de cette manière. On ne voit ni le début ni la fin. Et après découpage, collage, scotchage, agrafage, couture, peinture etc. voici enfin notre production une idée pour une scénographie qui, à véritable échelle, serait trouvons-nous véritablement impressionnante pour le spectateur et une machine à jouer stimulante pour metteur en scène et acteurs avec une multitude d’appuis de jeu possibles, à condition de ne pas avoir le vertige bien sûr …

maquette Fausse Suivante : escaliers

Pour Nous les Héros de Lagarce : du labyrinthe à la balançoire
compte rendu par Marie

D’abord il faut chercher des mots en rapport avec la pièce : grâce à ces mots on peut s’interroger sur les points communs et imaginer des images correspondantes.

Quand on dit Nous les héros, nous répondons : fiançailles : fête, sortie, espoir, clarté, lumière, convivialité. Mais rappelons que cette union n’est pas réellement voulue par les personnages. Il y a aussi : tension, guerre, questionnement, perte, quête, dévalorisation, exclusion, hypocrisie, peur, choix, but, déséquilibre .

« Demain nous fuirons mais ce soir encore nous faisons semblant puisque nous ne savons rien faire d’autre »
Cette phrase est tombée sous nos yeux : elle renforce notre idée de scénographie. Le mot de déséquilibre nous fait penser à un labyrinthe. C’est symbolique de la perte : on cherche la sortie ; les personnages de la pièce ne cherchent–ils pas un moyen d’échapper à leur vie ? Au centre de ce labyrinthe, il y aurait une boîte, un lieu de passage : ce serait la pièce où la troupe pourrait se retrouver. A l’intérieur, les actions « réelles » comme les fiançailles par exemple. Le public serait placé au dessus : situation offusquante pour lui aussi ; il ressent la même chose que les acteurs mais il devient maître de la situation quelque part.

schéma labyrinthe Nous les héros

On propose ce projet à Jack qui n’est pas très convaincu : on se rend compte qu’un plateau est trop petit pour un labyrinthe et une boîte ; il trouve que la parcours de l’acteur ne va pas. « Dire les choses mais ne pas tout tuer » Nous avons voulu tout analyser et justifier mais il nous demande de laisser le public imaginer. C’est bien de penser à plein de choses mais il faut garder une seule question.

Puis une autre idée nous vient : un plateau qui bascule. On reste dans le principe du déséquilibre et c’est techniquement possible : ce serait une sorte de balance que les acteurs feraient bouger. Ce dispositif joue avec les appuis des acteurs : leur jeu va être déstabilisé et déstabilisant. Nous envisageons d’inclure le public dans le jeu, de créer une interaction entre acteurs et spectateurs dont faudrait limiter le nombre à une trentaine.

Le plateau sera une plate-forme montée sur verrins. Les acteurs seront en danger permanent avec ce plateau en déséquilibre. Sur le plateau il y aura une table pour les fiançailles avec deux bancs.
Les acteurs sont conviés au buffet des fiançailles : le public est invité à la fête, tout le monde se retrouve autour de la grande table recouverte d’une nappe blanche. On pense aux réactions du public : certaines personnes peuvent se conduire de façon inattendue. Au début l’espace est figé. Et à un moment précis, coupure d’électricité. Le plateau commence à bouger. Moment crucial. Tout bascule. Est-ce la guerre qui provoque ce chambardement ?
Bon nous passons à la réalisation des maquettes.

le radeau de Nous les héros

ou de l’asile à la démolition ?
Bilan par Aliénor

Avec Julie et Rebecca, nous choisissons de nous orienter vers Nous les héros. Il nous vient tout de suite des images communes : un univers écrasant, oppressant, sans issue plutôt glauque.

Nous avons au début l’idée de créer un effet de surprise qui surviendrait en fin de spectacle. Nous partons sur l’idée d’une pièce fermée qui se révèlerait être un asile. Un bruit indescriptible retentirait à chaque fois que les personnages parleraient de cette impalpable guerre. A la fin, le bruit en question se révèlerait être le bruit d’un tractopelle chargé de détruire cette partie de l’hôpital psychiatrique. Mais l’idée nous paraissait trop surfaite. Nous décidons de garder l’histoire du bruit et des travaux afin de symboliser cette guerre, mais en modifiant la trame .

Après plusieurs essais, une idée se détache : les acteurs sont enfermés dans un vieux théâtre miteux et glauque et la guerre dont ils parlent est en fait une guerre culturelle contre ceux qui désirent détruire ce vieux théâtre. Nous imaginons donc deux murs en angle droit : un décor en décrépitude, quasi-pourri. L’image finale est la destruction des deux murs grâce à des fissures pré-construites.

Nous décidons de travailler sur la décrépitude avec les effets de matière. Nous réalisons un véritable crépi sur les murs en polystyrène au moyen de boue séchée, mélangée à de la peinture verdâtre. Le sol ne doit pas non plus être reluisant : nous fendons de la mousse afin de dessiner un carrelage et nous élaborons une couleur des plus repoussante. Tout cela, bien entendu à l’échelle. Nous travaillons aussi sur l’humidité grâce à des variations de couleur aux plinthes des murs. Nous découpons ensuite au cutter les fissures dans les murs sans oublier de gommer l’aspect propre et neuf des matériaux utilisés. Le tout enfermé dans la traditionnelle « boîte noire ». Nous meublons cet espace désaffecté avec quelques souvenirs : un tuyau qui suinte au mur, un divan épuisé, un miroir terni.

maquette fin du théâtre

Présentation des projets achevés

Pour La Fausse Suivante

  • des escaliers mystérieux
maquette escaliers vue d'en haut

Florent, Hanan et Alexandre ont exploité au maximum l’idée de passage permanent. Ils ont construit une boîte noire – ce sont les seuls à avoir construit intégralement la boîte du théâtre dans toutes ses dimensions ! - dans laquelle s’entrecroisent des escaliers blancs. Certains descendent dans un sous-sol que l’on ne voit pas. Les personnages peuvent arriver de n’importe où, ce qui donne un grand choix d’entrées et de sorties.
Il y a deux lieux principaux : les escaliers et le plateau. Ce dispositif est très impressionnant car on ne voit pas le bout des escaliers. Il inspire le mystère et la curiosité du spectateur.

  • ou une piscine

Laurène, Marie et Solène proposent un plateau vert (en herbe) avec une piscine au milieu. Dans un coin, une haie. Dans un autre coin, un salon de jardin en bois. Elles ont exploité l’idée d’un monde basé sur l’apparence. Elles l’ont actualisé : elle ont voulu le situer dans la jet-¬set, un monde de milliardaires hypocrites. La haie dans le coin sert à se cacher pour épier.
Cependant à y regarder de plus près, leur dispositif - piscine un peu étriquée, décor un peu « cheap » - évoque moins celle d’une villa de milliardaire que celle, parfaitement artificielle, d’un plan de lotissement ou mieux le décor d’une télé-réalité. Mais après tout pourquoi pas ? Manière de mettre à distance les illusions des personnages ou de retrouver un Marivaux expérimentateur implacable

Claudine pense à une mise en scène de Georges Dandin par Daniel Benoin en 1977 : avec pour parti pris la récupération de la culture par le monde des loisirs, il avait transposé l’action de Molière dans un Club de vacances, consacré à Molière ; la scénographie proposait devant un hôtel-club et ses bungalows, une piscine "couloir" semi-circulaire, entourée d’un bar et de chaises longues ; ironie la piscine était une pataugeoire autour de laquelle s’activaient les personnages en maillot de bain, mis en situation concrète dans une frénésie de plaisirs, au risque de parasiter l’action dramatique .

Pour NOUS LES HEROS

  • Le radeau de la Méduse

Laurène, Marie et Solène ont pris le parti d’une instabilité poussée à l’extrême. Un plateau noir sur lequel un plancher plus petit est posé en hauteur et en équilibre sur un mécanisme ( un fil de fer replié dans leur maquette !) qui permet au plancher de bouger : ainsi il peut basculer d’un côté ou de l’autre selon les tensions qui règnent dans la famille.
Sur ce plancher sont posés une table et des bancs blancs : un grand buffet pour les fiançailles.
Cette instabilité est due à la guerre, à l’avenir incertain du groupe. C’est un espace sans issue, ce qui augmente les tensions. Le plancher est miteux, ce qui montre que la situation financière est critique. L’image d’ensemble est celle d’un radeau sur lequel est embarquée la troupe à la dérive : image symbolique de leur errance et de leurs incertitudes
Le public est placé tout autour : l’aire du jeu expose les acteurs, mais chacun a un point de vue différent Cependant le public peut partager la peur par le déséquilibre constant du plateau.
Rétrospectivement j’ai été frappée par les points communs entre leur dispositif et celui proposé par Laurent Peduzzi pour la mise en scène de François Rancillac de Retour à la Citadelle, spectacle que nous avons découvert en janvier : une tournette qui multiplie les points de vue pour les spectateurs et dont les mouvements rythment la dramaturgie temporelle de l’œuvre ; sur le plateau nu une longue table dressée pour le banquet des retrouvailles

  • ou la fin du théâtre

Aliénor, Rebecca et Julie ont imaginé que cela se passe dans les loges d’un théâtre. Deux murs forment un coin. Tout est très miteux. Deux parties du mur laissent voir d’énormes fissures. Elles imaginent que la guerre qu’évoquent les personnages est une guerre culturelle. C’est leur théâtre qui est visé. Ainsi à la fin lorsque la guerre éclate, c’est illustré par la chute des morceaux des murs.

Leur dispositif, qui joue sur l’enfermement et la ruine, à la Beckett, nous incite à fantasmer sur le mystère de l’ailleurs : ni les personnages ni les spectateurs ne savent ce qui se passe derrière le mur, ni même si le théâtre existe. On peut imaginer que des bruits ambigus - de guerre ou de démolition – viennent inquiéter les personnages.

  • ou encore la métaphore d’une tombe

Par Amélie, Caroline et Quentin Plateau noir. Au milieu, un rectangle vert (de l’herbe). Sur ce rectangle, deux murs noirs forment un coin, qui devient un piège. Ils ont la possibilité de partir sur les côtés mais font le choix de ne pas le faire.

maquette l'enfoncement

Le carré d’herbe s’enfonce dans le sol au fur et à mesure de la pièce. Ce trou peut représenter un tombeau, sous l’herbe. Cette mise au tombeau peut représenter le poids des tensions, le climat pesant et la crainte de la guerre.
Bilans de Coline


Pour Juste la fin du monde

  • Un labyrinthe de portes
portes pour Juste la fin du monde

Caroline, Quentin et Amélie proposent là un système de cage. Leur dispositif est une variante bi-frontale : les gradins encadrent la scène sur deux côtés, d’où une complicité avec le public dont le nombre est limité. Sur le plateau, des portes rouges créent l’espace de jeu : une sorte de labyrinthe de portes, image cohérente avec la famille ; la porte avec la croix noire est celle de Louis, qui ne sort et ne rentre que par cette porte interdite qui évoque le mystère.
Leur proposition permet au spectateur de rester dans la suggestion : comme le rappelle Jack, « le théâtre doit suggérer, montrer mais jamais démontrer ».

  • ou une commode à souvenirs
la commode de Juste la fin du monde

Lucie, Coline et Estelle proposent un plateau vide avec une commode à l’avant-scène jardin : c’est à la fois la maison et la boîte à souvenirs associée à la mémoire de Louis ; au lointain un cyclorama sur lequel sera projetée une photo de famille qui change de dimension et disparaît au fur et à mesure de la pièce.
Bilans par par Marie

Conclusion

par Aliénor

J’ai beaucoup apprécié ce stage dans lequel je me suis bien investie. Le travail de recherche en équipe m’a plu car il est basé sur le ressenti et les images que le texte renvoie. J’ai senti que chacun s’est investi personnellement dans cette mission. Ce travail de réalisation et ce résultat m’ont enchantée. Je tiens à remercier Claudine et Jack pour leurs précieuses aides. Quel bonheur d’explorer ainsi une œuvre et d’avoir pu en faire partager notre propre vision ! Le théâtre couvre un grand travail en amont. La scénographie est primordiale dans une pièce puisqu’elle est la première piste pour le spectateur. Naturellement nous sommes bien conscients que ce stage est une simple initiation mais il nous a donné confiance dans nos possibilités d’invention comme d’auto critique .

(1) cf Le dictionnaire du Théâtre de Patrice Pavis aux Editions Sociales