Assises académiques des langues vivantes publié le 30/11/2008  - mis à jour le 28/04/2010

30 septembre 2008

Pages : ...789101112131415

Déjà par le passé l’Espagne, ne l’oublions pas, avait manifesté un grand intérêt pour la culture germanique : la philosophie krausista notamment (de Christian Friedrich Krause, 1781-1832) s’y était répandue de façon étonnante. Et l’Amérique latine avait également reconnu bien volontiers à l’Expressionnisme allemand, dans les années 20, à travers le jeune Borges avant-gardiste, « ultraísta », des qualités esthétiques exceptionnelles. Schopenhauer et Nietzsche ont joui aussi en Amérique latine, parmi les intellectuels les plus brillants du XXème siècle, d’une réception éminemment positive. Ne disons rien de la langue française ni de la langue anglaise, dont la percée fut très sensible, comme on le sait, notamment à partir de la perte définitive par l’Espagne de ses colonies américaines, aux environs de 1820. Le fort sentiment anti-hispanique d’alors eut pour conséquence directe l’ouverture sans limites du monde hispano-américain à de nouvelles métropoles culturelles, dont la France et l’Angleterre. La pénétration de l’anglais au niveau lexical, au Mexique notamment, tout comme dans les Antilles hispanophones (Porto Rico, Cuba, la République dominicaine) n’est un secret pour personne. Elle s’est renforcée aux XXème et XXIème siècles pour des raisons essentiellement économiques notamment ( immigration hispano-américaine vers les USA) et a donné lieu, dans certains cas, à des langages étrangement syncrétiques : le « spanglish », par exemple, que parlent certains Dominicains de la diaspora, irritant de ce fait leurs propres compatriotes restés en République dominicaine.

Il n’est pas de langue se développant en vase clos. Le dialogue des langues — agité, conflictuel parfois, ne le nions pas — nous invite donc à un apprentissage lui-même multiple, souple, échappant le plus possible à la rigidité des hiérarchisations. Aucune langue ne devrait théoriquement chercher à prendre l’ascendant sur aucune autre. Toutes s’interpénètrent à des degrés divers : l’arabe, par exemple, dont je n’ai jusqu’ici pas parlé, a marqué de façon notable le lexique espagnol (tous les mots commençant par [al] sont d’origine arabe). Il y a plus : la poésie amoureuse espagnole des XI et XIIème siècles, dans les fameuses « jarchas » à l’insolite sensualité, porte la trace de cette culture arabe qui imprégna le monde hispanique pendant sept siècles, à travers l’architecture notamment. (Las « jarchas » sont des compositions lyriques mozarabes, hispano-arabes donc, chantées par des jeunes filles amoureuses.) Le chinois, appelé en France et, plus largement, en Europe à un développement prometteur, n’est pas étranger lui non plus à l’univers latino-américain : à Cuba, au Mexique, pour ne prendre que ces deux exemples, l’immigration asiatique a laissé des traces multiples dans l’économie, a contribué à la complexité et à la richesse des métissages. Traces recueillies avec humour par des écrivains aussi talentueux et différents que Severo Sarduy (cubain, romancier néo-baroque) et Paco Ignacio Taibo II, espagnol d’origine, émigré avec sa famille au Mexique où il finit par prendre racine, être naturalisé mexicain, et considéré aujourd’hui comme le maître incontesté du roman noir latino-américain.