L’évitement des cours d’éducation physique et sportive et le recours à des certificats médicaux non justifiés. publié le 28/03/2022

Introduction

La question de l’évitement, à l’école, des cours d’éducation physique et sportive, et notamment des cours de natation, n’est pas vraiment nouvelle. Enjeu éducatif et de santé publique, elle fait légitimement l’objet d’une attention soutenue des professeurs d’EPS, des personnels de santé scolaire, des CPE et des chefs d’établissement.
Il ne sera évidemment pas question, dans le présent document, de mettre en cause les absences justifiées en raison d’une inaptitude, totale ou partielle, passagère ou durable, dues à un état de santé défaillant ou en situation de handicap. Mais il s’agira de s’interroger sur la conduite à tenir en cas de doute sur la réalité du motif médical invoqué.
Si, en effet, la question n’est pas nouvelle, elle a fait l’objet, jusqu’ici, au sein des établissements et des services de l’éducation nationale, d’épisodiques allusions plus que d’une réflexion institutionnelle assumée.
C’est en décembre 2020, au cours d’une session de formation à la laïcité tenue dans l’académie de Lille, en présence des coordonnateurs de l’équipe académique Laïcité et valeurs de la République, que plusieurs participants, chefs d’établissement, professeurs et CPE, ont fait part de la difficulté particulière qu’ils éprouvaient, lors de cycles de natation, devant la multiplication de cas d’« allergie au chlore » dans les classes et la présentation, par les élèves et leurs parents, de certificats médicaux d’inaptitude à l’EPS au bien-fondé douteux.
Le fait qu’un médecin délivre plusieurs certificats médicaux d’inaptitude, au même motif d’allergie au chlore, pour plusieurs élèves d’un même établissement, peut en effet légitimement interroger sur la réalité dudit motif, a fortiori lorsque l’eau des piscines de la commune concernée n’est pas traitée au chlore.
C’est à partir de cet épisode que le Conseil des sages de la laïcité (CSL) a souhaité préciser dans la fiche 9 du vademecum La Laïcité à l’École, le paragraphe intitulé « Au sujet de la suspicion de certificat médical non justifié » en mentionnant notamment les articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du Code de déontologie médicale.

Pour tenter cependant de mesurer l’effectivité du problème et de proposer des éléments de réflexion et des pistes d’action, le ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la citoyenneté, ont confié, le 21 février 2021, une mission au Conseil des sages de la laïcité. L’objet de la mission a été précisé dans un communiqué de presse reproduit en annexe.

Le CSL a constitué un groupe de travail spécifique avec quelques-uns de ses membres, des représentants de la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), ainsi que des personnalités extérieures, notamment issues du monde médical ou en relation avec celui-ci.

En premier lieu, le groupe de travail a constaté l’absence de données chiffrées au plan national mesurant l’ampleur du phénomène. Il n’existe, en effet, aucune statistique nationale sur les absences en cours d’EPS, ni sur les causes médicales justifiant de telles absences, moins encore sur les certificats médicaux d’inaptitude douteux. Il a néanmoins été possible de s’appuyer sur l’enquête flash réalisée par la Dgesco, à la suite du communiqué de presse des ministres, entre le 1er et le 17 mars 2021 (cf. annexe). Même si ses résultats ne doivent pas être imprudemment extrapolés, cette enquête indique que les absences en cours de natation ne constituent pas un phénomène massif. Elle ne chiffre pas la proportion de ces absences qui traduiraient une volonté d’évitement, que cette volonté soit inspirée par des raisons religieuses – ou certaines pratiques se prévalant du religieux – ou par d’autres motifs.

Le travail du groupe de travail a été malheureusement entravé par la pandémie, l’obligeant à différer les visites d’établissements scolaires qu’il avait prévues ; celles-ci ont toutefois pu se tenir entre juin et décembre 2021.
Lors de ces visites, conçues avec le précieux concours des autorités académiques et des chefs d’établissement concernés, nous avons pu échanger avec l’ensemble des personnels impliqués par la gestion de l’évitement des cours d’EPS en général et de la natation en particulier. Que ces personnels soient ici vivement remerciés de leur disponibilité et de leur engagement. Des échanges avec les équipes professionnelles rencontrées, nous retirons le sentiment général suivant : pour n’être pas massif, le phénomène de l’évitement des cours d’EPS – et du recours à des certificats médicaux d’inaptitude dont le motif médical prête le flanc au soupçon –, n’en est pas moins réel.
Au cours de nos discussions et en réponse à nos propres interrogations, plusieurs professeurs, CPE et personnels médico-sociaux, nous ont fait part des difficultés particulières éprouvées lorsque la motivation – ou du moins l’une des raisons essentielles – de l’évitement des cours d’EPS est de nature religieuse, y compris lorsqu’elle n’est pas explicitée comme telle.
Ces personnels nous ont également exprimé leur attente de règles claires en la matière. C’est ce à quoi nous nous sommes efforcé de répondre dans les pages qui suivent, non sans avoir préalablement esquissé un état des lieux, lequel ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité, moins encore au statut d’étude scientifique.
Il serait pour tous dommageable d’occulter la question de l’évitement des cours d’EPS et de la natation en particulier, comme de la nature des motifs invoqués. Et ce, d’autant plus que, lors de nos visites en académie, nous avons rencontré des équipes lucides et déterminées. Les réponses que ces équipes ont élaborées face au problème de l’évitement injustifié des cours d’EPS montrent leur efficacité, mais se heurtent à certaines limites, en particulier à la difficulté, pratique et juridique, de traduire leurs doutes devant le contenu de certains certificats médicaux. Comment pourtant se résigner à prendre acte d’un certificat qui prescrit par exemple : « Ne peut se rendre à la piscine, même sans contact avec l’eau, lorsque la maman l’indique » ?
Après avoir fait le point sur le contexte législatif et réglementaire, puis sur les problématiques et les pratiques de terrain, c’est en tenant compte des réalités du quotidien et des difficultés rencontrées par les personnels dans la gestion de l’évitement des cours d’EPS que le groupe de travail, animé par le Conseil des sages, s’est efforcé de formuler des préconisations à travers le présent document, qui n’a pas de caractère prescriptif ou règlementaire.

(...)

1. Le contexte normatif et administratif

1.1 Les obligations scolaires des élèves

1.1.1 L’obligation générale d’assiduité
1.1.2 Le certificat médical d’inaptitude à la pratique de l’EPS
1.1.3 Conduite à tenir en cas de suspicion de certificat médical non justifié

1.2 Les personnels de santé scolaire

1.2.1 Missions des personnels de santé et certificat médical dans les établissements scolaires
1.2.2 État des ressources en personnels médicaux

2. Les pratiques de terrain

2.1 La question du certificat médical suspecté de n’être pas justifié est-elle prégnante au sein des établissements d’enseignement public ?

2.1.1 Plusieurs situations témoignent de l’existence de certificats médicaux suscitant un doute sérieux
2.1.2 Un évitement souligné de la natation, dans une logique plus vaste de contournement de l’EPS, mais aussi d’atteinte au principe de laïcité
2.1.3 Un problème qui va croissant avec l’âge des élèves
2.1.4 Dont les raisons religieuses, lorsqu’elles existent, sont sous-jacentes plutôt qu’explicites .
2.1.5 Des personnels qui se sentent démunis et impuissants quand le problème surgit

2.2 Les réponses actuellement mises en œuvre pour traiter le problème

2.2.1 Une stratégie de prévention
2.2.2 Une gestion méthodique

3. Pistes de réflexion et d’action, préconisations

Sur la base d’observations issues, répétons-le, d’un échantillon réduit d’établissements scolaires, le Conseil des sages de la laïcité formule les propositions suivantes :

Recommandation n° 1 : Assurer, dans le cadre du dispositif « faits établissement », la remontée des informations relatives aux absences suspectes au cours EPS aux niveaux académique et national

Recommandation n° 2 : Favoriser, au niveau national, l’harmonisation des pratiques des établissements scolaires

  • intégrer le certificat d’inaptitude type dans les carnets de correspondance, ou dans le dossier de rentrée, de manière à inciter les parents à le présenter au médecin ;
  • insérer dans le règlement intérieur des établissements scolaires des précisions relatives à l’obligation d’assiduité aux cours d’EPS, distinguant dispenses et inaptitudes.

Recommandation n° 3 : Permettre une gestion académique des difficultés

  • organiser des temps réguliers de concertation entre les autorités académiques et les instances territoriales de l’Ordre des médecins ;
  • conforter chez les personnels de direction le recours au signalement des situations les plus problématiques auprès des autorités académiques ;
  • indiquer ce que peuvent ou doivent faire le médecin scolaire et le chef d’établissement en cas de certificats d’inaptitude qui paraissent non justifiés.

Recommandation n° 4 : Aider les établissements à gérer les stratégies d’évitement des cours d’EPS

  • favoriser la synergie entre les différents personnels (professeurs – CPE – personnels de santé scolaire) qui suppose un fonctionnement collectif de la communauté éducative ;
  • améliorer le circuit des certificats médicaux en précisant le rôle de chacun (réception, conservation, etc.) ;
  • formaliser le signalement à la direction de l’établissement, par les professeurs, les personnels infirmiers, les CPE, de situations qui prêtent à interrogation ;
  • informer les équipes de professeurs d’EPS et les CPE des règlements en vigueur en termes de dispenses et inaptitudes. Les inciter à faire systématiquement remonter les inaptitudes et difficultés, éventuellement rencontrées, à leur direction qui sollicitera en tant que de besoin le médecin scolaire référent de l’établissement ;
  • inciter les équipes d’EPS à l’acquisition d’équipements vestimentaires réglementaires pour la pratique de l’EPS, notamment en piscine, pour pallier les oublis (réels ou simulés) de tenue adéquate à la pratique ;
  • prévoir des sessions de réflexion et de formation, spécifiques aux professeurs d’EPS ou transversales à l’ensemble des personnels, sur la conduite à tenir face au phénomène d’évitement des cours d’EPS et sur ses différentes causes possibles ;
  • informer les chefs d’établissement de la possibilité de saisine du conseil départemental de l’Ordre des médecins en cas de doute sur le bien-fondé d’un certificat médical (cf. annexe 11, page 45 : Exemple de lettre de signalement) ;
  • inviter les chefs d’établissements, en cas de manquements persistants au devoir d’assiduité des élèves en cours d’EPS, à organiser une commission éducative et, le cas échéant, à ne pas hésiter à engager une procédure disciplinaire ;
  • externaliser, auprès des autorités académiques, la gestion des cas difficiles afin d’éviter les pressions locales, voire dépayser certaines procédures au rectorat (comme certains

conseils de discipline par exemple). À cette fin, étudier la possibilité de faire évoluer les modalités de convocation du conseil de discipline départemental.

Recommandation n° 5 : Faire en sorte que les médecins puissent jouer pleinement leur rôle au service de l’activité physique

  • inviter les médecins scolaires, lorsqu’ils le jugent nécessaire, à se rapprocher du médecin prescripteur du certificat d’inaptitude problématique, notamment en cas de certificat insuffisamment circonstancié sur les activités physiques que l’enfant peut continuer à pratiquer, pour que le médecin apporte les précisions utiles dans le certificat concerné ;
  • se rapprocher des instances compétentes de l’Ordre des médecins, au niveau national comme au niveau départemental, pour qu’il soit instamment rappelé aux médecins par leur Ordre que, dans la rédaction des certificats médicaux d’inaptitude à l’activité physique et sportive, ils doivent, autant qu’il est possible, de façon à favoriser une pratique adaptée, éviter le « tout ou rien » et limiter les contre-indications à ce qu’impose la santé de l’enfant. Cela suppose qu’ils précisent, dans lesdits certificats médicaux, ce que peut éventuellement faire l’enfant concerné en termes d’activités ;
  • inviter le conseil national de l’Ordre des médecins à mentionner dans les commentaires du Code de déontologie médicale l’existence d’un certificat d’inaptitude prérempli dans le carnet de correspondance des élèves et à le faire figurer en annexe de ce code.

En tout état de cause, il apparaît à la mission que le recrutement des médecins scolaires doit être sensiblement renforcé et leur situation professionnelle améliorée (le second objectif étant nécessaire à l’obtention du premier) ainsi que l’a envisagé le groupe de travail ad hoc dans le cadre des concertations menées au titre du Grenelle de l’éducation.
Il lui apparaît également nécessaire de valoriser le rôle essentiel que jouent les personnels infirmiers et la coopération entre ces derniers et les médecins scolaires.

Annexes

  • ANNEXE 1 – Communiqué de presse
  • ANNEXE 2 – Composition de la mission, noms et fonctions
  • ANNEXE 3 – Visites effectuées et personnes auditionnées
  • ANNEXE 4 – Guide d’entretien utilisé lors des visites en académie (extrait)
  • ANNEXE 5 – L’enquête flash de la Dgesco
  • ANNEXE 6 – EPS et inaptitudes
  • ANNEXE 7 – Arrêté du 13 septembre 1989
  • ANNEXE 8 – Fiche 9 du vademecum La Laïcité à l’École – Refus de l’élève de participer à une activité scolaire (extrait)
  • ANNEXE 9 – Un exemple de communication équipe EPS – parents d’élèves
  • ANNEXE 10 – Un exemple sur le site de l’académie de Dijon
  • ANNEXE 11 – Exemple de signalement par un chef d’établissement au conseil département de l’Ordre des médecins, des préoccupations concernant un ou plusieurs certificats de contre-indication aux activités physiques et sportives
  • ANNEXE 12 – Liste des conseils départementaux de l’Ordre des médecins