Regards sur le livre "Sculpture romane du Poitou. Le temps des chefs-d’œuvre" publié le 04/01/2012

Couverture "Sculpture romane du Poitou - Le temps des chefs-d'œuvre"

Cet ouvrage est incontestablement un événement éditorial par la nature du projet et son approche, par la collaboration de deux spécialistes, par la qualité des textes et par la qualité de reproductions.

Cette œuvre est le fruit d’une collaboration d’une historienne de l’art et d’une historienne, toutes deux spécialistes du sujet. Un premier atout est le caractère collectif de cette production : ces deux spécialistes, avec leurs démarches et leurs outils spécifiques, se sont associées pour apporter leur éclairage sur une époque en s’appuyant sur des vestiges historiques au moins aussi nombreux que les sources écrites. Les chapitres sont manifestement le fruit d’un travail à quatre mains, ils ne sont d’ailleurs pas précisément signés et il paraît bien difficile d’attribuer les développements à l’une ou à l’autre des auteurs. Les auteurs ont souhaité une réflexion croisée d’une historienne et d’une historienne de l’art. Comme l’indique Jacques Le Goff dans la préface, le texte ne se limite pas une histoire de l’art mais replace les produits les plus originaux de l’art médiéval, les sculptures, dans le cadre géographique, politique et social qui fait de ces images, des documents essentiels de l’histoire globale d’une société.

Le dialogue nourri entre le passé et le présent est l’un des intérêts de cet ouvrage. Il s’agit bien de rendre le passé présent au lecteur, de donner du sens à ce patrimoine, de donner du sens de ces richesses artistiques, tout autant que de faire comprendre une société passée et ses productions. L’ouvrage s’ouvre par une brève présentation historique qui permet de dresser le cadre géographie (un grand diocèse médiéval de Poitiers s’étendant jusqu’à Fontevraud au Nord, Aulnay au Sud, Montmorillon à l’Est et La Chaise Giraud à l’Ouest) et historique (de la seconde moitié du XIe siècle au milieu du XIIe siècle), de ce travail et de montrer l’étendue de la richesse du sujet dans le Poitou, tant la production sculptée romane explose dans les villes et les campagnes du Poitou. Précisons que l’ouvrage n’est pas une simple recension d’œuvres, un répertoire des sculptures romanes du Poitou. Il n’est pas davantage un recueil scientifique, encore moins un guide touristique. Par ailleurs, l’exhaustivité n’est pas possible matériellement dans ce cadre chronologique et géographique. Le sens reste premier ; les auteurs ont préféré proposer aux lecteurs un déchiffrement de ces mondes disparus, un questionnement offrant un va-et-vient entre ce passé et notre présent.

Les trois grandes parties de l’ouvrage sont intitulées « un message chrétien dans la pierre », « un monde à découvrir » et « les sculpteurs à l’œuvre ».

  • La première partie débute par l’étude des commanditaires. Il s’agit de s’interroger sur ceux qui ont pris l’initiative de construire de nouvelles églises, ou d’en reconstruire, et sur les modalités de financement de ces travaux et des décors. Le message chrétien est analysé à travers l’image du Christ puis l’image de l’Eglise –la communauté-. Les zones d’ombre ne sont pas occultés, les auteures ne cèdent pas à la facilité et s’intéressent aux nuances. Aux nuances et particularités de certaines églises, sachant que le message résulte d’un subtil équilibre entre des sculptures supports d’enseignement et des sculptures destinées à n’être qu’un décor.
  • La seconde partie entraîne le lecteur vers un monde qui n’est plus le nôtre, le monde médiéval de cette époque, qui reste néanmoins compréhensible par les chrétiens d’aujourd’hui même si les formes changent pour mieux s’adapter aux différents milieux auxquels ce message s’adresse. C’est donc à ce public friand d’images que s’oriente la réflexion des auteurs. Au-delà, il convient de connaître les codes, les conventions et les symboles. Mais les auteurs ne négligent pas non plus les détails de la vie quotidienne qui contribuent à donner du sens à ces images et à nous livrer, du même coup, quelques réalités de la vie de l’époque. L’analyse serait restée inachevée sans l’étude des êtres représentés, les éléments du monde végétal et du monde animal sans oublier le monde de l’imaginaire ou de la foi qui débouchent sur une perception d’un reflet de ce monde réel, imaginaire et représenté.
  • Le troisième volet de l’ouvrage est consacré aux sculpteurs : aux hommes, à leurs statuts, à leurs techniques mais aussi aux changements. L’étude met en évidence les mutations du XIe au XIIe siècle ; elle souligne les échanges avec l’extérieur du diocèse qui n’est pas un territoire clos ; elle s’appuie sur l’étude de cas qui apparaissent comme autant de pépites de cet art roman : Airvault, Chauvigny, Chaizé-Le-Vicomte, Charroux, Poitiers… les foyers de cet art roman poitevin et de ses marges : Fontevraud, Ruffec et Nanteuil-en-Vallée.

L’apport de photographies est considérable et ne constitue pas une simple illustration. Le choix des objets photographiés et la très belle qualité des clichés sont un renfort intellectuel, une participation au traitement du sujet et à sa compréhension. Les photographies donnent à voir des œuvres que les spécialistes, de leur propre aveu, n’avait pas décelé l’importance.

Un livre d’une grande richesse, un livre de curiosité. Un ouvrage passionnant pour le lecteur curieux. Un outil de travail incontournable pour l’enseignant, pas seulement poitevin, qui souhaite travailler avec les élèves sur l’art roman. Une mine exceptionnelle pour l’enseignant poitevin qui souhaite s’investir dans l’histoire des arts et dans son enseignant. On y puisera certes des illustrations d’une qualité exceptionnelle, un contenu scientifique rigoureux renouvelé et des idées, notamment d’objets d’étude qui pourraient rassembler un petit groupe d’enseignants de différentes disciplines qui feraient vivre un projet pluridisciplinaire.

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Auteur

 Laurent Marien

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