Education musicale et socle commun de connaissances et de compétences publié le 27/09/2011

Un exemple de construction.
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L’exercice consistant à définir l’ensemble des compétences cultivées par un champ disciplinaire est fondamental dans la mesure où il oblige à considérer l’acte éducatif non seulement en fonction d’un corpus de connaissances, mais aussi en fonction de l’élève lui-même, de son développement, de son parcours de formation, et osons dire de son épanouissement au contact de la totalité infiniment complexe au sein de laquelle il est censé progresser. C’est du reste dans cet esprit que sont rédigés les programmes d’éducation musicale de 2008.

J’envisagerai ici la part de cette totalité complexe qui est l’objet même de l’éducation musicale : un objet concret, physiquement définissable, délimité, donc a priori simple, et pourtant sophistiqué en termes d’enjeux de communication tant il s’agit d’un concret insaisissable propre à stimuler les facultés d’abstraction et de mémoire ; cet objet est le « sonore ».

Du point de vue de l’élève, l’appréhension du sonore repose sur deux attitudes étroitement imbriquées : l’émission et la réception. Je partirai de la seconde, parce que, dans le collectif que constitue la classe, la compétence de réception sonore – autrement dit l’écoute – constitue une clé de voûte très importante pour de nombreux apprentissages, dans tous les domaines : c’est peut-être la plus transversale de toutes les compétences. Cela dit, l’imbrication audio-phonatoire fait qu’il est possible de cultiver l’écoute par la pratique musicale elle-même  ; c’est l’exemple proposé ci-dessous, qui n’est paradoxal qu’en apparence.

1. Conditions et modalités du geste nommé « écoute ».

Conditions de l’écoute dans la classe :

  • La concentration, l’attention vive de chacun (si un seul élève est distrait, à un moment ou à un autre cela rejaillit sur l’écoute collective) ;
  • La prise en compte (= à la fois le non-dépassement et l’entraînement à son extension) du temps pendant lequel cette concentration maximale est possible ;
  • La recherche d’une posture appropriée à l’acte d’écoute : posture individuelle mais aussi climat collectif (en quelque sorte une « statique » de groupe) ;
  • La qualité du message transmis
    • Par le professeur lui-même ;
    • Par un élève ;
    • Par une machine sonore (diffusion acousmatique) ou audio-visuelle.

Cette qualité peut s’analyser selon au moins trois critères : intérêt en soi, cohérence avec le contenu global du cours et adaptation à l’auditoire hétérogène que constitue la classe.

Modalités de l’écoute :

Dès réception du stimulus sonore s’opère instantanément un mécanisme de comparaison avec les repères emmagasinés dans la mémoire. Schématiquement, la situation évolue entre ces deux extrêmes :

  • Le stimulus est automatiquement apparié à du « déjà mémorisé » ;
  • Le stimulus ne ressemble à rien de ce qui a été préalablement stocké. Dans ce -* dernier cas, le professeur doit savoir que la situation acousmatique est ce qu’il y a de plus exigeant, voire périlleux.

2. Une situation d’écoute particulièrement exigeante : les pratiques vocales collectives.

L’apprentissage collectif d’un chant en classe a lieu en plusieurs étapes :

  • écoute du modèle ;
  • mémorisation/restitution d’unités sonores ;
  • appréhension de la structure composée par ces unités (-> compétence analytique) ;
  • interprétation par la classe entière ; ce qui suppose la permanence de la comparaison entre sa propre production vocale et celle de l’ensemble, sur la base de critères multiples, notamment :
    • précision rythmique ;
    • justesse d’intonation ;
    • qualité de la prononciation ;
    • homogénéité de l’articulation, du phrasé (groupes de souffle) et des nuances ;
    • accord entre les voix et l’accompagnement réalisé en direct ou en play-back ;
    • le cas échéant, capacité à tenir sa partie dans une polyphonie.

Dans toutes ces situations, l’élève se trouve placé en position simultanée d’écoute et de production. Il est possible de solliciter aussi une interprétation en soliste, avec possibilité d’écart (volontaire) par rapport au modèle.

Les différentes étapes de la production vocale peuvent être enregistrées, ce qui développe l’esprit d’émulation et la volonté de s’améliorer. Les réalisations les plus réussies peuvent donner lieu à un moment de concert à l’intérieur de l’établissement : les élèves ont alors l’occasion de se valoriser et de surmonter leur timidité face au public.

Les pratiques vocales collectives en classe ont donc vocation à participer à la construction de plusieurs compétences, et en particulier des items suivants : 2

1 (Dire) Adapter sa prise de parole à la situation de communication.
2 (Ecouter et comprendre) Ecouter.
2 (Parler en continu) Reproduire un modèle oral.
3 (Savoir utiliser ses connaissances dans divers domaines scientifiques) le vivant : organisation et fonctionnement du corps humain.
4 Traiter une image, un son ou une vidéo.
5 Lire et employer différents langages : textes – graphiques – cartes – images – musique.
5 Connaître et pratiquer diverses formes d’expression à visée artistique.
5 Être sensible aux enjeux esthétiques et humains d’une oeuvre artistique.
5 Manifester sa curiosité pour l’actualité et pour les activités culturelles ou artistiques.
6 Respecter les règles de la vie collective.
6 Comprendre l’importance du respect mutuel et accepter toutes les différences.
7 Savoir s’autoévaluer et être capable de décrire ses intérêts, ses compétences et ses acquis.
7 Identifier ses points forts et ses points faibles dans des situations variées.
7 Mobiliser à bon escient ses capacités motrices dans le cadre d’une pratique physique (sportive ou artistique) adaptée à son potentiel.
7 S’intégrer et coopérer dans un projet collectif.
7 Manifester curiosité, créativité, motivation à travers des activités conduites ou reconnues par l’établissement.3

En ce qui concerne évaluation et renseignement sur l’appropriation d’un item de compétence, le professeur d’éducation musicale pourra ne pas chercher à multiplier ses interventions, ne serait-ce qu’en raison du grand nombre d’élèves auquel il s’adresse. C’est dans les items des trois dernières compétences que son action s’avère la plus décisive.

Le cours d’éducation musicale mobilise deux types d’attitudes chez l’élève : perception et production. L’on a pu se rendre compte ici que la seconde ne va pas sans la première. Pour conclure de façon ouverte, on rappellera qu’il existe aussi tout un domaine de cet enseignement où c’est la perception qui se trouve essentiellement mobilisée : lorsqu’il s’agit d’écouter, d’explorer et de caractériser le sonore et le musical, et plus spécifiquement encore d’écouter et d’étudier les œuvres pour construire une culture musicale et artistique en correspondance avec l’histoire des arts. Si cette écoute est bien conçue comme une activité et ne prend donc pas la forme d’une consommation passive, l’élève développe alors des connaissances, des capacités et des attitudes qui donnent à la compétence « culture humaniste » une coloration axée sur le sonore, qualité rarement développée dans d’autres espaces disciplinaires pourtant dédiés à cette culture.

Ce texte, rédigé par M. Philippe Bazin, IA-IPR d’éducation musicale et chant choral / histoire des arts, émane d’une réflexion du groupe des IPR de l’académie de Poitiers.

(1) Il ne semble pas que le souci de la culture artistique ait beaucoup influencé la conception du socle tel que notre pays le définit depuis 2006. S‘il se trouve des champs disciplinaires pratiquement décalqués dans un certain nombre de domaines du socle, ce n’est pas vraiment le cas des enseignements artistiques. De fait, la France se distingue des recommandations européennes (dites « processus de Lisbonne », 2001) qui définissent huit compétences-clés dont la dernière s’intitule « sensibilité et expression culturelles ». A cette première étrangeté s’en ajoute une autre, sans doute conjoncturelle : depuis l’introduction de l’histoire des arts au DNB, le champ artistique dans son ensemble se trouve être nanti du plus fort coefficient à cet examen (2+1+1), alors même que c’est l’espace pédagogique auquel le système éducatif accorde le moins de place.

(2) Les nombres renvoient aux sept compétences dans l’ordre où le socle les énumère.

(3) En particulier, bien sûr, la chorale du collège qui ajoute au parcours de l’élève (volontaire) la dimension d’un projet de longue haleine, toujours polyphonique, mettant en œuvre un réseau d’établissements et couronné par des représentations données dans les conditions d’un spectacle professionnel (répertoire exigeant, salle ou auditorium prestigieux, journées de répétition, accompagnement par des instrumentistes professionnels). Cf B.O. du 22 septembre 2011.