Canaletto au Centre d’Art de l’Hôtel Caumont d'Aix-En-Provence du 6 mai au 13 septembre 2015 publié le 06/09/2015

Rome, Londres, Venise. Le triomphe de la lumière

"Rome, Londres, Venise. Le triomphe de la lumière."

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Culturespaces - Fonds Mercator - Caumont Centre d’Art, Aix-en-Provence

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A l’occasion de l’inauguration du Centre d’Art de l’Hôtel de Caumont, qu’il est encore temps d’aller admirer, que dis-je se délecter, savourer, se goinfrer des œuvres retraçant la longue carrière de Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768) maestro inégalé de la peinture de « vues » ou vedute1, non seulement de Venise dont il fut natif, mais aussi de Rome où il commença sa carrière après avoir été peintre de décors d’opéra et de théâtre, en passant par Londres, peinturlurant les rives de la Tamise et des châteaux de ses plus grands mécènes, premiers touristes de Venise, mais aussi dirigeants économiques d’un pays qui allait être le premier bien avant les autrichiens et Napo à organiser la longue et irréversible immersion de la Sérénissime. Tout cela bien avant le réchauffement climatique, la disparition de la couche d’ozone, la Nature capricieuse de la planète, de l’univers et de l’infini, mais afin de nous éviter une comète polémiquante, nous allons revenir au motif de notre article.

Cette exposition conte les différentes étapes de ce magicien de la lumière, compositeur de savantes symphonies perspectives, par nombres d’esquisses, dessins, tableaux des plus glorieuses collections, scénographiée (puisque le verbe est de mode) de manière prestigieuse, projetant le chaland dans des perspectives imaginaires ou, observées rigoureusement, par le peintre. La Mise en œuvre nous fait « rentrer » dans les peintures et les lieux de ce 18ème siècle et nous met en dialogue avec la vie grouillante des « festes » vénitiennes nous mêlant à la population accompagnant le Bucentaure le long du palais des Doges, dans les ruines et les monuments des temps antiques et du présent du peintre, au-dessus de son épaule, observant le maître prendre la mesure des bâtiments au pied de l’arc de Constantin à Rome, avec en fond sonore, Antonio Vivaldi, Joseph Haydn... votre fidèle et dévoué correspondant était là pour restituer l’événement et vous proposer un petit croquis, sur le vif, de ses impressions, et de son voyage dans cet objet spatio-temporelle, si divinement offert par ce Génie d’un autre temps (le père Paulo aurait dit sur le motif. A son sujet, il y avait un film inédit et très contemporain sur son blaze).

"La pittura e cosa mentale" comme disait l’autre.

Génie d’un temps antérieur.

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Autoportrait de Canaletto prenant la mesure des architectures avec son crayon
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Afin d’illustrer le propos j’ai choisi, parmi l’exposition, quelques œuvres de-ci de-là qui feront merveilles à l’article.

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Caprice architectonique, Rome et Venise.

Rome et Venise : Caprice architectonique - 1723, huile sur toile, 178 x 322 cm. Collection particulière.

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Normalement, dans sa vraie vie, quand on a le grouin sur, l’œuvre est plus lumineuse, le détail beaucoup plus coloré, mais on voit bien la matière de la peinture, le coup de patte, le mouvement du pinceau dessinant avec la matière. Pas de doute c’est du Vénitien, du vrai, on retrouve les mêmes jeux d’empâtements en miniature chez Guardi, chez Bellotto et chez son frère Bellotti neveu de Canaletto (très goûteuse exposition à Venise en 2014) pour les védutistes, et aussi bien sûr chez Pietro Longhi.
Suffit de rapprocher le nez sur.

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On dit qu’il faut prendre de la distance, certes, cela est juste, notre petit Poussin normando-romain insiste bien là-dessus, mais c’est aussi devenu un poncif récurrent populaire qui persiste encore de nos jours à vous décaper l’émail. Faites le test avec les élèves, la matière les dégoûte, on sort à peine de ses couches, normal que l’on ait pas envie d’y retourner voir. Les écrans sont lisses comme des peaux de bébés glacés, faut dire, et nous impose de fait, une distance spatio-temporelle avec la matière que l’on arrive même plus à croire en son existence. La question de l’être-là, reste toute entière et nous rappelle à nos problématiques pédadogico-didactiques thomaciennes. Pour la poésie de la transmission on convoquera sans frais de déplacement, plutôt Edison et, accessoirement, le petit père William.

Pour l’être.

Ou pas.

Ce sont donc des œuvres, malheureusement comme beaucoup d’autres, assez délicates à faire avaler à son prochain. Alors imaginez plus contemporains façon croûtes gigantesques à la Twombly (il y en avait à l’expo Icônes zaméricains chez Granet, mais plutôt genre ses gros grabouillis), des Bram Van Velde (y en avé aussi) les grosses peintures de Mario Merz avec des vrais rails de chemins de fer sortant de la toile ou des épaisseurs titanesques très paillues d’Anselm Kiefer (y en avé pas chez Granet des deux derniers). Pour ne nommer que celles-là. Cela chamboule pour celui qui s’est égaré, qui a cru voir de la lumière et s’est laissé porté par cette dernière pour se retrouver le nez collé aux néons de Dan Flavin.
Mais pour revenir à la matière du Canaletto, cela peut avoir un effet bœuf en tout petit. Pourtant, chez les vedutistes sur, et chez le Canal, toute la vie se passe là, de Venise à Rome et de Venise jusqu’à Londres.

Parfois chez Canaletto ou disons dans ses personnages patouillés on pourrait y retrouver du James Ensor, par exemple, mais aussi et, dans les « gueules », de son contemporain et plus qu’honorable vénitien Tiepolo. On pourra s’exclamer alors, devant la toile, en grand expert Flaubertien : " mais vous vous rendez compte très chère, c’est d’une modernité époustouflante que l’on aurait jamais imaginée. Vite mes sels, toute cette matière que je ne saurais voir, me pâme l’âme, mes atomes se dispersent, s’atomisent, et s’éparpillent par petits bouts façon puzzle, dans leurs mouvements allez à Thouars". (Bon j’admets, ce n’est pas du Bouvard et Pécuchet, mais qui ne tente rien n’a pas de toit pour se protéger).

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Lorsque je n’avais jamais vu, de ma misérable vie, de peintures de Canaletto pour de vrai, (cela remonte lorsque je le découvrais dans les gravures des boukins de la bibliothèque paternelle) je pensais que c’était une peinture lisse, un peu comme celle des Hyperréalistes américains. Peut-être ne souhaitait-on pas montrez cela dans le contexte des sixties & seventies. Pas d’actualité, pas dans le vedettariat conceptualiste néo-moderniste à tendance rigoriste minimalisé.

Que nenni.

Sex, Love & rock$roll but nô matter.

Pas de bol.


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J’ai choisi ce délicieux "Caprice architectonique" à cause des petits gardes suisses (car ce sont eux qui m’ont sautés aux yeux immédiatement), campés aux extrémités de la toile,comme les gardiens de cette précieuse œuvre, où l’on peut toutefois pénétrer sans aucune menace de leur part (et pas comme dans les temples de Bali où les gars n’ont pas l’air de rigoler) ceux-ci sont quelques peu avachis et sont plutôt occupés à échanger civiquement avec les citoyens. Il y en a eu plein d’autres après. Normal, le prétexte architectural est grandiloquent et surtout théâtral. Le sociologue historien y trouvera son caprice maniaque lui évitant ainsi, l’insoutenable odeur de la peinture comme celle de la poudre. Alors il y mettra du savant, avec des mots dans un ordre bien établit comme on lui a appris à l’école. Sans rien sentir.

Même pas mal.

Les œuvres de Canaletto sentent encore la peinture. Celles de Picasso aussi. Et de bien d’autres encore. Tenez, par exemple celles de Giacometti, toujours chez Granet ça renifle sec, le portrait d’Anette vous laisse des fragrances délicieuses dont les yeux vous maintiendraient indéfiniment les vôtres dans les siens, à vous transformer en statue, pour l’éternité. un effet Pygmalion inversé si vous voyez ce que je veux dire. Et justement, l’odeur et Galatée, c’est comme la sculpture en pierre, cela se sent, renifler un marbre de l’Ange relève de la même saveur que les bonnes vieilles diableries romanes de Moissac ou des modestes grotesques modillons taillés dans le calcaire de notre Charentes-Poitou (il faut voir et soulever le nez, il y en a de velus et de sacrément causant).
Les lithographies de Toulouse à Albi, sur notre route en allant chez Paulo et Émile, aussi, ont du nez comme le bon vin.

Ainsi les Caprices c’était la mode, à l’époque, enfin ils étaient juste réservés à la noblesse et non à la masse, avec les ruines qui allaient devenir aussi à la mode de chez nous, dans la continuité, chez un Hubert-Robert (mais qui a causé de rupture en art ? Perso, je pense que l’on peut aussi s’éviter des pensées za la mode, dominantes par leur insistance à faire croire que. Il y a eu aussi du continuum dans l’art tout comme dans le cochon ou dans la couleur. Dans "le concept qui engraisse", juste histoire de citer mon vieux copain).

Je continue, justement, au sujet de.

Qui nous a conduit vers le Canal.

Et tôt.

Facile.

Car petit qu’il était, mais grandiosement peintre, par rapport à son père, exposé aussi dans cette prodigieuse exposition. Une histoire de famille, la Peinture (ça pourrait faire un bon thème en Hache Des A). Et de nom chez les italiens, Boticelli détestait le sien, à ce que l’on dit, c’est une rumeur que j’ai ouïe dire. C’est vrai que se faire appeler petit tonneau, il n’y a qu’un pas pour le glissement sémantique et les redoutables interprétations savonneuses. Ça peut vexer le génie, et forger une personnalité d’une susceptibilité redoutable, jusqu’à se faire dérouiller par les sbires de Savonarole.

Mais là je m’égare dans le conte. Comme à l’usage, les mots s’écoulent telle la farine entre les doigts du boulanger. En plus je frise l’élément architectonique.

Non, je voulais dire l’anachronisme. Mais je trouve ça plus snob comme emploi, donc très bon et très chic pour le lecteur avant-gardiste.


Revenons donc à cet adorable Caprice. Il y a là un mélange entre Rome et Venise, cela se voit si l’on connaît un peu les lieux (sur Internet ou de visu), une sorte d’assemblage complexe, une combinaison savante opérés, dès la genèse de l’œuvre par l’entremise de la camera obscura (c’est toujours dans les gènes que l’on retrouve tout).
J’ai essayé, il y en avait une d’exposée à la sortie de l’exposition. J’avais un carnet de crobards dans ma besace, me suis mis sous l’épais rideau noir fort soyeux, ça tanguait grave là-dedans, alors imaginez dessiner dans un truck comme ça sur une gondole. D’où le verbe !

Ah les maux, les m’eaux, lémo, laids mots, les mots ! ne sont jamais laids comme on le prétend mais d’une beauté irrationnelle indicible.

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Les vedutes du Canaletto c’était du Matte Painting avant l’heure qu’il bricolait le gars (encore un anachronique le gaillard), et moins facile qu’avec Photoshop sa bidouillerie quand même, car il faut imaginer que cette peinture a été réalisée au départ en plusieurs temps à partir de croquis pris sur le fameux motif dans la non moins fameuse camera. Et tout cela ensuite remontés dans une perspective sans faille, à la géométrie mathématique implacable. Les scientifiques n’ont qu’à bien se tenir et revoir leurs copies sur l’art. C’est d’ailleurs grâce à une partie de cette maîtrise d’une discipline considérée comme plus noble (revoir Platon et survivre), que Raphaël imposa définitivement, au monde des cerveaux, par l’école d’Athènes notre billet pour l’ascension au sommet de l’Hélicon (rien à voir avec l’Infini et l’au-delà de l’intelligence humaine et l’hélicoptère ou l’aviation antique).
La couleur quand à elle, a été notée, sur place, sur ces esquisses caldériennes (« d’une modernité vous dis-je ma chère ! Permettez d’insister). Car il ne se contentait pas de faire une gribouille ou deux, l’ancien, pour planter ses Caprices ou se peinturlurer "la plus belle avenue du Monde".
Des carnets de dessins, il en a fait des tonnes, dans des tailles importantes en plus, le bougre ! La première expo que j’ai vu de ses fabuleux dessins se déroulait à Venise (il y avait aussi beaucoup de peintures). Une grande partie de ses dessins avaient été numérisés et on pouvait les consulter sur une immense table lumineuse que l’on pouvait feuilleter, comme sur une tablette numérique.
Il y avait là aussi d’exposé, chez Caumont, des dessins aquarellés, des délices capricieusement tirés à la règle sur un papier gris souris. Un peu désuet mais tellement charmant.

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Bref, cet article n’a ni queue ni tête, ni même de bras, écrit avec deux mains gauches, je passe du coq à l’âne en faisant la bête, c’est incompréhensible.
TOUTEFOIS, ne flânez-pas l’exposition dure encore assez de temps pour aller y traîner ses guêtres. Je me suis lancé dans ce bafouillage un peu à l’arrache histoire de.

Car c’était trop chouette.

En plus le palais est épatant, il est climatisé, il y a un bar restaurant très chic, un jardin somptueux qui, à son extrémité axiale se trouve une fontaine Rococo avec Trois-tritons taillés à la Bernin, des bancs pour se vautrer et gribouiller lesdits Tritons en buvant du Coca-Cola 200%, en profitant de la douce fraîcheur de l’eau jaillissant des gueules des bestioles. Une petite pause sympathique et humide entre deux ou trois expositions, une corrida pour se la jouer à la Goya, à la Picasso ou dans le genre Hemingway au cœur de la fournaise torride de la Provence, pause dûment méritée dans un hôtel très chic du 18ème siècle conçu par Robert de Cotte (1656-1735), Intendant et premier Architecte des Bâtiments du Roi, dans un style Classique (quelque peu parisien) à la modénature des trois ordres superposés, façade révisée par la suite à la mode plus « méridionale », les chapiteaux corinthiens du dernier niveau ont été alors remplacés par des consoles dans le style Rocaille. Les ouvrages en fer forgé sont d’une qualité renversante, tout comme le couple imposant d’Atlantes arc-boutés donnant l’illusion de soutenir le palais entier dans le hall d’entrée, à vous mettre le postérieur au sol tellement y sont trop géants.

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Pour boucler la visite le marketeur prévoit dorénavant un filet à consommateurs avertis où, dans les mailles de son filet à la sortie de l’exposition, nous n’avons aucun moyen d’échapper (sinon de sauter par la fenêtre), vous devez traverser la dernière salle où l’on installe dorénavant et systématiquement la boutique des marchands du Temple, inévitable lieu de débauches mercantiles, où vous pouvez vous équiper du nécessaire à écrire un article incohérent, des produits dérivés pour tous les goûts, genre sucettes Canaletto rayées et tournicotantes bleues et blanches avec, une boule dorée à leurs sommets (rien de freudien en cet objet, pas de Nabokov non plus dans cet exemple, je vous rassure. J’ai fait fumé ma carte bleue dans l’achat d’une gomme à tête de César, original découvert dans le Rhône et exposé au musée des Antiques d’Arles, là je me suis contenté du catalogue que je vous recommande vivement par ses qualités). Et, dans ladite salle l’on trouve des délicieux marquetapages, aux découpages délicatement ajourés, des éléments architectoniques de l’Hôtel Caumont, dont votre dévoué, vous joins ci-dessous, un charmant exemplaire.
De quoi donner des idées de transfert en arts appliqués, certes un peu remâchées, mais qui ne mangent pas de pain. Évidemment, il sera plus judicieux et aisé pour nos apprenant/tes de prendre comme support une architecture de Zaha Hadid, de Franck, ou de Mackintosh, par exemple. Bref, chacun fait comme il le sent, de toute façon cela n’égarera en rien du programme, le professeur/animateur/amuseur . Le tout est de se maçonner un bon sujet qui puisse captiver l’usager et pourquoi pas, tenir l’année.

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Si vous êtes parvenu à escalader cette dithyrambique incontinence jusqu’au bout, je vous invite à venir visiter le site officiel du Centre d’Art de la ville d’Aix-en-Provence.

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Un scoop de dernière heure

Nous pouvons allez visiter un mur virtuel conçu par une collègue d’Économie - Gestion LP, Marie-Anne Dupuis, qui a utilisé l’outil en ligne Padlet (ressource utilisée de plus en plus par les enseignants pour un travail collaboratif avec les élèves) pour réaliser ce mur. C’est vraiment épatant, faut vraiment aller essayer cette affaire. Car nous sommes un peu à la ramasse dans l’histoire.
On peut même se refaire des fresques à la Piero Della Francesca, des diableries façon cathédrale d’Albi, pour les inconditionnels de Fra Angélico vous refaire le couvent San Marco, pour les prétentieux s’attaquer une Sixtine numérique, pour les érudits se repeindre la chapelle Brancacci, pour "les fous de perspective" réunir les trois morceaux de la bataille de San Romano, et pour les graffeurs s’inspirer des œuvres de la revue Graffiti Art Magazine. Et puis se garder d’être "Entre les murs" même si c’est la saison, ou se taper la tête dedans comme un coucou, car il est pas pour de vrai en pierre, en brique, en béton ou en métal. C’est rien que du faux.

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Bon, mais en attendant de comprendre comment le bidule fonctionne, je me délecte déjà d’aller peintouiller sur un mur Padlet.

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(1) Cet article est extrait de l’ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture », j’ai donc fait un copié/collé/et c’est joué sans sourcillé une seconde, de la honte même pas j’ai eu. ça fait gagner du temps. tout le reste, je le certifie sur l’honneur, est de ma plume. Numérique. Mais de celle-ci tous ceux/celles qui connaissent l’auteur en reconnaitront le style. Évidemment. Je me suis permis, toutefois, de corriger quelques coquilles (provenant d’œufs de canard certainement, vu l’odeur).
Définition de la vedute et du védutisme :
On peut définir le Védutisme (en Italien vedutismo, de veduta, vue) comme un genre pictural, florissant en Italie et principalement à Venise au 18ème siècle, axé sur l’art du paysage, de la vue urbaine ou suburbaine.

À côté des grands cycles décoratifs (Tiepolo, Piazetta, etc.) de l’art du portrait influencé par le goût français (Rosalba Carriera), la " veduta ", sollicitée comme souvenir de voyage par des touristes de plus en plus nombreux, atteint avec Antonio Canal, dit Canaletto, une valeur de transfiguration poétique différente de celle de ses créateurs néerlandais (Vanvitelli) et romains (Pannini, Piranèse). Au-delà de l’apparente objectivité de ses vues panoramiques, Canaletto capte les moindres vibrations de la lumière, la transparence de l’atmosphère, les passages délicats des teintes avec une sensibilité qui n’échappe pas aux collectionneurs anglais ; achetées massivement par ces derniers, ses œuvres, comme celles de son neveu et élève Bernardo Bellotto, seront riches en conséquences pour la naissance du paysage romantique. À Venise même, où le paysage n’était guère sorti des conventions académiques avec Marco Ricci, neveu et collaborateur de Sebastiano, en dépit d’une étude approfondie de Salvator Rosa et de Magnasco, l’influence de Canaletto s’avère déterminante pour des spécialistes comme Michele Marieschi, le Toscan Francesco Zuccarelli et Giuseppe Zaïs. Ces deux filons parallèles, mais qui s’interpénètrent souvent, convergent enfin, en absorbant aussi les dernières suggestions de la grâce rococo la plus subtile, dans les visions féeriques de Francesco et Giovan Antonio Guardi, qui chantent avec des accents désormais romantiques les splendeurs des fêtes et des monuments vénitiens. Ce langage, chargé d’une émotion intense et dépouillé de toute recherche formaliste, s’adresse, comme déjà en partie celui de Canaletto, au public étranger bien plus qu’aux Vénitiens. Le 18ème siècle, en déclin, en effet, connaît dans la lagune les conséquences de cette opposition entre le " naturel " et le " sublime " dans laquelle l’Europe tout entière s’était trouvée engagée et à laquelle Venise avait fini par participer sous l’impulsion de plus en plus dictatoriale de l’Académie.

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