
L'art d'apprendre avec le numérique et l'IA publié le 30/04/2025 - mis à jour le 15/05/2025
Nouveaux apports des sciences cognitives et numériques

Le numérique est-il bénéfique aux apprentissages ? Si oui de quelle manière ? Peut-il au contraire diminuer les facultés ? L’éducation peut-elle lutter contre les pratiques problématiques ?
Des résultats de la recherche nous invitent à miser sur la métacognition (capacité du cerveau à réfléchir sur ce qu’il sait, à comprendre ses erreurs et comment il apprend) et sur la littératie numérique (connaissances nécessaires pour s’informer, produire et communiquer avec le numérique).
L’impact des écrans examiné par les sciences cognitives
6 épisodes du podcast "votre cerveau" parus en février 2025 sur France Culture nous éclairent sur le fonctionnement du cerveau lors des interactions avec les écrans.
Séverine Erhel, maître de conférences en Psychologie Cognitive et Ergonomie à l’Université de Rennes 2, y parle de :
- Multitasking (effectuer plusieurs tâches en même temps) : notre cerveau en est capable, mais dans certaines limites, utiles à connaître.
- L’état de "flow" : cet état attentionnel si fort qu’il fait perdre la notion du temps et limite toutes les distractions extérieures.
- Les réseaux sociaux : mieux vaut mesurer leur impact par le type d’usage plutôt que par le "temps d’écran" : quels sont les usages problématiques, et en quoi le sont-ils ?
- Le "doomscrolling" : pratique qui consiste à faire dérouler de manière compulsive des contenus négatifs sur son écran. Quelles sont ses causes, ses conséquences sur les personnes, quel rôle joue la métacognition ?
- Apprendre avec le numérique : à quelles conditions le numérique peut améliorer les performances d’apprentissage ?
L’amélioration des formats de présentation et de la multimodalité, la personnalisation des ressources numériques, soutiennent la compréhension.
Des outils "intelligents" peuvent aider les apprenants via des tuteurs s’adaptant à leurs réactions, des retours personnalisés, la personnalisation des parcours. Par exemple la question posée à un apprenant peut être choisie par un algorithme en fonction des réponses faites aux précédentes questions, pour que l’expérience d’apprentissage soit progressive. - L’intelligence humaine à l’épreuve des écrans : En quoi le déclin de l’intelligence lié au numérique est un mythe.
D’une manière générale, l’élève gagne à savoir :
- comment fonctionne l’apprentissage, son cerveau,
- comment utiliser les technologies qui peuvent l’aider à apprendre.
Mais si l’on en croit l’enquête internationale ICILS1 2023, les compétences numériques des élèves de 4ème restent faibles et inégales.
Le cas spécifique des IA

Élèves de collège
Selon l’agence publicitaire Heaven (2024) :
- 85% des jeunes de 18 à 21 ans avaient utilisé des IA génératives au cours des derniers 6 mois, dont plus de la moitié pour les aider dans leur travail scolaire.
- son usage semble déjà bien avancé chez les 13-14 ans.
La nécessité de prendre en compte cette nouveauté fait consensus, mais la manière d’opérer fait débat.
Les risques mettent le corps enseignant en tension :
- l’impact environnemental des IA et les conditions sociales de son développement posent problème,
- on peut craindre la diminution de l’engagement vers l’apprentissage (pourquoi faire l’effort d’apprendre ou de créer ?), et la standardisation (se faire "hacker le cerveau").
- on peut craindre la manipulation, la mésinformation liée aux émotions, etc.
La question de l’autonomie
Il s’agit notamment de pousser les élèves à ne pas utiliser les IA génératives pour simplement générer un texte à leur place. Quand les élèves apprennent à les utiliser utilement, et sans leur faire une confiance aveugle, elles peuvent leur fournir des explications complémentaires, des exemples, des exercices pour vérifier la compréhension et s’entrainer.
Pour cela aussi, la métacognition est utile : elle permet de connaître les processus de créativité, et d’éviter "l’angoisse de la page blanche", à laquelle l’IA n’apporte qu’un remède temporaire.
Dans le podcast "créativité", la neuroscientifique Samah Karaki explique comment le cerveau crée, et nous aide à percevoir comment nous pouvons développer cette capacité chez les élèves.
Elle montre aussi en quoi le sentiment de légitimité va jouer son rôle dans nos capacités, et dans notre aptitude à faire les choix qui nous sont utiles.
Protéger ce sentiment (en veillant notamment sur le climat scolaire), permet d’améliorer à la fois les performances et la capacité d’analyse critique.
C’est (pas) moi c’est l’IA
Ce livre"2 joliment illustré est destiné aux élèves à partir de 12 ans, pour "apprivoiser l’intelligence artificielle et en faire son alliée". Sa lecture est aussi intéressante et utile pour les adultes.
Des exemples pratiques illustrent en quoi la seule utilisation de notre bon sens ne suffit plus pour déceler la véracité d’une image, d’une voix ou d’un texte générés par IA.
Dans le chapitre "trop facile, les devoirs avec l’IA", des chercheurs en intelligence artificielle de l’INRIA expliquent notamment pourquoi les IA profèrent des réponses erronées avec un ton assuré, peuvent fournir des réponses différentes, parfois même contradictoires, à des questions simples, et confirmer des affirmations fausses qui satisfont les utilisateurs. Les IA génératives fournissent les réponses "les moins improbables", mais n’ont elles-mêmes ni expérience du réel ni métacognition.
Ils relatent aussi une expérience montrant que consulter un texte produit par IA avant de rédiger soi-même peut être défavorable à la qualité du travail ensuite réalisé.
Le chapitre d’après montre comment débroussailler un sujet avec l’aide d’une IA, tout en évoquant les risques liés aux stéréotypes, manipulations et légendes urbaines.
Les suivants explicitent les raisons éthiques pour lesquelles des individus décident de se freiner dans l’usage de ces technologies : maltraitance des contrôleurs de contenus, usages non maîtrisés, empreinte environnementale...
Ils permettent également de comprendre que la mise à leur disposition d’IA génératives par les géants du numérique se rémunère par l’exploitation des données de navigation des internautes.
Aider à apprendre avec l’IA
Au niveau des enseignants, une capsule vidéo créée en 2022 dans le cadre du projet Pix+ Edu offre un point synthétique sur les apports possibles des différentes IA en éducation.
Réfléchir ensemble
Dans le podcast "votre cerveau : la perception de la réalité", le neuroscientifique Albert Boukheiber a apporté en 2022 des éclairages utiles à l’esprit critique, importante pour évaluer nos gestes et ceux des élèves.
Rappelons-nous aussi que l’humilité fait partie des conditions de l’esprit critique : ne prétendons pas connaître ce que nous ne connaissons pas encore, montrons des exemples de doute cartésien (cf infographie de l’esprit critique, Eduscol).
Un exemple de scénario pédagogique (arts plastiques, lycée)
Observer avec les élèves les résultats de recherche
La chercheuse Isabelle Lavail-Ravetllat3 a émis en 2024 des suggestions pour augmenter la part éducative dans l’usage du numérique en classe. Elle propose notamment de diviser la production d’un travail en plusieurs étapes élémentaires afin d’empêcher toute production directe par l’outil numérique.
Un exemple de scénario pédagogique (lettres, lycée)
Faire rechercher en binôme
Même après avoir acquis des techniques de recherches info-documentaires, les élèves peuvent encore avoir des difficultés à trouver des termes de requêtes efficaces et à analyser les résultats. Le travail en binôme ou en groupe de trois peut faciliter la tâche. Discuter de chaque étape d’un exercice peut aider les élèves à trouver de meilleures stratégies de recherche, à corriger les résultats et à évaluer ce qu’il convient de faire avec les informations ainsi obtenues.
Cf article "moteurs de recherche" du manuel "IA pour enseignants"
Informer
Dans le manuel ouvert "Intelligence artificielle pour enseignants"4 les auteurs attirent l’attention, conformément aux recommandations de l’UNESCO, sur la nécessité de faire connaître les problèmes, notamment sociétaux, posés par les IA.
Les élèves sont aussi des futurs citoyens. Donnons une place à cette information dans nos séquences pédagogiques.
Un exemple de scénario pédagogique (documentation, collège ou lycée)
(1) ICILS (International Computer and Information Literacy Study) est une étude comparative qui mesure les connaissances et les compétences des élèves de quatrième en littératie numérique et en pensée informatique. Cette enquête interroge aussi les professeurs enseignant en classe de quatrième sur leurs usages pédagogiques du numérique et les élèves sur leurs pratiques du numérique en classe ou sur leur temps personnel. La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, pilote ce dispositif pour la France.
(2) Didier Roy et Pierre-Yves Oudeyer, illustré par Clémentine Latron, éditions Nathan, août 2024
(3) doctorante en Sciences de l’information et de la communication au laboratoire CRESEM de l’Université de Perpignan
(4) Colin de la Higuera et Jotsna Iyer, pour la Chaire Unesco RELIA, nov 2022