Animer une séance de remédiation en première générale : quand les productions de commentaire des élèves viennent dépasser l'I.A. publié le 09/06/2025

Contexte et objectifs de la séance

Les élèves, en amont de cette séance, ont approché à plusieurs reprises l’exercice exigeant du commentaire littéraire dans ses différentes phases : lecture interprétative, planification / mise en projet et rédaction. Chacune des phases a été itérée soit lors de séances de lecture linéaire, soit lors de séances consacrées au commentaire à proprement parler. Dans ce dernier cas, il s’agissait d’automatiser les gestes de planification / mise en projet et de rédaction. Ensuite, les élèves ont eu à englober ces trois gestes pour conduire leur premier commentaire formatif, toujours accompagnés par l’enseignante.

Cette séance de remédiation s’inscrit donc juste après la correction par l’enseignante des écrits formatifs et au moment de la remise de ces travaux aux élèves.

Dans cette séance, les buts de maîtrise pour les élèves consistent donc à :

  • se réapproprier les attendus de l’exercice du commentaire
  • confronter des productions de commentaires (produites par les élèves et par l’I.A.) au regard de ces critères
  • interagir efficacement avec une I.A générative

Les buts conceptuels pour les élèves résident dans :

  • le recensement des représentations de chacun de l’intelligence artificielle en début de séance
  • la compréhension du fonctionnement de l’I.A.
  • la vérification individuelle de la compréhension du concept d’intelligence versus l’outil de l’I.A

Plus-value du numérique dans cette séance

Le numérique, dans cette séance, est à la fois un outil pour construire une tierce production relativement moins bonne que celle des élèves, ce qui permet alors à l’enseignante d’aiguiser la lecture critique de ses élèves d’une production de commentaire. Le numérique constitue également un objet d’apprentissage dont l’abord, dans le cadre de l’activité de la classe, invite à une posture critique et à un usage raisonné de l’I.A mais avant cela, à une compréhension de son fonctionnement.

Modalités de mise en œuvre

  • Niveau éducatif : 1re
  • Durée : 1 heure et 30 minutes
  • Ressources numériques utilisées :
    • productions de l’agent conversationnel
    • vidéo Canotech
  • Applications numériques utilisées :
    • agent conversationnel
    • assistant de prompt (instruction générative) ACTIF par Numédu
    • plickers pour évaluer les représentations des élèves sur l’I.A et créer un court exercice intercalaire
  • Pré-requis :
    • formation au commentaire littéraire
    • production d’écrits de commentaires par les élèves

Déroulement de la séance

Dès le début de la séance de remédiation, l’enseignante fait connaître aux élèves les objectifs de la séance. Les élèves prennent donc conscience des deux enjeux de la séance : se perfectionner sur le commentaire et entamer un usage conscient de l’I.A. La modalité de la séance invitant les élèves à alterner une posture réflexive sur l’I.A et sur le développement de leur commentaire dans les activités est également soulignée.

Dans la foulée, les élèves sont sondés via un test via outil de questionnement instantané tel que Plickers ou QCMcam sur leurs usages et représentations de l’I.A. Cette activité revêt en réalité une ambition réflexive pour les élèves et permet à l’enseignante de prendre la mesure des pratiques de l’intelligence artificielle dans la classe. Il ne lui est toutefois pas possible d’établir un diagnostic précis dans le temps, simplement d’avoir une vision d’ensemble. Dans tous les cas, l’observation des réponses permet également aux élèves de cerner l’utilisation de l’I.A par les élèves, dans la classe, et d’en discuter. De la sorte, l’activité, par les échanges verbaux qu’elle suscite, permet de décomplexer son usage voire de lui donner une réalité et une légitimité dans la vie d’un lycéen, d’une lycéenne. L’usage de l’I.A sort alors de toute clandestinité scolaire et peut devenir un objet d’apprentissage à part entière.

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Dans cette première approche, l’enseignante quantifie l’usage de l’I.A (limitée à un agent conversationnel) par les élèves dans la classe. Elle se renseigne également sur le degré de confiance qu’ils attribuent à ses productions et sur leur maîtrise du premier geste technique qu’est le prompt.

A l’aune des premières réponses et des premiers échanges, l’ouverture du cours de Lettres aux usages des agents conversationnels semble s’imposer : les élèves utilisent l’I.A et il est temps de la comprendre, de la questionner et d’en maîtriser l’usage. Sur 27 élèves présents, 26 ont déjà utilisé l’I.A et 14 en font une utilisation régulière. Toutefois, 7 élèves sur 14 mobilisant l’outil régulièrement n’ont jamais appris à "prompter" ou "commander / instruire une consigne" et dans les utilisateurs épisodiques, 8 sur 12 disent ne pas savoir ce que cela implique. Plus encore, parmi les 26, trois déclarent ne pas savoir ce que c’est que "prompter". Le cours à venir va donc répondre à leurs besoins.

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L’usage de l’I.A est quasiment unanime dans cette classe de première générale.

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En dépit de cet usage massif, plus de la moitié des élèves déclare ne jamais avoir appris à prompter, ce qui porte à croire que l’usage d’un agent conversationnel par les élèves est sans doute peu efficace et engendre alors une surconsommation des demandes ayant, rappelons-le un impact environnemental non négligeable.

Après avoir distribué les documents de la séance, l’enseignante centre désormais l’attention des élèves sur leur pratique du commentaire. Elle commence par mettre en valeur les plus-values des travaux qu’elle vient de corriger au regard de l’échelle descriptive officielle. Elle explique précisément en quoi elles consistent et quelles compétences elles mettent en jeu tout en donnant des exemples non nominatifs de ce qu’elle a lu en corrigeant les travaux de ses élèves. Son propos s’oriente principalement sur la qualité des développements des analyses menant à des interprétations. A ce stade de la séance, les copies n’ont sciemment pas été rendues.

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Retour vers le commentaire : mettre en valeur les productions des élèves par leurs plus-values estimées au regard de l’échelle descriptive officielle du BAC expliquée, première étape pour faire surgir légitimement le sentiment d’auto-efficacité des élèves.

Après un court temps de réflexion individuel, les élèves sont sollicités pour lister les gestes qui les amènent à si bien développer leurs analyses littéraires en vue de justifier une interprétation. L’enseignante les encourage à verbaliser leurs gestes pour développer leur expertise du commentaire. A titre d’exemples, les élèves expliquent leurs gestes : citer précisément le texte, expliquer, détailler le mécanisme linguistique ou littéraire à l’œuvre dans le relevé et revenir vers l’interprétation à argumenter. Les élèves rappellent également le temps de travail à lire et relire le texte, à regrouper les citations, à planifier. Ils évoquent également le matériel lexical pour s’exprimer : les connecteurs, les verbes de citation, les verbes d’explication.

Dans la suite logique de l’activité qui précède, l’enseignante invite ses élèves à une lecture individuelle de trois extraits de productions de commentaire dont une émane de ChatGPT qui leur permettra de les trier : rassembler deux bons exemples de commentaire et mettre de côté un exemple moins bon.

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Le florilège d’extraits de commentaires permet aux élèves de prendre du recul sur l’exercice du commentaire.

Chacun des extraits est, au préalable, contextualisé dans sa perspective argumentative. Pour ce faire, l’enseignante fait surligner ou un argument ou ce qu’elle perçoit comme un axe dans la version produite par l’I.A.

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Les élèves s’engouffrent avec plaisir dans cette activité de tri, motivés à l’idée de débusquer la production créée par l’I.A et à la fin, ils ont le plaisir de voir leurs productions unanimement reconnues par le collectif. Bien commenter devient une activité hautement humaine et intellectuelle, le sentiment d’auto-efficacité des élèves naît à ce moment précis de la séance.

Sans surprise, l’enseignante constate en passant dans les rangs que la totalité des élèves met à l’écart l’extrait de commentaire produit par ChatGPT et elle co-produit avec les élèves des remarques justifiant leur tri en guise de feedback. Par binômes, la classe se met alors à annoter les extraits : on met en relief les réussites des deux bonnes copies. En collectif, l’enseignante fait émerger par un vote à main levée le texte mis à l’écart et révèle alors à toute la classe qu’il s’agit bien de la production de ChatGPT. Naturellement, la comparaison des versions prend place. Les élèves révèlent alors les points forts des copies des élèves qu’ils opposent aux défaillances de la version ChatGPT : le caractère allusif des remarques, le manque de précision des citations, l’absence de mise en lien entre deux citations, la rareté des mécanismes linguistiques ou littéraires mis en lien avec le sens du texte et plus encore associés à l’argument. L’enseignante en profite alors pour rappeler le caractère humain du commentaire qui est une affaire de réception artistique d’une œuvre et l’exigence cognitive qu’elle requiert1.

Cette fois, les copies sont rendues aux élèves. Il leur revient, à la lecture de ces dernières, d’encadrer un passage de leur copie où le développement d’une analyse est particulièrement bien menée. A l’issue de ce temps individuel, les travaux corrigés circulent entre voisins-voisines pour apprécier les passages sélectionnés, ce qui suscite alors des discussions certes, mais surtout une reconnaissance entre pairs des compétences du commentaire mises en avant dans cette séance. De la sorte, le sentiment d’auto-efficacité de chaque élève est renforcé par le collectif.

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En plus de renforcer le sentiment d’auto-efficacité des élèves parmi leurs pairs, la fin de cette activité permet également de poursuivre la formation individuelle des élèves en faisant dégager, par une relecture active de la copie, des points de progrès que l’élève se fixe à lui-même et pour lui-même.

Dans cette dernière partie de séance, but conceptuel et but de maîtrise viennent s’associer : instruire une consigne et comprendre le fonctionnement d’une I.A générative. L’enseignante entame donc une formation à la commande, geste nécessaire pour interagir efficacement avec l’outil qu’est une I.A générative. Elle s’appuie alors sur l’assistant de prompt conçu pas Edunum A.C.T.I.F dont elle explique chaque lettre du nom. Par binômes, les élèves se lancent alors dans la même commande que celle opérée par l’enseignante à savoir solliciter l’I.A pour produire un commentaire sur le texte étudié par la classe, texte envoyé par l’ENT au préalable pour faciliter un rapide copié-collé.

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Ce temps de manipulation avec l’outil A.C.T.I.F permet aux élèves de prompter efficacement par eux-mêmes. Ce temps de manipulation assez long est précieux pour construire un usage pertinent de l’outil.

A mesure que les élèves achèvent leur instruction, elle leur demande de faire appel à Mistral A.I qui ne nécessite pas de compte personnel et non à ChatGPT. Cela permet de davantage préserver les données personnelles2 des élèves d’autant que le matériel du lycée est mobilisé pour éviter au moins tout traçage ou ciblage publicitaire de l’élève lui-même, démarche qu’elle explique. Elle invite les élèves à comparer leurs résultats dans les tablées et à les discuter. Elle évoque également la nécessité d’itérer la commande pour affiner la production. Mais, l’activité s’achève à cette seule manipulation pour les raisons environnementales déjà précisées dans la séance aux élèves. Dans un dernier temps, à l’aide d’une vidéo Canotech sur les I.A génératives, les élèves construisent leur compréhension d’une I.A générative. Leur attention est réactivée dans la mesure où l’enseignante annonce à la classe qu’un test succinct viendra vérifier où ils en sont dans leur compréhension de l’outil.

Par conséquent, pour clore la séance, le test individualisé a lieu via un outil de questionnement instantané. Les résultats permettent rapidement d’apprécier l’évolution des représentations, et, désormais, des connaissances sur l’I.A.

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A une exception près, les élèves de la classe mettent en défaut la notion d’intelligence associée à l’I.A en niant tout raisonnement dans l’outil.

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A l’assertion "L’I.A fonctionne avec des probabilités et des données variables qui ne sont pas vérifiées", les élèves souscrivent totalement. C’est un signe que la séance a fait évoluer leurs représentations de l’outil. Ils pourront alors exercer leur esprit critique dans l’usage qu’ils feront de l’outil.

Évidemment, chaque question fait l’objet d’un retour par la classe au cours duquel les élèves sont invités à expliquer leurs choix.

Compétences travaillées

  • Compétences disciplinaires :
    • acquérir des compétences pour s’exprimer, argumenter et analyser, interpréter les textes
    • préparer les élèves aux exercices du BAC
  • Compétences du CRCN mises en œuvre par les élèves :
     CRCN : consulter le tableau avec une entrée par compétence
    • Information et données
      • Gérer des données
      • Traiter des données
    • Protection et sécurité
      • Protéger les données personnelles et la vie privée
    • Environnement numérique
      • Évoluer dans un environnement numérique
  • Compétences du CRCN-Edu mises en œuvre par l’enseignant :
     CRCN-Edu : Domaines et compétences
    • Ressources numériques
      • Sélectionner des ressources
    • Enseignement - Apprentissage
      • Concevoir
      • Mettre en œuvre
      • Évaluer au service des apprentissages
    • Diversité et autonomie des apprenants
      • Engager les apprenants
    • Compétences numériques des apprenants
      • Développer les compétences numériques des apprenants

Bilan critique de la séance

Cette séance s’achève par le constat que les usages de l’I.A vont se maintenir. La séance n’avait évidemment pas pour objectif de les bannir.

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En fin de séance, les élèves s’expriment sincèrement sur leurs futurs usages de l’I.A dans le cadre d’une activité de commentaire si la situation d’enseignement le permettait, ce qui ne sera pas le cas pour la classe de l’enseignante.

Au début de la séance, 26 élèves déclaraient avoir déjà mobilisé l’I.A. En fin de séance, 11 élèves sur 27 envisageraient de mobiliser l’outil pour les assister dans l’écriture d’un commentaire tandis que 16 élèves sur 27 penseraient ne pas y faire appel. On peut donc estimer que l’expertise croissante des élèves sur le commentaire et sa reconnaissance les ont réellement confortés dans leur capacité à mener à bien l’exercice. Avoir suscité le sentiment d’auto-efficacité a été un levier puissant dans cette séance. En revanche, les 11 élèves restant prêts à mobiliser l’I.A sont toutefois sensibilisés, conscients des limites de l’outil et de son fonctionnement et donc libres d’exercer leur esprit critique.

Ressources

(1) on peut penser ici à la Taxonomie de Bloom qui place, de fait, le commentaire, par ses exigences d’analyse, dans des activités cognitives hautes

(2) Le simple fait de choisir Mistral ne constitue pas un cadre de confiance suffisant pour un usage par les élèves en classe, mais limite l’utilisation des données. Pour toute application hors Médiacentre, prendre la précaution d’utiliser les appareils de l’établissement et non des appareils personnels, pour éviter les cookies (traceurs) et le ciblage publicitaire associé. Voir à ce sujet "les modèles économiques du numérique".