Prendre parti dans la lecture d'une oeuvre intégrale (TraAM) publié le 18/11/2018  - mis à jour le 13/03/2019

Focus sur une séquence autour de Médée étudiée en oeuvre intégrale : le numérique au service d'un engagement du sujet lecteur

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Cet article a été rédigé dans le cadre des TraAM 2017-2018 : littérature, corpus, interprétation : qu’est-ce qu’un texte pour la classe aujourd’hui ?.
La page de référence sur éduscol : Les travaux académiques mutualisés (TRaAM) : des laboratoires des pratiques numériques.


1. Présentation et objectifs du projet

Illustration du TraAM

La production finale est multiple :

  • construire un plaidoyer ou un réquisitoire à plusieurs
  • proposer un texte audio à soumettre à discussion et analyse
  • opter pour une problématique et un plan détaillé en binômes
  • repérer individuellement un parti pris esthétique et le justifier.

 Le projet est mené avec une classe de seconde générale.

Dans le cadre de la lecture de Médée de Corneille en œuvre intégrale et afin d’engager les élèves dans l’interprétation, cette séquence se propose non pas de multiplier les lectures analytiques mais d’inciter les élèves à se positionner tant dans le propos de la pièce (au départ) que dans l’esthétique d’une mise en scène (à la toute fin). On laisse tout de même une place à la lecture analytique dans cette séquence en faisant entendre aux élèves que leur geste de lecteur est une façon de faire un choix et / ou d’être sensible au choix d’un auteur, d’un metteur en scène. Cette démarche est une manière de mettre en activité les élèves dans la construction de leur interprétation tout en leur permettant de prendre du recul par rapport à celle-ci.

L’usage de l’outil numérique est tout à la fois un moyen de figer l’interprétation souvent multiple et mouvante, un médium favorisant la prise de recul des élèves sur leur geste interprétatif et un support pour relancer, motiver l’interprétation.

2. Organisation

35 élèves de seconde générale. La disposition des élèves évolue en fonction des activités : en îlots, en frontal / en salle de classe ou en salle multifonction.

Les outils numériques utilisés sont les suivants : Wiki, caméra (puis ordinateurs pour s’observer), enregistreur numérique, vidéoprojecteur.

L’activité s’effectue dans le temps d’une séquence, soit cinq semaines ici.


3. Descriptif de l’activité

Temps 0 : Lecture de l’œuvre.

Il s’agit d’une œuvre ambitieuse pour des élèves sortis de 3e depuis quelques mois. Un guide de lecture accompagne les élèves dans leur lecture. L’enseignant avant d’engager la lecture individuelle des élèves a consacré deux heures, en amont de la séquence donc, pour présenter l’histoire de Médée et de Jason grâce au début de la mise en scène de Paulo Correia : les élèves ont gardé une trace de la fiction sous forme de schéma, carte heuristique, croque-note dans leur guide.

Séance 1

Présentation de la séquence et de sa problématique « Qui est le monstre dans Médée ? » puis mise en commun des étapes de l’intrigue grâce à une frise scindée en deux parties : « gestes d’amour désespérés » contre « vengeance ». La mise en commun permet aux élèves de s’interroger, de discuter autour de la problématique : elle fait alors surgir réticences et affrontements courtois en classe.

 S’ensuit une courte lecture analytique d’un extrait du texte, qui met les élèves en contact avec le fameux dilemme cornélien, dilemme qu’ils vont devoir eux-mêmes résoudre dans leur démarche de lecteur.

Temps 1 : Appropriation de l’œuvre : relectures, échanges, mise en projet de la lecture avec l’écriture d’une plaidoirie ou d’un réquisitoire.

Séance 2

Cette séance est d’ordre plus culturel et concerner la construction du mythe de Médée, de la pièce antique en passant par la pièce classique de Corneille puis la réécriture contemporaine de Laurent Gaudé Médée Kali pour finir avec un article de presse sur la découverte de trois infanticides datant de 2017.

Séance 3

 1ère heure : présentation de la mission interprétative des élèves.

Il va s’agir de construire en groupes une plaidoirie ou un réquisitoire dans le cadre du procès de Médée. Afin de construire une représentation mentale de la justice, l’enseignant étudie deux extraits relativement courts de L’Hermine de Christian Vincent (2015) : à partir de la huitième minute environ puis à partir de 1h12 et enfin à partir de 1h25.

Il est aussi question du jugement d’un infanticide dans l’œuvre. Les élèves réagissent quant à leur mission puisque pour eux, la monstruosité de Médée est indiscutable. S’engage alors une discussion pour nuancer « justice », « éthique » ou « morale ». Le professeur fait le lien entre la posture de lecteur qui n’est pas là pour juger mais pour comprendre, mettre à jour des interprétations.

Planifier le travail : de la lecture de Médée à l’écriture d’une plaidoirie / d’un réquisitoire.

 2ème heure : les élèves sont répartis par sociogroupes à l’aide de cet outil et forment des îlots.

Ils se lancent dans une lecture de repérage en ayant d’abord pris soin d’opter soit pour la plaidoirie, soit pour le réquisitoire. Chaque élève est donc en lecture « radar » à l’affût de matériau pour construire la plaidoirie ou le réquisitoire. Les élèves mettent en commun, discutent, rejettent, valident des preuves qui vont soit dans le sens d’une condamnation ferme de Médée, soit dans le sens d’une clémence à l’égard de l’accusée selon les groupes. L’enseignant circule entre les groupes, participe aux discussions, vient en aide quand le vocabulaire pose problème ou quand les élèves ont besoin d’une confirmation sur une interprétation.

Les plus rapides basculent sur la séance 4 dans laquelle les interprétations vont prendre forme dans un discours argumentatif. Ils ouvrent alors un espace Wiki qui leur permettra de collaborer.

Séance 4

Les élèves entendent un extrait de discours politique, observent des images de grands hommes politiques. Ensuite, l’enseignant confie des astuces pour être persuasif au-delà de convaincre. C’est l’occasion de réviser des notions de 3e. Les élèves entrent tous dans l’écriture collaborative du discours. Par l’ENT auquel ils se connectent avec leur portable, ils accèdent à WIKI et écrivent, à plusieurs mains, leur plaidoirie ou leur réquisitoire.

En classe l’enseignant aide, relit, propose des pistes, encourage et à la maison, les élèves poursuivent, selon l’avancée des groupes. L’enseignant peut intervenir en commentant dans le Wiki pour conseiller les groupes. C’est aussi un moyen de juger de l’avancée des groupes à tête reposée depuis chez soi et de revenir en classe en sachant qui aller aider ou motiver. L’outil est donc un excellent allié pour différencier.

Séance 5

L’enseignant, après avoir imprimé et évalué les derniers jets écrits par les élèves, réalise une séance « théâtre ».

 Enjeux : travailler ensemble le texte et ce faisant, trouver sa posture corporelle, gérer son souffle, mémoriser, répéter, moduler sa voix avant d’entrer en scène : assumer le regard des autres, prendre sa place et prendre la parole.

Séance 6 : passage des plaidoiries et réquisitoires filmés

La salle suit la mise en scène d’un procès. Des élèves sont en position de jurés mais élisent les meilleurs rhéteurs ; pas un, plusieurs selon eux.

Des élèves jouent le rôle de l’accusé et un mini-scénario est mis en place. La caméra est tenue par des élèves volontaires.

Séance 7

Les élèves découvrent leur performance, se voient en train de porter leur interprétation : ils s’analysent, s’évaluent. Cette activité peut sembler superflue mais cette image d’eux-mêmes prenant parti est un excellent moyen de se voir et de s’imaginer comme un lecteur interprète capable de prendre parti, d’assumer et défendre ce parti en tant que tel. De plus, le moment de passage est l’occasion de former un groupe, une communauté de lecteurs solidaires. L’outil numérique participe à cette photographie du moi lecteur mais dans le groupe.

Un petit groupe rapide a pris de l’avance. L’enseignant leur confie la mission de mettre en voix un texte sur lequel on pouvait observer le personnage le plus monstrueux à leurs yeux. Ils ont, ensuite, lors de l’une de leurs heures d’étude et pendant cinq minutes, répondu à l’interview de l’enseignant pour justifier le choix du texte.


Temps 2 : transfert des compétences de lecteurs dans une lecture analytique.

Séance 8

Les élèves reviennent en classe et nous transférons « leur nouvelle peau de lecteurs interprètes » dans un exercice plus académique : une lecture analytique. Le texte audio était une belle manière d’effectuer une transition dynamique par la voix des élèves et non dans le texte seul, le passage du travail de groupe à la lecture d’un texte seul aurait été trop brutal. À l’arrivée du groupe classe, l’activité de lecture est annoncée à ceci près que le texte n’est pour le moment pas distribué aux élèves sous sa forme écrite : les élèves écoutent donc le fichier audio réalisé par le petit groupe d’éclaireurs de la séance précédente.

Consigne est donnée, pendant ce temps, d’ouvrir leurs carnets de lecteur1. En guise de première approche, les élèves doivent, à titre individuel, noter dans leur carnet leurs premières impressions sur le texte.

Pour les engager dans leur démarche, l’enseignant formule les pistes en ces termes :

"Pour quelles raisons, selon vous, vos camarades ont-ils choisi cet extrait pour illustrer la problématique de la séquence ?" mais aussi : "Quel personnage vous semble monstrueux dans cet extrait ?".

S’ensuit la conduite de la lecture analytique : des trouvailles des élèves au choix de la problématique. Le choix, parmi les problématiques trouvées de manière collective, se fait en binôme, de même que l’élaboration du plan.

Travail sur la scène d’exposition

Temps 3 : transfert des compétences de lecteurs dans la réception critique d’une mise en scène de Médée.

Séance 9

Après un rappel sur les notions de baroque et de classicisme, les élèves vont devoir cette fois se montrer sensibles au parti pris d’un metteur en scène Paulo Corréia2. Les élèves ne sont donc pas les interprètes du texte de départ mais ils doivent lire le choix, le parti pris du metteur en scène et le justifier.

Pour ce faire, les élèves sont invités à représenter une page de carnet de metteur en scène :


4. Bilan

D’une part, l’usage des outils numériques a fédéré les élèves et a valorisé leurs prises de risque dans leur interprétation. Les élèves ont pu collaborer et profiter de leur travail. L’approche de l’enseignant a été plus ajustée et les élèves se sont tous sentis pris en charge et en considération dans le travail qui consistait à leur faire adopter une posture de « lecteur philosophe », notamment grâce aux commentaires sur Wiki. Les plaidoiries et réquisitoires constituent la diversité des lectures-interprétations faites de la pièce par les élèves. La lecture enregistrée est elle aussi devenue un acte d’interprétation initié par un petit groupe et discuté par le groupe classe.

D’autre part dans le cadre de la discipline, les élèves se sont tous montrés actifs et c’est bien ce que l’on demande dans le travail d’interprétation. Ils se sont vus et ont alors assumé leur « moi » de lecteur interprète et aussi accepté la multiplicité des interprétations. Ils ont ensuite expérimenté ce qui fait la validité d’une interprétation : le fait qu’elle soit socialement acceptée. Par ailleurs, l’argumentation a été conjointement mise à l’honneur avec la lecture, ce qui a explicitement signifié aux élèves que la lecture interprétative est aussi un travail d’argumentation.

 La lecture expressive par les élèves est une autre version du texte très porteuse pour engendrer la discussion.

5. Perspectives

Le seul écueil reste sans doute le temps.

Il faut réellement créer du rythme dans les relectures des élèves afin que les groupes avancent suffisamment rapidement et éviter la lassitude.

Pour éviter les problèmes de groupes, les socio-groupes ont été d’un grand secours et l’évaluation entre pairs de la participation de chaque membre a installé une ambiance de travail positive.

(1) Le carnet de lecteur est un outil régulièrement mobilisé par l’enseignant dans le cadre du cours : il permet l’entrée de diverses manières dans les textes et il invite les élèves à garder une trace après une séance de lecture.

(2) Le choix du baroque renforçant la monstruosité de Médée dans cette mise en scène.

Portfolio