Le Malade Imaginaire, du texte à la scène publié le 29/06/2011

Analyser les partis pris d'une démarche créative

Pages : 12345

Le drame médical

Du théâtre clinique...

La sélection des scènes dégage dans l’oeuvre une dramaturgie médicale mettant en jeu un acte médical, posée comme une épreuve, et des rapports de force, dramatiques, entre autorité médicale et malade
On retrouve en effet, mais en désordre, quelques séquences d’un « drame médical », scènes emblématiques d’un parcours obligé, d’une vérité impitoyable, que la maladie soit imaginaire ou réellement incurable :

  • La prescription : la première scène pose le rapport de dépendance entre le patient, suppliant, et le chantage à la frustration et à l‘extorsion.
  • Le traitement, le clystère : face au soupçon de rébellion se déchaîne la colère de l’autorité et le chantage à l’abandon.
  • Le diagnostic : condamnation et abandon du malade à son angoisse.
  • L’adieu au malade : visite impuissante de l’ami, morale, constat d’échec, séparation.

Deux résolutions comiques à ce drame médical, qui oppose sans cesse appels à l’aide et exclusions :

  • La séquence des faux médecins rejoue en effet le parcours d‘une consultation, dans l’ordre cette fois : auscultation, diagnostic, et prescription ; cependant la contrefaçon renchérit dans l’autoritarisme et l’abandon.
  • L’intermède final opère un ultime renversement puisque le malade est intégré à l’ordre des médecins : il ne sera plus abandonné mais il est... mort.

...au théâtre critique.

La fable émergeant du texte de Molière justifie quelques orientations de mise en scène :

  • Un théâtre de mouvement1 : toutes les scènes finissent sur un abandon et commencent par une intrusion : entrées, sorties et mouvements vont souligner cette violence centripète ou centrifuge. Les Argans n’en sortiront que morts ou médecins
  • Une action scénique qui met au centre le « traitement » du corps : le traitement est bien au coeur de la dramaturgie, sa violence, arbitraire, habituelle, mais "légitime", qui réduit le corps à ses tuyauteries2 ; si être sacré médecin, nous dit Molière à la fin de l’intermède, c’est acquérir « la faculté pleine et entière de... zigouaillare et ce impunément et sur la terre entière »3, toute l’action démontre que droit de traiter est devenu, ou vécu comme, "droit de maltraiter".
  • Peut-on donner un sens général à la fable de la représentation ? Les propositions de Laurence, travaillant sans cesse le conflit de l’ordre et du désordre, ont filé la parabole de la danse de mort, mais laissé une ambivalence à l’intermède final : est-ce une revanche sur l’autorité médicale, une délirante et euphorique parodie carnavalesque ? Ou la victoire de l’Ordre, auquel vrais faux médecins et vrais faux malades sont intégrés, rituels médicaux et rituels mortuaires participant également d’une comédie tragique ? Dans notre mise en jeu, la cérémonie sauvage et sacrificielle penche d’un côté, le côté « gospel » et les caricatures de l’autre.

Claudine Vigouroux

 

Citons pour laisser la parole à Molière le discours d’intronisation du président :

PRAESES

Ego cum isto boneto
Venerabili et docto,
Dono tibi et concedo
Virtutem et puissanciam,
Medicandi,
Purgandi,
Seignandi,
Perçandi,
Taillandi,
Coupandi,
Et occidendi
Impune per totam terram.

Que nous nous sommes permis de retraduire en latin de cuisine d’aujourd’hui, tandis que le quatrième Président pose un masque blanc sur la figure du candidat

Alors Moa avec ce bonnet
Aussi savant que distingué
Je te donne et te confère
La faculté pleine et entière
De médicare
De purgare
De saignare
De perçare
De taillare,
De coupare,
Et de zigouillare
Et ce impunément et sur la terre entière

(1) Idée courante sur Molière qu’il est intéressant de vérifier.

(2) Bien sûr on peut renvoyer aux pratiques de l’époque mais on peut s’interroger sur l’extraordinaire obsession que partagent malade et médecin pour le corps du bas.

(3) Voir citation in fine.