Commentaire d'une affiche pour Juste la fin du monde de Lagarce publié le 13/01/2009

Une reconnaissance emblématique des directions de travail ?

Pages : 12

Commentaire de l’élève de terminale

(extrait de son carnet de bord)

Lagarce

J’ai choisi de commenter cette affiche car elle me paraît exploiter nos partis pris de lecture sur cette œuvre et éclairer certains de nos partis pris de mise en scène

Cette affiche repose sur un montage mêlant plusieurs sources : deux œuvres de Magritte, le peintre surréaliste - l’empire des lumières et la reproduction interdite - et deux photographies : l’une d’un ciel nuageux et l’autre du viaduc de Garabit.

Le premier parti pris que je vais tenter d’expliquer est celui du contraste de lumière dans cette image :
 entre le bas de l’affiche qui représente une scène nocturne empruntée à Magritte : au coin d’une rue, le halo d’un lampadaire découpe un pan de maison dans l’ombre profonde des arbres
 et le haut de l’affiche où s’ouvre l’espace lumineux du ciel enjambé par l’arche d’un viaduc métallique
On peut effectivement voir qu’au premier plan, dans le bas la lumière est incertaine, sombre, voire austère. Il me semble que ce choix se justifie sur le plan de la dramaturgie par la difficulté du retour, par la confrontation à la famille. Au second plan, l’espace libre, le jour, le ciel et les nuages, pourraient évoquer symboliquement ce que seul voit le personnage principal : son destin et sa « mort prochaine et irrémédiable »

D’autre part l’opposition entre peinture et photographie nous interroge sur le statut de la réalité dans cette œuvre : est-ce l’espace subjectif qui serait réel et celui des autres une représentation ?

Au premier plan la maison, barricadée derrières ses volets clos, ensevelie, étouffée sous les sombres frondaisons, laisse supposer une famille enfermée sur elle-même, dans son passé, dans son silence. Une famille - musée, mausolée - où il est difficile de revenir, où il est encore plus difficile de parler.
Seules deux fenêtres sont éclairées. A l’étage. On pourrait supposer qu’il s’agit de la chambre de Suzanne qui parle par ailleurs d’un étage où elle vit, où elle possède des articles ménagers, où elle dispose à la fois de la chambre d’Antoine et de la sienne. Elle parle également d’un endroit où elle range les vieilleries : la chambre de Louis. Ces deux pièces ouvertes me parlent donc de l’attente de Suzanne, de sa bonne volonté face au retour de son frère, de son inépuisable indulgence face à son absence.

Au second plan on observe un pont, qui pourrait représenter d’une part le retour, et d’autre part, le chemin, l’ailleurs. A la fois, le chemin du retour et le chemin vers la mort. Je remarque que sa diagonale ascendante, pointant un hors champ inconnu, retrouve une des orientations majeures de la scénographie dans laquelle nous avons travaillé. Bien sûr l’image du viaduc pourrait en elle-même illustrer un épisode de l’épilogue, ultime récit d’un ultime voyage solitaire et nocturne :

Parce que je suis perdu la nuit dans la montagne
je décide marcher le long de la voie ferrée. …/…
A un moment je suis à l’entrée d’un viaduc immense,
il domine la vallée que je devine sous la lune,
et je marche seul dans la nuit,
à égale distance du ciel et de la terre.

Ce pont, justement parce qu’il est vide, m’évoque avant tout l’image d’un « Louis funambule » qui a nourri notre état du corps dans l’avancée des monologues, jusqu’au choix de faire dire l’épilogue à Coline, notre dernier Louis, marchant calmement en équilibre sur le sommet d’un praticable. Il me semble aussi que sa mince architecture un peu mitée (par la reproduction) qui enjambe d’un seul élan la vallée a quelque chose d’aussi fragile et obstinée que la phrase de Lagarce.

Enfin, l’homme dédoublé, de dos pour le spectateur, qui fait face à la maison, semble dès maintenant face à son destin, face à sa responsabilité de faire ou non demi tour, désormais dans l’obligation « de retourner sur mes traces, pour annoncer, dire avec soin et précisions, … ma mort prochaine ». Dans ce montage qui détourne la question posée par Maqritte dans la reproduction interdite, je vois comme une réponse au procès d’égocentrisme parfois dressé contre l’écriture réflexive de Lagarce : toute notre approche nous a permis de vérifier à quel point sa dramaturgie – pourtant orientée par un super narrateur – fait entendre « la résistance de l’altérité » et combien l’approche de chaque personnage demande d’empathie.

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Auteur

 Claudine Vigouroux

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