APPROCHES DIVERSIFIEES DES SUPPORTS ET DEMARCHES APPROPRIEES POUR RENDRE L'ELEVE ACTIF EN CLASSE ET A LA MAISON

 

Mme TAIN

Professeur au Collège Jean Moulin à Aubervilliers

" Pourvu qu'ils m'écoutent... "
" Pourvu qu 'ils comprennent... "
" Pourvu qu 'ils participent... "
" Pourvu qu 'ils apprennent... "

Ces vœux très cristoliens, le professeur d'espagnol, comme beaucoup de ses collègues d'autres disciplines, les forme, surtout lorsqu'il débute, et bien vite il en vient soit au constat négatif et dangereusement définitif " qu'ils ne m'écoutent pas ", " qu'ils ne comprennent rien… " etc., soit à la conscience qu'on peut certainement essayer que cela ne reste pas des vœux pieux.

En poste en collège à Aubervilliers depuis 1976 et ayant élargi mon champ d'observation à la diversité des situations d'enseignement de l'espagnol dans l'académie de Créteil du fait de mes fonctions de professeur formateur et de conseiller pédagogique, force m'a été de constater, depuis plusieurs années déjà, que, s'il existait toujours, même en Seine Saint Denis, de " bons élèves ", susceptibles de recevoir n'importe quel type d'enseignement et d'en tirer profit, et encore quelques classes d'excellence, la relation pédagogique était à reconstruire, ou à adapter , quand elle n'était pas purement et simplement à réinventer, y compris pour l'enseignement de l'espagnol.

Dans ce contexte, il me semble qu'il faut se garder de deux écueils quand on veut pouvoir enseigner en ZEP :
- la nostalgie : les élèves ne sont plus ce / ceux qu'ils étaient,
- la mise à distance " pathologique " par le regard que le professeur porte sur eux. Certes le chantier était devenu immense et l'enfermement dans des certitudes et des pratiques devenues parfois inopérationelles. Dans ce cas-là, me semble-t-il, le seul principe à appliquer est le principe de réalité : ne pas " rêver " l'élève, le voir et l'accepter tel qu'il est. " Mettre un enfant en échec est un acte impardonnable : le but de l'éducation c'est de faire faire des progrès , ce qui n'est possible qu 'en partant de l'enfant tel qu 'il est quand on le prend en charge et non tel qu 'on voudrait qu il soit. " ( Le Monde, 20/10/95, Alain Reinberg, Sur les rythmes scolaires.)

A la réflexion, il ne s'agit pas d'un grand bouleversement ni de faire table rase, mais après avoir établi le diagnostic-que savent-ils faire ?, quelles compétences ont-ils ? quelles tâches sont-ils aptes à mener à bien ? autant, sinon plus , que -que ne savent-ils plus faire ?..., de pouvoir adapter ses pratiques en se gardant de la tentation de renoncer aux exigences dans un souci de simplification extrême. Sous prétexte que : " avec eux, je ne peux plus faire de textes, je ne fais plus que des images et des BD ", " ils ne font plus rien à la maison, ce n'est pas la peine de leur donner du travail, surtout pas écrit, ils copient tous ", " je ne peux pas leur faire étudier le passé, ils ne savent toujours pas le présent de l'indicatif. "...

S'il faut se garder de toute démarche simplificatrice et réductrice, il faut également abandonner ce qu'on pourrait nommer pédagogie de l'acharnement pour mettre en place une pédagogie du détour et des entrées multiples car, pour citer " La maîtrise de la langue au collège ", CNDP, : " L'élève ne s'approprie pas le savoir sur un mode cumulatif mais plutôt sur un mode spiralaire (par reprise différée des mêmes notions à un autre niveau). (Jean-Pierre Astolfi).

On peut vouloir varier la pédagogie de l'espagnol, le plus efficace semble-t-il étant surtout de la diversifier ou plutôt d'en diversifié les approches comme le décrit J.P. Astolfi " Si la variation est envisagée dans le temps, on peut voir la pédagogie diversifiée de façon synchronique. A l'occasion d'une séquence d'apprentissage donnée et pour atteindre un objectif déterminé, l'on s'interroge alors sur l'éventail des démarches simultanément possibles ". (Jean-Pierre Astolfi).

Diversifier les supports et mettre en œuvre les démarches appropriées afin de faciliter la compréhension et la prise de parole de l'élève et de rendre effectif son travail à la maison, tels sont les points sur lesquels je m'efforce de réfléchir.

L'opacité des supports s'ajoutant à celle du fonctionnement du cours, " la lenteur et le pointillisme ".

I- Faciliter la compréhension en diversifiant les supports lors d'une même séance.

Dans l'exploitation des documents considérés trop souvent comme une fin en soi, le manque ou l'insuffisance des outils linguistiques (vocabulaire et expressions permettant d'intervenir en classe, outils de reformulation, connecteurs logiques et chronologiques), sont pour les élèves les obstacles majeurs dont le professeur d'espagnol ne peut que prendre conscience et auxquels il s'efforce de s'attaquer en y remédiant.

Or, trop souvent, on travaille un document, qui s'inscrit dans un projet, par séance, on y reste même pendant plusieurs séances. Pour peu que l'accès au sens ne soit pas immédiatement facilité, que la production-expression des élèves soit pauvre, on frôle vite l'incident grave, les élèves optant pour vaquer à leurs occupations personnelles (et ils en ont de multiples sous de multiples formes). Certains sont même capables, au sens propre, de s'endormir, d'autres de tomber de leur chaise, d'autres enfin de sortir du cours... Les élèves de ZEP, encore plus que d'autres, ont une incapacité notoire à supporter l'ennui, et une exigence énorme envers l'enseignant.

J'ai pu vérifier que proposer plusieurs supports lors d'une même séance (deux semblent le maximum possible en collège) peut permettre dans certaines classes de maintenir l'intérêt et la curiosité, donc l'activité, s'ils sont travaillés en écho, en miroir.

Par exemple :
- deux textes : ils seront d'un niveau de difficulté croissante,,, le premier servant de " mise en bouche ", d'introduction : accès au lexique, aux tournures idiomatiques, à la syntaxe, approche thématique, réemplois immédiats. Il est clair que le choix de ces deux textes doit tenir compte de leur longueur respective et que la sélection des objectifs (langue et sens) doit être rigoureuse et réaliste ; on ne peut tout exploiter. L'étude du premier texte permet d'éclairer le second texte, de lever les inhibitions éventuelles. L'accès au second texte en est grandement facilitée.

- Un document iconographique introduisant l'étude d'un texte (en redondance)

-fonction informative par rapport au texte,
-image : déclencheur de parole

J'ai constaté que ces deux démarches permettent de travailler dans un premier temps sur ce que les élèves savent le mieux faire bien souvent : mettre en évidence les analogies et / ou les différences, démarche qui les rassure toujours, (es como .... es diferente de ... parque..., se trata aquí también de..., lo diferente es que..., no es... sino..., es igual que ... ya que..., es todo lo contrario de... porque...etc.).

Image muette ou avec le moins de texte possible et texte simultanément (en redondance) : va-et- vient entre l'image et le texte, l'image assurant la fonction de "traduction iconographique " du texte, servant à exemplifier les informations données par le texte ou plus " décorative ", constituant un enrichissement, culturel par exemple. Texte d'abord puis image permettant un réinvestissement immédiat (lexique, structures de langue, idées) donc aidant à la mémorisation et à la fixation.

Texte puis écoute de l'enregistrement de ce texte.L'écoute permet de vérifier la compréhension , le bien fondé des commentaires et analyses, de travailler par imitation la correction phonétique, de préparer la mémorisation et la fixation.

D'autres combinaisons sont bien évidemment possibles.

 

II- Diversifier les approches . et donc les tâches demandées aux élèves lors d'une même séance.

Le déroulement du cours d'espagnol le plus usité est le suivant : lecture magistrale si c'est un texte ou prise de connaissance rapide du document iconographique, compréhension globale, descente du texte par unités de sens, ou étude linéaire d'une BD, ou approche méthodologique plan par plan de la photo, élucidation, sollicitations diverses pour faire apparaître le sens littéral, permettre la reformulation, déboucher sur l'analyse et le commentaire quand c'est possible, récapitulations ( le plus souvent répétitions) par paliers, lecture éventuelle à haute voix des élèves...

C'est un schéma de cours qui fonctionne parfaitement bien quand il est maîtrisé par le professeur et avec des élèves qui ont quelques moyens et / ou bien entraînés. Mais, pour des élèves en difficulté, cette approche parfois rigide et répétitive, surtout lorsque le guidage du professeur est défaillant, les lasse très vite et les démotive. Elle ne permet de mettre en place qu'un 'éventail assez réduit des activités possibles de l'élève pendant une même séance . Elle ne s'appuie que sur la reconnaissance et la valorisation de quelques compétences ou savoir-faire, toujours les mêmes, à l'exclusion d'autres rarement éprouvés, rarement reconnus. La plupart du temps, en cours d'espagnol, ne sont valorisés que les élèves possédant une bonne maîtrise langagière. C'est dire que beaucoup sont abandonnés au bord du chemin.

Un déséquilibre fréquent apparaît lors des séances entre le " tout littéral "- répétition à l'identique du texte- ce qu'inconsciemment les élèves même faibles refusent, ou le "tout analyse " impossible si la compréhension littérale n'est pas assurée.

On constate également que la part accordée à l'écrit lors d'une séance est insignifiante, limitée au contrôle ou à la prise de notes très guidée en fin de cours.

Avec des élèves en difficulté, il apparaît indispensable d'adapter la tâche aux possibilités immédiates et très différentes de chacun, " de façon à ménager des situations où il réussira et développera une image de soi positive ".

A- Pour donner accès au sens :

accorder plus de place à la lecture silencieuse avec guidage par étapes et en attirant l'attention des élèves sur le repérage des passages clés du support textuel (fijaos bien en las limas…),

passer davantage par l'écrit pour permettre la compréhension et préparer la prise de parole : relever, lister, repérer les indices, les articulations, recopier, souligner ou surligner, identifier les formes et les éléments connus , etc. Toutes consignes qui tiennent compte des étapes obligées de la compréhension.

Se rappeler que l'élucidation préalable ne suffit pas, qu'elle doit se faire en continu, du début à la fin du cours et que " la clarté naît toujours d'une interprétation " : il faut comprendre pour parler mais parler aide à comprendre.

B- Pour produire du sens :

- s'il est indispensable d'utiliser ce qui a été fait précédemment pour énoncer ce qui a été compris de manière littérale et/ ou reformulée, il est tout aussi indispensable de rapidement dépasser le stade de l'énoncé pour mettre en relation, prolonger, justifier, se prononcer, interpréter, donner son avis... Aucun élève ne supporte de répéter à l'identique à longueur de cours, tous, même avec peu de moyens linguistiques, éprouvent le besoin de s'exprimer de façon personnelle pour peu qu'on les y invite et qu'on sache les solliciter en leur fournissant les mots pour le dire.

L'accès à l'implicite étant très difficile pour une grande majorité, pourquoi ne pas le leur donner sans hésiter et leur demander de justifier ces affirmations par les éléments du support qui les ont permises.

Faciliter, susciter les réemplois permanents ( immédiats : la langue du support, différés : les séances précédentes)

Aborder les difficultés de langue nouvelles en acceptant dans un premier temps de les lexicaliser (formes verbales :par exemple, comprendre " quiso " par la même démarche qu'on comprend " la mesa " ; tournures idiomatiques).

Pratiquer la correction avec diplomatie, selon, comme l'écrit Claude Hagège, " une méthode fondée sur l'expansion, c'est à dire en présentant la bonne formulation avec sérénité et sans éclats réprobateurs, sous l'aspect d'un complément plutôt que d'un substitut autoritaire...Pour autant elle doit être parfaitement claire et il est important que le maître répète la bonne formule et en sollicite la répétition. " (L'enfant aux deux langues) Pour se faire comprendre quand on parle espagnol : accorder plus de place au travail sur la correction phonétique : reprendre les expressions phonétiquement incorrectes, absence ou déplacement de l'accent tonique débit, articulation, audibilité etc. Cela peut se faire sous des formes ludiques

C- Pour vérifier la compréhension, récapituler, faire des bilans lors d'une séance :

Entendu lors d'une phase de récapitulation laborieuse : " Madame, votre phrase-là, elle est trop longue, elle ne rentrera jamais dans nos têtes ! " Cette phase est difficile à mener : on se heurte vite au problème des difficultés d'attention des élèves et à celle de la prise de parole plus en continu qu'il est cependant important de travailler avec eux.

Avec certaines classes ou certains élèves, un bon moyen de récapituler est de demander de relire à haute voix le passage du texte auquel les dernières interventions renvoyaient. Ils devraient être alors en mesure 1) de retrouver le passage en question, 2) de le lire correctement.

Le jeu, la représentation, les conseils de mise en scène, si la spécificité du support le permet, peuvent être aussi de bons outils de vérification et de récapitulation ainsi que des activités gratifiantes pour les élèves.

Pourquoi ne pas demander aux élèves de reconstruire à l'écrit, à partir des éléments apparus au tableau tout au long du cours et avec l'aide du professeur, l'essentiel de ce qui a été trouvé, compris, exprimé ? Cela contribue par la même occasion à l'apprentissage de la prise de notes et de l'expression écrite, et cela leur montre l'utilité de ces notes pour effectuer le travail à la maison.

 

III- Diversifier les consignes de travail. Aider à la réalisation.

J'emprunterais à Olivier Reboul dans " Qu'est- ce qu'apprendre ? " sa définition du savoir-faire. Il le définit " comme un pouvoir refaire quand on veut et comme on veut ".

Sans doute peut-on écarter au stade de l'apprentissage où en sont les élèves de collège en ZEP, la deuxième partie de la définition qui à mon sens, renvoie plutôt à des compétences de cycle terminal, de fin d'apprentissage.

Je me suis rendue à l'évidence que mes élèves pour prendre conscience et confiance de " pouvoir refaire ", avaient besoin qu'une partie de leur travail personnel soit amorcée lors de la séance, que la trame de ce travail leur soit clairement indiquée, que le " pour quoi faire " leur soit répété, que l'effort de mémorisation / fixation ait déjà été bien commencé pendant le cours.

J'observe également que plus je diversifie les tâches à réaliser à la maison, à l'instar de ce qui se fait en classe, plus nombreux sont les élèves qui font leur travail, et souvent mieux c'est fait. Qu'il vaut mieux graduer les difficultés en ne privilégiant pas toujours les mêmes compétences (la maîtrise langagière, par exemple), et multiplier, raisonnablement, les tâches débouchant sur un " haut pouvoir refaire " : justifier une affirmation donnée en recopiant quelques phrases du texte bien choisies, rechercher des informations qui confirment un énoncé, les classer, exercices de substitution, transposition, imitation....

Je constate également qu'en insistant sur la mémorisation ( du lexique, des tournures idiomatiques, de phrases clés, de textes courts, ..., les plus faibles d'entre mes élèves arrivent à élargir leur potentiel d'expression et leur champ de compréhension.

Trop souvent encore, malgré tout, le travail n'est pas fait. Quelle solution envisager pour y remédier ? Je crois que là aussi il faut avant tout établir le diagnostic :

soit ils n'ont réellement pas su comment s'y prendre, et, après avoir vérifié que la faisabilité des tâches n'était pas en cause, je le fais avec eux ( surtout en début d'année) :

Il s'agit de leur montrer comment utiliser les éléments du cahier, l'appareil pédagogique du manuel, comment bien lire les conseils de réalisation, dans quel ordre procéder, qu'en ayant mémorisé ce qui été signalé, ils peuvent réaliser sans trop de douleur et avec un seuil minimum de réussite le travail demandé. Je m'efforce ensuite de leur démontrer que ce travail personnel s'il est fait, leur facilite l'approche de la leçon du jour,

soit ils n'ont pas voulu, pas eu envie de le faire.... Dans ce cas je m'aperçois de l'inefficacité croissante du zéro, de la croix ou de tout autre système comptable. Pour certains cela les laisse de marbre. Je m'efforce donc toujours de faire refaire, ne serait-ce que recopier si la correction a été faite, apprendre par cœur pour la séance suivante ( tout ou partie) et je les contrôle. A la fin quand même ils se lassent (cela prend plus ou moins de temps selon les cas !).

 

Pour terminer et bien qu'ayant la fâcheuse impression d'avoir enfoncé beaucoup de portes ouvertes et énoncé quelques banalités, je ne voudrais pas laisser accroire que je domine parfaitement tous ces problèmes. Loin de là. Beaucoup de mes réflexions précédentes en sont encore au stade expérimental et je continue à m'interroger sur la valeur de ces expérimentations.

Tout cela demande tellement de temps, d'énergie, de disponibilité et d'enthousiasme. De bonnes conditions de travail et une réflexion commune.