L'esprit critique à l'ère numérique, cogitons ensemble publié le 10/01/2023 - mis à jour le 27/01/2023
La lutte contre les désordres informationnels devient complexe à mener et plus que jamais nécessaire. La recherche en info-communication, en sociologie et en psychologie cognitive nous aide à définir des stratégies éducatives.
Les lumières à l’ère numérique : un état des connaissances, des recommandations
Lancée en septembre 2021, la commission « Les Lumières à l’ère Numérique », présidée par le spécialiste de sociologie cognitive Gérard Bronner regroupait 14 experts de spécialités différentes, historiens, politologues, juristes, journalistes, enseignants, sociologues, acteurs du monde universitaire ou de la société. Elle visait à comprendre les désordres informationnels à l’ère numérique et sur les perturbations de la vie démocratique qu’ils engendrent et à proposer des recommandations pour y faire face sans porter atteinte à la liberté d’expression.
Le rapport remis en janvier 2022 analyse notamment les mécanismes psychosociaux qui nous rendent perméables aux fausses informations. Il recommande de développer la formation à l’esprit critique, car la recherche montre que faire preuve d’un esprit analytique capable de résister à certaines de nos intuitions immédiates est une compétence centrale pour distinguer le vrai du faux, en particulier sur Internet et les réseaux sociaux.
Les mécanismes psycho sociaux
Causes :
La recherche montre que nous avons tendance à accepter les informations nouvelles qui nous sont soumises. Cette confiance nous permet d’apprendre.
La désinformation est probablement minoritaire dans l’ensemble des contenus d’actualités qui circulent sur les réseaux sociaux, mais leurs usagers sont plus susceptibles que les autres de se rendre sur des sites d’information non fiables.
Le biais partisan (l’envie d’y croire) n’est pas la principale raison pour laquelle il arrive aux individus de se fier à de fausses informations. La recherche montre surtout l’incapacité à les identifier comme fausses, notamment par manque d’éducation scientifique et/ou paresse intellectuelle (il serait fatiguant de questionner la validité de toute informations reçues). De plus les nombreuses sollicitations divertissantes font baisser le niveau de vigilance.
Nous sommes aussi souvent influencés par le biais de confirmation : les informations compatibles avec nos connaissances, ou qui les confortent, seront facilement acceptées, tandis que nous aurons tendance à rejeter celles qui les contredisent.
L’effet de répétition est également en cause : plus un contenu – qu’il soit vrai ou faux – est répété, plus il est cru. D’autant que nous mémorisons parfois le message en oubliant sa source. C’est pourquoi l’utilisation d’infox en pédagogie est à limiter : elle participe à l’exposition répétée d’un message erroné.
Les personnes affectées par un sentiment de stigmatisation ou de déclassement sont particulièrement à risque de céder aux théories du complot, qui leur offrent une grille de lecture du monde susceptible de conférer un sens à leur situation.
Conséquences :
Les comportements sont influencés par la désinformation : par exemple le fait d’être exposé à des thèses complotistes sur le réchauffement climatique réduit l’intention d’adopter des comportements en faveur de la transition écologique, favorise la défiance à l’égard des autorités et influence le vote. Certaines thèses complotistes sont fortement soupçonnées de participer à la radicalisation des esprits au sein de groupes extrémistes (islamistes ou d’extrême droite, par exemple).
Des algorithmes à maitriser
Le rapport étudie les logiques algorithmiques qui influencent nos croyances :
- l’éditorialisation algorithmique, qui désigne la manière dont les algorithmes organisent à la fois l’ordre et la fréquence d’apparition des informations selon leur capacité à capter l’attention ;
- le calibrage social, ou la façon dont les réseaux sociaux altèrent la perception de la représentativité et de la popularité de certains points de vue ;
- l’influence asymétrique qui invisibilise les modérés au profit des opinions extrêmes.
Il analyse l’économie des infox et démontre que la publicité programmatique constitue une source de revenus substantielle pour les artisans de la désinformation. Les entreprises financent sans le vouloir la propagation de contenus haineux, conspirationnistes ou susceptibles de troubler la paix publique.
La compétition stratégique qui mène à des opérations d’ingérences numériques étrangères est également observée.
L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui a remplacé le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel au 1er janvier 2022, a été chargée de veiller au respect par les plateformes de leurs obligations de retrait rapide de certains contenus, avec l’aide des citoyens.
Des connaissances à partager
Les auteurs recommandent
- que les connaissances en matière d’éducation aux médias et à l’information (EMI) et de pédagogie de l’esprit critique soient mieux diffusées, et permettent un continuum entre le temps scolaire, l’université, le monde culturel, le monde du travail et la société civile, pour la formation à la vigilance intellectuelle.
- une meilleure compréhension des difficultés cognitives expérimentées par les élèves pour mieux adapter les contenus pédagogiques.
- une meilleure cohérence entre les dispositifs : par exemple l’outil Pix aide à accompagner l’usage des réseaux sociaux et la connaissance des phénomènes de mésinformation et de désinformation, mais la certification ne permet pas une appréciation scientifique de l’efficacité des innovations pédagogiques proposées.
Les lumières à l'ère numérique (PDF de 3.7 Mo)
Un rapport de janvier 2022
sur les désordres informationnels
Un séminaire académique pour définir ensemble des stratégies pédagogiques
Cette année le rectorat de Poitiers organise un séminaire "L’esprit critique à l’ère numérique". Il s’agit d’identifier les enjeux et les problématiques liés à ce thème, d’envisager comment peut se faire l’éducation à la pensée critique et de partager des stratégies pédagogiques.
Des personnes exerçant différents métiers au sein de l’Éducation Nationale ou à l’université se forment et croisent leurs regards.
Trace de la journée du 8 décembre 2022 (diaporama modifiable, avec pages de commentaires).
Un compte-rendu détaillé sur le site de documentation.