Elaboration et articulation des plans de formation : le rôle du "passeur" publié le 03/05/2019  - mis à jour le 09/05/2019

Lien entre RECHERCHE - FORMATION - TERRAIN et le rôle des passeurs en éducation

formation

Préambule

L’utilité pratique d’une connaissance scientifique est difficile à anticiper (comme dans toutes les sciences), mais ce n’est surtout pas une raison pour que les ≪ questions de terrain ≫ orientent la recherche, pas plus que les résultats de recherche ne doivent ≪ guider les pratiques ≫.

Pratique et Recherche se nourrissent mutuellement dans leurs objets de questionnement, de réflexion, d’étude ou d’analyse.

Quelles disciplines pour lire le réel d’une situation de classe ?

D’après Olivier Rey, cellule Veille et Analyses de l’IFÉ, formation des « passeurs », 2018.

salle de classe ppointe de la gay

Les disciplines présentent ainsi à la fois une unité épistémologique (lois et principes, ontologie …), cognitive (méthodologies, pratiques, critères d’évaluation, …) et sociologique (dynamiques du système de publication, groupes au sein desquels les chercheurs se connaissent, se reconnaissent, se cooptent, ouverture sur la société civile). Kleinpeter, 2013.

  • Unité épistémologique = chaque discipline choisit ce qu’elle décide d’étudier et avec quel angle d’approche en assumant de ne pas tout traiter ou de laisser des angles morts
  • Unité cognitive = certaines disciplines privilégient des données primaires, d’autres des données secondaires, certaines l’enquête en milieu naturel, d’autres des expériences de laboratoire, certaines nécessitent des équipements et une gestion collective, d’autres sont plus individualistes.
  • Unité sociologique = chaque discipline entretient des rapports différents avec le système éducatif et les structures de la recherche universitaire, les EPST, ce qui influe sur les objets étudiés, les thématiques, la reconnaissance et les moyens.

Disciplines et champ éducatif : quelle articulation ?

Bien que les disciplines scientifiques sont organisées chacune en une unité cohérente, elles ne sont pas pour autant organisées en tuyaux d’orgue. La complexification des situations ou objets étudié.es poussent les chercheurs à collaborer afin d’aborder le sujet d’étude sous des angles différents et complémentaires.

Les disciplines scolaires issues des disciplines scientifiques sont quant à elles très fortement cloisonnées les unes les autres. Mais depuis la réécriture du nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture et la mise en place des enseignements pratiques interdisciplinaires, les enseignants sont très fortement invités à créer des passerelles, voire, à construire des objets communs d’apprentissage.

Le tableau ci-après montre les différentes modalités d’articulation des disciplines selon la finalité envisagée.

Typologie des disciplines scientifiques intervenant dans le champ de l’éducation

Pour poursuivre la réflexion, il est avant tout nécessaire de comprendre que les sciences de l’éducation ne sont pas constituées comme une discipline scientifique à part entière comme la sociologie, la chimie, l’histoire ou les mathématiques ... Mais elles sont diluées au sein des autres disciplines institutionnalisées qui leur permettent d’exister.

Ce qui signifie donc que les chercheurs en éducation sont intégrés à des laboratoires dont l’objet d’étude n’est pas forcément exclusivement dédié à l’éducation. D’où l’existence d’une multitude de disciplines, de spécialisations qui interviennent à différents niveaux pour lire le réel d’une situation d’apprentissage de manière multiscalaire.

Trois niveaux d’entrée co-existent :

  • Dans la classe
  • Autour de la classe
  • Autour de l’éducation

Le tableau ci-après issu de l’analyse d’Olivier Rey tente de mettre en cohérence les disciplines selon le niveau d’entrée.


Le rôle de "passeur"

Une fois cet état des lieux posé, il est possible de pouvoir commencer à réfléchir à la mise en place des plans de formation mais aussi de comprendre la difficulté de les construire.

Car selon l’objet de formation, cela implique nécessairement dans un premier temps de bien définir ce qui va être observé / étudié . Sinon, la formation pourra ne pas répondre à la demande du terrain.

Dans un second temps, les formateurs doivent pouvoir mobiliser les bonnes ressources / disciplines scientifiques afin d’articuler au mieux la demande du terrain avec la proposition effectuée.

Or, malgré les nombreuses recherches en éducation et résultats solides qui ont été confirmés, la recherche peine à toucher les enseignants dans leurs pratiques. Comme dit en préambule, la recherche n’a pas vocation à guider les pratiques. Mais la recherche apporte des clés de lecture selon les situations. Ensuite, c’est le praticien qui, en tant que professionnel, possède la capacité de faire des choix dans les apports reçus pour les mettre en pratique ou non.

C’est donc en cela que le rôle de chacun est important, notamment en éducation prioritaire où le rôle de passeur a tout son sens. En effet, si l’on met en parallèle le référentiel des compétences communes à tous les professeurs et personnels d’éducation et le référentiel de l’éducation prioritaire, il apparait qu’ils se répondent quant à la posture à avoir vis-à-vis de la recherche et de la formation.

Le document ci-après produit par le CAREP de l’académie de Poitiers tente de modéliser ces interactions et interdépendances.

Il apparait que pour les professeurs et personnels de l’éducation il est demandé d’actualiser leurs connaissances scientifiques mais aussi d’exprimer leurs besoins. Besoins qui sont transmis aux pilotes des réseaux d’éducation prioritaire qui, d’après le référentiel de 2014, doivent exprimer ces besoins dans les plans de formation dans leur diversité.
Car la spécificité de l’éducation prioritaire selon le référentiel n’est pas de répondre à une des six priorités, mais bien de répondre aux six priorités conjointement. Il s’agit là d’un enjeu majeur compte tenu du fait que tous ces éléments identifiés par le référentiel contribuent collectivement à la réussite des élèves.

Mais étant donné la complexité des situations des réseaux d’éducation prioritaire due à de multiples facteurs intrinsèques et extrinsèques, une personne seule ne peut porter la totalité de l’analyse des besoins. Le collectif est essentiel pour y parvenir.

Et c’est là que le rôle de passeur devient essentiel, voir vitale. Il est important que des personnels puissent relayer les demandes de terrain mais qu’également d’autres puissent proposer des réponses aux demandes légitimes du terrain.

Ce rôle peut être institutionnalisé par la fonction du personnel : formateur, conseiller pédagogique, principal, inspecteur, coordonnateur de réseau ... mais l’enseignant occupe également une fonction institutionnelle ; et il est invité à devenir également un acteur en tant que "passeur".

Le rôle de passeur peut se définir en amont d’une formation mais peut aussi se penser en aval d’une formation où le passeur va s’approprier des contenus et les transformer pour les rendre utilisables auprès des collègues de son environnement proche : l’essaimage.

Chacun porte donc à son niveau la responsabilité de la construction du plan de formation, et chacun à son niveau d’action peut avoir un rôle de passeur.

Faut-il toujours partir du terrain pour les objets de formation ?

Alors fort de ce constat, on pourrait croire qu’il serait nécessaire de toujours partir du terrain pour construire les plans de formation. Il s’agirait là d’une erreur fondamentale qui desservirait les acteurs de l’éducation.

En effet, si les formations ne se génèrent qu’à partir des demandes de terrain, à terme, on sera sur une « auto-centration » avec toujours les mêmes objets de formation. Sous cette forme, l’attrait des formations se déliterait progressivement jusqu’à remettre en cause leur propre légitimité.

Pour faire simple, l’identification et la construction des objets de formation s’opère par trois canaux dont chaque acteur possède un rôle de passeur :

  • Canal 1 = Les demandes des enseignants qui identifient leurs besoins,
  • Canal 2 = Les observations effectuées par les encadrants de terrain qui identifient les besoins : inspecteurs 1er et 2d degrés, chefs d’établissement, directeurs d’école, coordonnateurs, conseillers pédagogiques, formateurs, chargés de mission…,
  • Canal 3 = Les apports de la recherche identifiés ou sollicités par des cadres/formateurs qui estiment utile d’ouvrir la vision des acteurs de terrain. Cela demande de la part de ces personnels de demeurer à l’écoute de l’actualité de la recherche et d’établir des veilles scientifiques.

Il est indispensable de maintenir l’équilibre entre ces trois entrées. Car nulle n’est supérieure ni inférieure aux autres. C’est leur combinaison et le croisement des regards qui fera émerger une formation jugée pertinente.

L’articulation des plans de formation en éducation prioritaire au sein de l’académie de Poitiers

Le schéma suivant tente de montrer cette articulation multiscalaire avec les différents échelons de formation dans le but d’apporter une lecture plus cohérente des plans de formation afin que le stagiaire puisse avoir un outil de visualisation par rapport aux formations reçues.

Les séminaires académiques

Les séminaires académiques ne répondent pas directement aux situations particulières du terrain.

Ils ont vocation à venir en appui de la formation locale. Ils peuvent même être le point de départ d’une formation qui sera ensuite déclinée dans les échelons inférieurs.

La vocation des séminaires académiques est donc de susciter des démarches, des réflexions, d’apporter des outils, des concepts qui pourront ensuite être utilisés en local sur le terrain. Ils sont envisagés comme un appui au pilotage des réseaux d’éducation prioritaire et aux pratiques d’enseignement.

Les formations de proximité

Les échelons inférieurs sont orientés vers les formations de proximité. Ces formations ont pour vocation à venir en soutien aux pratiques des personnels.

Les objets abordés sont plus proches des problématiques de terrain :

  • Échanges de pratiques : intra-cycle, inter-cycle, inter-degré, disciplinaire / interdisciplinaire, construction / mutualisation d’outils
  • Renforcement pédagogique et/ou didactique

En guise de conclusion : le rapport sur la formation continue des enseignants du 2nd degré (IGEN-IGAENR - mars 2019)

L’articulation Recherche - Formation - Pratique demeure un enjeu fondamental pour outiller les acteurs de l’éducation prioritaire afin de répondre au référentiel dont l’objectif final est bien de mettre en réussite tous les élèves afin qu’ils puissent tous atteindre à minima le socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

Les deux inspections générales ont fait paraitre un rapport sur la formation continue des enseignants du 2nd degré publié en mars 2019. Comme le souligne les auteurs de ce rapport, les deux raisons d’être de la formation sont la réussite des élèves et l’épanouissement professionnel et personnel des enseignants avec pour finalités aussi de redorer l’image du métier et renouveler son attractivité.

rapport ig

Force est de constater, selon eux, que la formation « peine à répondre aussi bien aux ambitions de l’institution qu’aux attentes et besoins hétérogènes des enseignants » (p.10).

Dans ce rapport, les inspecteurs insistent sur le bien-fondé des actions de formation construites à partir des besoins exprimés par les enseignants. Ces derniers demandent à ce que les formations leur permettent/traient d’acquérir une posture de praticien réflexif c’est-à-dire d’être outillés pour analyser et critiquer de manière constructive leurs gestes professionnels dans une perspective d’amélioration de leurs enseignements.

Toujours selon le rapport, il existe des territoires et des professionnels (enseignants, formateurs, chercheurs, cadres institutionnels, opérateurs) qui ont exploré et implanté de nouvelles modalités de formation qui semblent, pour certaines, donner satisfaction.

  • Pour exemple, les formations d’initiative locale (FIL), qui partent de la volonté d’un collectif au sein de l’établissement.
  • Il en a va de même à l’échelle des Réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP+) dont certains sont passés d’une logique de proposition de formation à une logique de remontée de besoins exprimés dans les réseaux

Ainsi, il apparait que la co-construction des formations soit une modalité qui permette à chacun de s’impliquer, d’y contribuer et d’y trouver du sens pour s’accomplir professionnellement. Selon les préconisations des auteurs, la recherche, ses résultats validés au niveau international, mais aussi le changement de posture quelle induit chez les enseignants, doit irriguer l’ensemble de la formation.

Ainsi, pour des formations plus efficientes, il est indispensable de mobiliser les "passeurs" issus aussi bien du monde de la recherche que du monde de l’enseignement. Le collectif est ici primordial avec la mise en relation, voir en réseau, de ces "passeurs" .

Cette rencontre est nécessaire pour répondre aux enjeux actuels et maintenir le développement professionnel des personnels pour le bénéfice de tous les élèves.

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