trace d'écart (palindrome) publié le 02/07/2009  - mis à jour le 03/07/2009

L'intervention de Bernard Decourchelle ARt'RESEAU 2009

Pages : 123

TRACE D’ECART

Ce sont les moments et les conditions de ces écarts dont j’aimerai parler un peu …

De mon intimité avec le milieu de la création artistique, j’aimerai bien d’abord en tirer ce qui fera apparaître en germe chez l’élève, des attitudes plus que des productions -œuvres- preuves savamment accomplies.

  • Par exemple : acquérir une capacité d’autonomie, c’est-à-dire se fixer à soi-même ses propres règles de recherche, d’en connaître les limites, leur souplesse et leurs conditions de déplacement, et d’évaluer aussi les contraintes de l’environnement de son travail.
  • Insister sur le phénomène d’abstraction : non pas tant comme modèle esthétique et historique, mais comme processus mental, comme démarche..
    • Faut-il que « ça » représente, pour que cela « me » dise ?
      Car la démarche d’abstraction formelle en Arts Plastiques appelle aussi une autre acception de l’autonomie = celle de se dégager de la mimésis obligatoire, de la communication transparente et univoque de ses représentations.
    • Donc admettre l’écart par rapport aux formes et représentations attendues.
    • Donc aborder l’acte gratuit, c’est à dire sans autre but que d’affirmer l’objet artistique pour lui-même, pour sa charge de plaisir ou de désir, et les règles internes qui l’ont fondé.
      Pas plus d’enjeux par rapport au réel dans une recherche artistique que dans un jonglage de cirque ou dans la composition d’une mélodie ou le pacifique combatd’une partie d’échec … mais qui n’existent que parce que l’on se donne des règles, des nécessités internes…
      Pas d’autres enjeux que le jeu lui-même.
  • Apprendre à copier sur son voisin !
    (pour faire sa propre image …)

Ainsi développer les qualités de négociation entre complicité et rivalité, copie et originalité (avec quel écart la copie devient-elle (l’) originale ? ..), faire avec et contre.
On pensera facilement à Picasso et Braque , Monet et Renoir au coude à coude devant la même guinguette de la Grenouillère, au même thème se répliquant de Purcell à Lully via Bach ou Vivaldi, ou à ces chefs cuisiniers se volant leurs secrets en les dégustant ensemble autour de la même table.

  • Démythifier -par la pratique toujours- la réussite au premier coup : « le tableau de maître », comme on dirait un coup-de-maître en escrime : unique, fatal, définitif, sans hésitation préalable.
    • Donc gérer la recherche artistique comme un travail brouillonnant-bouillonnant et non- tendu vers une image modèle idéale unique.
      Souvent je fais remarquer à mes élèves
      « Si Picasso avait jeté ses études comme vous vos brouillons de maths ! ... » ...
    • Donc : brouiller la distinction entre recherches et œuvre.
    • Afficher la pluralité et la validité des recherches -solutions à un même problème s’oppose à l’attente dominante de type arithmétique qu’ils ont en tête :
      une question = une seule réponse exacte.
      ...unique et exacte...
  • L’attitude heuristique. (c’est à dire les attitudes adaptées face aux situations de recherche.)
    • Admettre la « sérendipité » - à savoir : trouver ce que l’on ne cherchait pas quand on ne trouvait pas ce que l’on cherchait.
    • On peut avoir pensé un projet et ensuite chercher les bons moyens de le réaliser, mais on peut accepter de donner -redonner- du sens à postériori : à ce qui nous a échappé ou à un hasard, rebaptiser le résultat à l’issue de ce moment de réflexion rétrospective dont je parlai plus haut.

Cette fameuse part d’inconnu-révélé, la singularité d’une production qui se construit, pose aussi le problème du « nouveau » en art. Le nouveau est-il une condition de la création artistique ? Je n’ouvre pas ici la question générale.
En tous cas, au niveau de notre enseignement, il est souhaitable de pointer ce en quoi toute production même la plus simpliste ou stéréotypée, propose l’émergence de nouveau, de surprenant ou de singulier, à l’échelle de l’élève lui-même dans son parcours -à l’échelle de son entourage ou de la classe- et peut-être un jour, plus tard, au niveau de l’art …..

Là aussi -à la propre échelle de l’élève il faut lui montrer la trace d’un écart entre la forme attendue et la forme adoptée.

  • Pour finir … une envie … un espoir =
    Que tous ces points de contacts entre l’élève, ses pratiques, et des démarches artistiques, dépassent le domaine des arts plastiques et que tout ce qui a pu se construire dans nos cours et ateliers puisse avoir une résonance dans les autres domaines de l’imaginaire et de la vie citoyenne.
    • Se donner des libertés, dans un respect social, mais sans avoir à en rendre compte.
    • Admettre par-là la part de liberté des autres face à l’incompréhensible de leur expression.
    • Savoir se situer devant cet incompréhensible. Combien de fois notre inculture n’a-t-elle pas relégué l’Étrangeté de l’autre dans l’injure ou l’excuse de la Folie...
    • Admettre ou refuser les formes nouvelles mais pas sans questionnement critique sur le réel des choses : oui au « j’aime-j’aime pas » mais comme conclusion d’un jugement construit et où « je » n’est pas épargné …

 En bref, pour notre élève : être capable d’inventer ….de « s’inventer » lui-même.

 Et aussi, tant que j’y pense, capable de poser la question :

Dans le patinage, où est l’artistique ?
Pourquoi y-a-t-il un flou mais pas de netteté artistique ?

Écrit dans un état de conscience modifiée par les lectures de Danto, Kandinsky , Mondrian , Didier Anzieu , Joelle Gontier …

Bernard Decourchelle - ARt’RESEAU 2009 (PDF de 28.5 ko)

Intervention orale - Table Ronde N°1
4 juin 2009 – TAP de Poitiers.