Rencontre des étudiant.es de la CPES-CAAP avec Fati Khademi au centre Intermondes publié le 07/10/2022
Le jeudi 8 septembre, nous sommes allés à la rencontre de l’artiste Fati Khademi à l’occasion de son exposition « I am not there, but I am there » au Centre Intermondes. Fati est une jeune femme d’origine Afghane et plus précisément faisant partie de ethnie Hazara. Sa famille a dû fuir l’Afghanistan quand elle était très jeune. Ils ont ensuite vécu au Pakistan puis dans plusieurs autres pays en tant que réfugiés. Il y a 1 an, avec le retour des Talibans au pouvoir, elle a été contrainte de fuir cette région de l’Asie pour danger de mort, Fati s’est donc réfugiée en France.
Son exposition I am not there, but I am there a vu le jour pendant sa résidence au Centre Intermondes de 2 mois. Elle va maintenant poursuivre ses études à La Sorbonne après avoir fini son master à l’école européenne supérieure d’art de Bretagne à Lorient.
Le thème de l’exposition tourne autour de son vécu de la guerre et des injustices qu’elle a pu subir en tant que Hazara et femme. Elle cherche à illustrer les différents problèmes sociaux, politiques et économiques de l’Afghanistan mais aussi du Pakistan où elle a passé la plupart de son enfance et ses études. Les titres de ses œuvres sont pour la plupart des phrases qu’elle a pu lire sur des pare-brises de taxi à Kaboul s’inspirant de la poésie traditionnelle. C’est en lisant ces phrases qu’elle a eu des images en tête faisant naître ses tableaux et installations. L’artiste s’inspire de l’espoir du peuple Afghan et Hazara qui reste imperturbable même après toutes ces années de conflits. En effet, la communauté Hazara est celle qui est le plus touchée par les attaques des talibans mais ils subissent aussi des discriminations dans la vie de tous les jours. Fati nous dit qu’une des premières choses que l’on demande aux candidats lors d’un entretien d’embauche, est s’ils sont Hazara.
Le thème du voyage revient énormément dans son exposition à cause de tous ces mouvements dans sa vie, c’est pour cela que l’on peut voir plusieurs cartes apparaître dans ses œuvres, des valises ou encore des voitures.
L’œuvre centrale de son exposition, Untitled, est une installation composée de pare-brises récupérés puis découpés et placés de façon à former une voiture. Elle y projette ensuite plusieurs vidéos avec leurs sons entremêlés, montrant des scènes de combats en Afghanistan comme des hélicoptères, bombardements, mais aussi des jeux avec des cerfs-volants, des images des rues de Kaboul son trafic, ses taxis…
Fati Khademi, Ah to the country that the defendant is the legislator , ensemble de peintures sur toile, à droite, Untitled, peinture sur toile, 2022
Ses peintures ont chacune un message fort, par exemple « Ah to the country that the defendant is the legislator » qui est une série de 4 peintures représentants des politiciens sur fond jaune à chaque fois. Sur un des tableaux on peut y voir des chaussures qui reviennent assez régulièrement dans les œuvres de l’artiste. Fati Khademi nous expliquait que les chaussures sont un symbole qui lui est venu facilement car elles étaient présentes partout, que ce soit laissées par les personnes fuyant les attaques, après les attentats dans la rue ou plus simplement rangées à l’entrée des mosquées où elle devinait le statut social de leurs propriétaires en observant leur modèle ou leur état.
Les deux autres tableaux représentent des hommes politiques dénués de visages. Il n’y a que l’habit conforme pour tous, qui ressort. De manière générale, les peintures de Fati Khademi sont toujours très simples par les couleurs, les formes ou les représentations. Il y a beaucoup d’aplats de couleurs ou des motifs répétés.
Dans le dernier tableau, on voit deux membres du parlement qui se cachent derrière deux cartons, un rouge et un vert, en se serrant la main. Ces cartes sont utilisées au parlement afghan pour voter pour ou contre une proposition de loi. L’artiste nous a donc expliqué que c’est sa façon de démontrer la corruption au plus haut niveau. La situation est très tendue, les politiques n’ont qu’à payer pour avoir une place au parlement.
Mapping the restlessness est un tableau où l’on peut voir des fourmis reliées par des traits et disposées de manière à former une carte. Cela représente son expérience en tant qu’immigrée puisqu’elle a été déplacée à de nombreuses reprises et pas toujours dans de bonnes conditions. C’est une expérience que vivent les migrants collectivement. Dans son travail, Fati Khademi s’inspire beaucoup de son enfance, ici elle a choisi des fourmis car elle jouait avec en tant qu’enfant. Son enfance a été marquante notamment par le fait qu’elle a dû travailler très jeune, notamment en tissant des tapis.
D’ailleurs, la pièce Leaving is longing qui est un sac de voyage qui appartenait à son père dont elle a hérité et qui est la seule chose qu’elle a pu ramener d’Afghanistan, fait directement référence à ces tapis.. L’artiste y a brodé des motifs explicites d’éléments de la guerre comme des avions, des bombes et des explosions.
Cette rencontre avec Fati Khademi a été un moment très enrichissant. Elle nous a ouvert l’esprit sur des sujets comme les conflits dans le monde et les injustices sociales. Nous avons pu nous rendre compte de la situation inquiétante de cette région du monde grâce à cette opportunité de pouvoir écouter un témoignage aussi poignant. L’exposition était fascinante par sa manière légère, symbolique et parfois humoristique de traiter des sujets très complexes.
Compte-rendu Réalisé par Manon Ameline et Willow Shaw étudiantes en CPES-CAAP