Sarah Cohen-Scali se souvient : "Août 61" publié le 17/10/2019 - mis à jour le 18/10/2019
- Sarah Cohen-Scali a choisi le scénario suivant : Ben, un octogénaire atteint de la maladie d’Alzheimer (rebaptisée ici avec humour Al) ne reconnaît plus ses proches. Il va donc essayer laborieusement de recoller les morceaux du puzzle de son existence. Plusieurs voix (qui incarnent la mémoire du passé) se manifestent en lui :
- il y a d’abord (première partie) celle de Beniek, l’adolescent polonais, qui a fait le choix, à la libération, d’émigrer en Angleterre et d’adopter un prénom anglais pour mieux s’intégrer et se débarrasser "d’un vieux vêtement en loques associé à la guerre et à ses souffrances" (p.45).
C’est là qu’on découvre l’existence de Tuva, son amour d’enfance, rencontrée à la fin de la guerre dans un camp bavarois où orphelins juifs et enfants du Lebensborn attendaient un avenir. - Ben junior raconte ensuite (deuxième partie) ses premiers pas dans l’Angleterre des années 50. Il prend alors conscience que les gens manifestent "une sorte d’indifférence indulgente envers l’Holocauste. (...) Alors que nous autres, les Boys et tous les orphelins qui, depuis l’Allemagne, avaient été dispersés dans le monde entier, nous voyions des visages, ceux de nos pères, nos mères, nos frères et sœurs, ceux des oncles, tantes, cousins, voisins, camarades d’école. Morts." (p.118)
Sa décision est prise : il scellera à jamais ses lèvres, il ne parlera plus de son passé. A 22 ans, il entend reparler de Tuva qui a connu des jours moins heureux que lui en Norvège. Il s’exile alors en France. - la troisième partie est de loin la plus intéressante pour nous. Beni se rend en effet en août 1961 à Berlin sur les traces de Tuva. Ce voyage, il ne le fait pas de gaieté de coeur. Il associe toujours l’Allemagne à un "décor de film d’horreur" (p.168).
C’est alors que débute pour notre plus grand plaisir un reportage de terrain où l’on vit en direct et au plus près de l’action la construction du Mur de Berlin. Et cette fiction historique nous paraît tout d’un coup tellement réaliste. Tandis que la grande Histoire s’emballe, Tuva et Beni, à peine réunis, affichent des idéaux contraires : Tuva entend rester dans ce pays antifasciste qui l’a accueillie les bras ouverts alors que Beni retourne définitivement à l’Ouest. - Dans la dernière partie, c’est Tuva qui prend le relais de la narration. Elle nous décrit sa nouvelle vie en RDA avec sa fille et son mari. Euphorique au début, on la voit au fil des mois et des années, allant de revers en déceptions, sombrer dans un désenchantement progressif.
- il y a d’abord (première partie) celle de Beniek, l’adolescent polonais, qui a fait le choix, à la libération, d’émigrer en Angleterre et d’adopter un prénom anglais pour mieux s’intégrer et se débarrasser "d’un vieux vêtement en loques associé à la guerre et à ses souffrances" (p.45).
- Ce livre s’adresse aux très bons lecteurs (lycéens) car il nécessite vraiment un temps d’adaptation. La situation d’énonciation n’est en effet pas simple à saisir. Une fois ce cap franchi, le lecteur n’a de cesse de découvrir le fin mot de l’histoire.
Sarah Cohen-Scali nous livre un très beau roman, très documenté et vraiment tout en finesse. Encore une fois, elle joue un rôle décisif dans la transmission de la grande Histoire. Elle est incontestablement, à sa manière, un passeur de mémoire.
Août 61, Sarah Cohen-Scali, Albin Michel litt’, 2019, ISBN 9782226445445, 19 euros
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Extrait du roman "Août 61" de Sarah Cohen-Scali