"Collaboration" : un pacte méphistophélien entre Hollywood et Hitler publié le 29/05/2015

 Vous en avez sûrement entendu parler au moment de sa sortie en France, fin 2014. L’ouvrage de Ben Urwand a en effet fait couler beaucoup d’encre et a suscité pléthore de commentaires de la part des historiens. Car il a beau s’agir d’un ouvrage très fouillé et extraordinairement documenté, ce livre n’en demeure pas moins un brûlot extrêmement polémique. Le jeune chercheur américain Ben Urwand jette en effet un pavé dans la mare en faisant des révélations fracassantes qui écornent irrémédiablement le mythe hollywoodien.

 Hollywood s’est toujours prévalu de ne pas avoir collaboré avec le régime hitlérien. Or l’étude de Ben Urwand, qui se veut l’aboutissement de dix années de recherches dans les archives américaines et allemandes, révèle preuves à l’appui qu’il n’en a jamais été ainsi entre 1933 et 1940. Hollywood et ses majors ont succombé aux sirènes de l’argent et à l’appât du gain. Sa thèse : la MGM (Métro Goldwyn Mayer), Universal, Paramount, la Fox et la Warner ont toutes cédé aux exigences de Berlin afin de préserver leurs intérêts économiques en Allemagne, l’un des principaux marchés européens. L’auteur n’hésite pas à intituler le deuxième chapitre : "Hollywood : le bras de Hitler s’étend jusqu’aux studios" (p.81). Il ne faut pas perdre de vue que "les films hollywoodiens des années 1930 (comme Le Magicien d’Oz, Autant en emporte le vent, Mr. Smith au Sénat, New York-Miami) étaient extrêmement populaires sous le régime nazi. Chaque année, jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, entre vingt et soixante nouveaux titres américains furent projetés sur les écrans en Allemagne, et ils influencèrent tous les aspects de la culture nationale." (p.17)


 Dans cet essai, vous en apprendrez davantage sur :
— la fascination pour ne pas dire l’obsession de Hitler pour le cinéma. Il avait en effet très tôt compris à quel point les films pouvaient influencer l’opinion publique. "Il était également séduit par le pouvoir mystérieux, presque magique, du spetième art, comparable à ses talents d’orateur. Eprouvant pour le cinéma un mélange de crainte et de respect, il se laissait aller et acceptait de devenir un spectateur ordinaire. S’arrêtant subitement de parler, Hitler laissait les images défiler devant lui, et parfois il était même fasciné par leur puissance." (p.30)
Il avait pour habitude de classer les films qu’il regardait tous les soirs en 3 catégories : "bon" (Laurel et Hardy au Far West), "mauvais" (Tarzan), "interrompu" (La Huitième Femme de Barbe-Bleue). Il avait en outre une passion pour l’actrice Greta Garbo.
— le scandale provoqué par la sortie du film américain "A l’Ouest rien de nouveau" (produit par Universal Pictures) en Allemagne (à partir de la page 42). Hitler considérait ce film comme un film extrêmement dangereux car il dépeignait la guerre comme un enfer. Il "présentait une interprétation de la guerre que Hitler méprisait, et ce film était bien plus convaincant que n’importe lequel de ses discours." (p.49). Ce film ne tarda pas à être interdit car il nuisait à l’image de l’Allemagne (p.57). Prêt à tout pour que le film continue à être projeté en Allemagne, Carl Laemmle, le président d’Universal Pictures, accepta de procéder à huit coupes, et non des moindres (détaillées p.63/64).
— le système des quotas sur les films mis en place par la loi de 1932 et en particulier l’article 15 qui allait être un moyen très efficace de réguler l’industrie cinématographique américaine : "L’attribution de visas d’exploitation peut être refusée à des films dont les producteurs, en dépit des avertissements émis par les autorités allemandes compétentes, continueront à distribuer sur le marché mondial des oeuvres dont la tendance, ou l’effet, est préjudiciable au prestige de l’Allemagne." (p.86). Dans la foulée, un diplomate allemand, Georg Gyssling, s’installa à Los Angeles pour travailler directement avec les studios sur tous les films ayant trait à l’Allemagne, une nouvelle forme de collaboration en somme. (p.101)
— l’origine juive des fondateurs des studios de Hollywood et le licenciement des salariés juifs de l’Ufa (p.114 et suivantes).
— les tractations menées en coulisse aux USA pour empêcher la production de films hostiles au régime nazi (comme le film "The Mad Dog of Europe" p.134/135). Le rôle de Louis B. Mayer est particulièrement pointé du doigt.
— la représentation des Juifs dans le cinéma de l’époque ("La Maison des Rothschild", production américaine / "Le Juif errant", production allemande) (p.142 et suivantes).
— les films antinazis ("Le Dictateur" de Chaplin ; "Les aveux d’un espion nazi" de Breen) à partir de 1939 (p.359 et suivantes) et leur accueil en Allemagne. La déclaration de DeMille à ce sujet fait froid dans le dos : "Maintenant que tous nos espoirs de profit se sont envolés, nous pouvons enfin exprimer notre indignation et élever notre voix, pour protester, sans éprouver le moindre regret dans le domaine financier." (p.374)


 Une enquête édifiante donc, qui aurait gagné par moments à ne pas trop s’attarder sur certains détails. On ressort de cette lecture avec un regard neuf et critique sur les productions cinématographiques de cette période.
A lire sans modération !

Collaboration, Le pacte entre Hollywood et Hitler, Ben Urwand, bayard 2014, ISBN 978-2-227-48739, 26 euros