"Swing à Berlin" ou l'odyssée d'un big band aryen publié le 05/06/2014

une fiction historique passionnante signée Christophe Lambert

Swing à Berlin, Christophe Lambert, bayard jeunesse, 2012, ISBN 978-2-7470-4327-4, 12,50 euros

"Swing à Berlin" en quelques mots clés

Résumé du roman

 La citation placée en exergue du roman éclaire les déboires connus sous le III Reich par toutes les formes d’art dites "dégénérées" car non conformes à l’idéologie en vigueur : "L’art est une mission qui oblige au fanatisme" proclamait le Führer.
En vertu de ce principe, la musique, objet de manipulation par excellence et puissant vecteur d’idéologies, ne tarda pas à être "mise au pas". Et le jazz n’y échappa pas. Rencontrant un succès grandissant auprès du peuple allemand, le jazz, style musical qui fait ouvertement référence aux noirs américains, incarnait une réelle menace pour le régime hitlérien car il remettait en question la suprématie de la race aryenne. Rangé parmi les arts dégénérés et rebaptisé "musique de danse fortement rythmée" par le ministre de la Propagande Goebbels, le jazz faisait peur aux dirigeants nazis. Pour parer au plus pressé et endiguer au plus vite la propagation de ce fléau, Goebbels ordonna en 1939 (en 1942 dans le roman) la création d’un groupe de swing nazi devant porter haut les couleurs du Reich.

 C’est au brillant pianiste retraité William Dussander (personnage fictif) qu’incombe la lourde tâche de sillonner l’Allemagne pour recruter les jeunes musiciens qui fortifieront le moral du peuple allemand et dispenseront la bonne humeur sur les ondes nationales.
William Dussander, qui a séjourné aux USA de 1921 à 1929 et dirigé la classe de jazz du conservatoire de Francfort sur le Main jusqu’à sa fermeture en 1933, doit surtout sa célébrité au groupe des "Musician Harmonists" (référence évidente aux "Comedian Harmonists") que les nazis ont dissous en 1936 en raison de la présence de 3 musiciens juifs. Il prétend être un artiste libre (p.105), se tenant à l’écart de la politique (il n’est pas encarté au parti nazi). Cependant, il a bien conscience de la duplicité de son rôle : "Dans son rêve, il se voyait sous les traits du joueur de flûte de Hamelin, ce personnage d’un conte des frères Grimm. A l’image des rats de cette fable, des dizaines de garçons attirés par la musique suivaient Dussander dans la campagne allemande, en une longue et joyeuse file. (...) Dussander entraînait les adolescents dans une grotte d’aspect effrayant, son entrée ornée de stalagmites et de stalactites lui donnant l’apparence d’une mâchoire de pierre. La grotte avalait les jeunes gens, puis les ténèbres se refermaient sur eux. (...) Il allait mettre son art au service d’un régime qu’il détestait. Ces hommes, les nazis, représentaient tout ce qu’il avait en horreur : intolérance, haine, étroitesse d’esprit ... et il allait leur servir la soupe ! Mais quel choix avait-il ? Il se sentait fatigué et vieux. De toute façon, même dans sa jeunesse, il n’avait jamais eu le courage de ceux qui, le moment venu, prennent les armes pour défendre la liberté. "Et le courage moral de ceux qui résistent avec leurs écrits, leurs idées ?" Mais se dresser ouvertement face au système s’apparentait davantage à du suicide qu’à du courage." (p.68)

 Bon gré mal gré, Dussander obéit. Pendant les auditions, il doit rendre compte de chacune de ses décisions à Dietrich Müller, homme de confiance de Goebbels. Sa mission s’avère difficile car il déplore le manque de sensibilité des candidats. De par leur éducation musicale, ces derniers sont en effet plus versés dans la musique de Wagner que Dussander assimile à de la musique de fanfare (p.84).
Au bout du compte, Dussander finit par trouver quatre jeunes garçons (Ruppert, Max, Hermann et Thomas) aux parcours très différents et aux convictions politiques contradictoires. Le roman devient alors un "Bildungsroman", roman de formation. Chacun, à son rythme, trace son chemin, qui l’amène à accepter l’autre, à vaincre la peur et à prendre conscience de l’abomination du régime nazi. Dussander s’impose en mentor du groupe et incarne la figure paternelle qui essaie d’apaiser les conflits et de rapprocher les individualités. Il parvient au fil du temps à resserrer les liens entre les adolescents et à créer un véritable groupe baptisé "Die goldenen Vier".

 La dernière partie du livre est remarquable : de rebondissement en rebondissement, le lecteur assiste au triomphe éphémère du quatuor. Dussander, l’artiste taraudé par sa mauvaise conscience, lancera un appel à la résistance qui sera magistralement entendu. L’ultime scène du roman a tout pour plaire : elle rend un vibrant hommage au film "Le Chanteur de jazz".

Pour aller plus loin

— Films à voir ou à revoir :
 Le Chanteur de jazz (film américain d’Alan Crosland, 1927)
 Comedian Harmonists (film de Joseph Vilsmaier, 1997)
 Sophie Scholl, die letzten Tage (film de Marc Rothemund, 2005)

— Musiques à écouter ou réécouter :
 Bessie Smith, l’impératrice du blues (p.86)
 Count Basie et Duke Ellington pour les années 1930 (p.99)
 Stéphane Grappelli, Louis Vola, Joseph et Django Reinhardt pour le jazz européen (p.120)
 les compositions de Wagner, Bach, Beethoven, Bruckner portées aux nues par le régime nazi

— Livres à lire ou à relire :
 "Seul dans Berlin" ("Jeder stirbt für sich allein") de Hans Fallada, 1947. Christophe Lambert encense l’ouvrage de Fallada qui l’a inspiré pour la fin de son roman. Il parle d’un roman "fabuleux et extraordinaire", "peut-être le meilleur roman jamais écrit sur la vie sous une dictature".
 "La Rose blanche, 6 Allemands contre le nazisme" ("Die Weisse Rose") de Inge Scholl ainsi que les tracts auxquels il est fait allusion p.200
 "Sauver Mozart" de Raphael Jerusalmy, 2012. L’auteur se fait l’écho d’un attentat musical commis en 1939 (un premier roman subversif et réjouissant)
 "Le maître de piano" de Maurice F. Dahlberg (2000), ouvrage de littérature jeunesse conseillé à partir de 12 ans. Ce très bel ouvrage relate une histoire d’amitié entre une jeune pianiste et son maître de piano à Vienne en 1938 sur fond de nazisme.

— Sitographie
Lire la contribution "Le nazisme et la musique dégénérée" publiée sur le site d’Esprits nomades

Quelle exploitation pédagogique ?

 "Swing à Berlin" est, à bien des égards, un ouvrage riche qui a toute sa place dans nos CDI (collège et lycée) . Son plus grand mérite est d’être à la croisée de plusieurs thématiques : non seulement il met en lumière la mission assignée aux arts sous le régime nazi (et illustre plus spécifiquement le cas du jazz), mais il se focalise aussi sur les mouvements de résistance (des étudiants et des artistes).

 On peut très bien imaginer que la couverture de la brochure de l’exposition "Entartete Musik" (Musique dégénérée) de 1938 fasse dans un premier temps l’objet d’un travail transversal en histoire des arts (musique, histoire et allemand) .

Couverture de la brochure "Entartete Musik" (1938)

 Le professeur d’allemand, en 3ème et en 2de, peut très bien travailler dans un second temps à partir de la couverture du livre français et inscrire ce travail dans une unité combinant le vivre ensemble (sentiment d’appartenance) à travers la musique et la mémoire (je pense par exemple à un prolongement possible de l’unité 1 "Musik, Musik, Musik !" du manuel "Perspektiven 2de" publié chez Nathan). A ma connaissance, ce livre d’un auteur français n’a pas (encore) été traduit en allemand ce qui rend impossible l’exploitation d’une autre version.

Couverture du livre "Swing à Berlin"

Une couverture intéressante qui peut donner lieu à un travail de description et d’anticipation sur l’histoire

La couverture de l’édition française se prête parfaitement à une exploitation tronquée. Le professeur dévoile l’image petit à petit, de bas en haut :
1- les élèves pourront décrire oralement les 4 musiciens (instruments, tenue). Le professeur attirera leur attention sur l’importance du code des couleurs (Schwarz, Rot, Gold) et essaiera de faire ressortir le style de musique associé à ces 4 instruments.
2- le professeur s’arrêtera ensuite sur la deuxième partie du titre (à Berlin) et fera formuler l’information.
3- enfin, le professeur montrera le haut du livre et se concentrera sur le symbole du IIIe Reich et sur la définition du "swing".
A partir de tous ces éléments, les élèves seront en mesure de présenter le cadre général du livre. Si les élèves ont besoin d’un indice sonore pour vérifier leurs hypothèses, il serait judicieux de leur faire écouter un extrait de jazz (pourquoi pas Django Reinhardt). Pour vérifier l’intégralité de leurs hypothèses et pour leur donner envie de lire l’ouvrage, le professeur pourra lire à haute voix la quatrième de couverture.

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Auteur

 Sèverine GRILLET

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