"Prague fatale" : une tranche de l'Histoire allemande revisitée par Philip Kerr publié le 17/03/2014

 Philip Kerr est devenu, depuis la parution du premier tome de la série des enquêtes de "Bernie Gunther" en 1989 ("L’été de cristal"), l’un des spécialistes de la période nazie en littérature. Il est à la Seconde Guerre mondiale ce que John Le Carré fut à la Guerre froide : un chroniqueur hors pair, qui parvient à mêler fiction et faits historiques avérés.

 Dans son nouveau polar historique "Prague fatale", il brosse tout d’abord un tableau très documenté de la vie quotidienne à Berlin sous Hitler, début 1942. L’antinazi Bernie Gunther, capitaine dans le service du renseignement SS, revient tout juste du front de l’Est où il a été témoin du massacre des juifs d’Ukraine. Traumatisé, nourrissant des idées de suicide, il découvre une ville paralysée par le rationnement et dominée par le marché noir. Chargé d’enquêter sur le tueur d’un travailleur étranger alors que la Gestapo traque le dernier des Trois Rois, le commissaire tombe au fil de ses investigations sous le charme d’une serveuse de cabaret, Arianne, et devient sa maîtresse. Les pistes des deux enquêtes s’entremêlent assez vite. "Les Trois Rois sont trois nationalistes et officiers de l’armée tchèque vaincue, ayant perpétré une série d’actions terroristes à Prague (...). Eh bien, ayant orchestré là-bas une campagne de sabotage, ils ont décidé d’exporter leur guerre ici, dans les rues de Berlin. (...) Ils ont posé une bombe au ministère de l’Air en septembre 1939. Plus une autre à l’entrée de l’Alex. (...) Puis il y a eu l’attentat contre Himmler à la gare d’Anhalt en février de cette année." (p.68)

 Sommé de se rendre à Prague dans la maison de campagne du général Reinhard Heydrich (qui vient juste d’être nommé Protecteur de Bohême-Moravie en lieu et place de von Neurath), il emmène sa nouvelle conquête avec lui. "(...) C’était un endroit où Heydrich pouvait échapper plus facilement aux soucis du monde, y compris ceux qu’il avait lui-même infligés ou qu’il gardait en réserve. A Jungfern-Breschan, il lui était possible d’oublier tout le reste, pour autant que la présence de plusieurs centaines de SS chargés de veiller sur sa vie privée ne l’incommodât pas." (p.139/140). Heydrich, surnommé le "Bourreau", sollicite les services de Bernie Gunther le temps d’un week-end (p.119) alors qu’il entend fêter en présence de nombreuses personnalités du Reich et de ses 4 assistants sa promotion. Heydrich est convaincu d’une chose : quelqu’un essaie de le tuer (p.153). Mais ce n’est pas lui qui est la première victime, il s’agit du capitaine Küttner, l’un de ses aides de camp retrouvé mort dans sa chambre mystérieusement verrouillée de l’intérieur. Gunther va donc devoir interroger un à un les amis de Heydrich, les hauts dignitaires du Reich présents sur place, pour élucider ce meurtre maquillé en suicide.

 Travaillant à démanteler le réseau de résistance tchèque et à capturer Moravek, le troisième des Trois Rois, Heydrich n’a de cesse de découvrir l’identité de l’espion allemand qui transmet aux Tchèques des informations ultra-confidentielles concernant la politique du Reich (p.245).
Fidèle à sa réputation, le commissaire Bernie Gunther s’acquittera trop bien de sa mission et aura maille à partir avec l’artisan de la "solution finale".

Bref, une intrigue complexe à la Agatha Christie, à la fois ingénieuse et palpitante !

Prague fatale, Philip Kerr, Editions du Masque, 2014, ISBN 978-2-7024-3848-0, 22 euros