Histoire, mémoire, commémorations publié le 24/10/2007  - mis à jour le 05/04/2008

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Histoire et mémoire
 Jean-Pierre Rioux, inspecteur général de l’Éducation nationale
 Annette Wievorka, directrice de recherche au CNRS

 Actes du colloque - Apprendre l’histoire et la géographie à l’école
 Direction générale de l’Enseignement scolaire - Publié le 01 juin 2004
© Ministère de l’Éducation nationale

L’ancienne confrontation entre "histoire" et "mémoire", naguère dominée par l’opposition entre Lavisse et Péguy, a resurgi dans le débat historiographique et civique depuis vingt ans. La mémoire est devenue un objet d’histoire ; il n’appartient donc pas à l’Assemblée nationale de décider si le massacre des Arméniens est un génocide. Cette tâche incombe aux historiens. Il existe donc un devoir d’histoire qui respecte les règles du métier d’historien et qui se distingue du devoir de mémoire. La présence de cette mémoire à des effets induits en classe, elle fait partie de nos sociétés, c’est un fait d’histoire, un fait réel mais elle soulève aussi la question des commémorations. N’y a t-il pas danger à multiplier les commémorations ?
Histoire et mémoire

Comme le précise Krzysztof Pomian 1 , "le droit à l’histoire est en train de devenir dans nos sociétés démocratiques l’un des droits du citoyen. Cela se voit surtout, pour des raisons évidentes, dans l’histoire du temps présent ".

En effet, on constate un temps de remémorations massives, largement médiatisées, issues de pressions diverses, qui ne favorisent pas le travail de deuil, dévalorisent l’oubli et le pardon, contribuent à l’inverse à la promotion de communautarismes "identitaires", sociaux ou géographiques, dont l’affirmation et la promotion mémorielles peuvent contribuer à distendre le lien social. Ces commémorations à répétition, ce "devoir de mémoire" vont donc à l’encontre du but recherché, que nous croyions si utile naguère d’exposer en classe. Sur ce sujet, Paul Ricoeur écrit : "Je reste troublé par l’inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire de l’influence des commémorations et des abus de mémoire et d’oubli. " 2

Krzysztof Pomian écrit que "rien n’interdit, en effet, d’admettre que la mémoire est devenue l’une des provinces de l’histoire, tout en reconnaissant qu’elle ne saurait aucunement être enfermée dans ces limites". En effet, l’histoire "n’a pas pour but de célébrer telle ou telle mémoire particulière ni de ressusciter ce qui s’est passé, mais de faire comprendre, dans toute leur complexité, les rapports qui unissent ou divisent…"

Ces commémorations obligatoires représentent un vrai danger car "elles ont envahi le travail de l’historien jusqu’à l’asservir tout entier" 3 et par ricochet le travail du professeur d’histoire et géographie. Le danger est celui d’une histoire à pilotage mémoriel, la pression de la mémoire pouvant contribuer à rompre la chaîne argumentative et paradoxalement à disloquer un peu plus la temporalité.