Aborder la classification des clous par le biais d'une carte mentale publié le 04/11/2015  - mis à jour le 21/06/2017

Classification - Seconde - Tâche complexe

Motivations pédagogiques.

Depuis quelques années, je m’interroge sur la méthodologie maintenant classiquement mise en œuvre pour faire comprendre aux élèves la classification phylogénétique du vivant, en collège comme en lycée.

On sélectionne plusieurs "spécimens" qui sont décrits selon les particularités morpho-anatomiques (partagées ou non) qui les caractérisent. Les spécimens (taxons) et/ou les caractéristiques (attributs) sont soigneusement choisis de façon à ce que les ensembles emboîtés qui vont suivre au cours de l’activité puissent être construits logiquement, c’est à dire sans intersection.

Quand un "piège" est volontairement glissé dans la collection, c’est en général pour faire réfléchir sur la notion de convergence, de pertinence du caractère, de parcimonie.

Puis, après validation des ensembles emboîtés, et moyennant quelques règles simples de positionnement :
 des taxons à l’extrémité des branches,
 des caractéristiques évolutives sur les branches,
 des ancêtres communs hypothétiques sur les nœuds, l’arbre phylogénétique retraçant l’évolution est élaboré...

Deux aspects "gênants"

Cet article n’est nullement une remise en question de la méthodologie développée par Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader "Comprendre est enseigner la classification du vivant aux éditions Belin". Ouvrage de référence incontournable, unanimement accepté par la communauté enseignante et extrêmement efficace.

Pourtant, tout l’édifice didactique repose sur une exigence qui n’est pas anodine puisque les élèves la repèrent et en font état devant la classe entière : "oui, Monsieur, ça marche mais..." uniquement parce qu’on a soigneusement enlevé tous les exemples qui pourraient contrarier le modèle, parce que les attributs retenus évitent soigneusement les intersections entre ensembles, les aller-retour de l’évolution (apparition / disparition du caractère). Pour faire comprendre le principe, il faut simplifier et parce qu’on simplifie, les élèves associent souvent l’activité à une tricherie pédagogique. "Vous ne prenez que ce qui vous intéresse, trop facile !"

La pirouette habituelle consiste à dire que les scientifiques ont des moyens statistiques d’invalider des caractères "non évolutifs", que la parcimonie se joue sur plusieurs centaines d’arbres comparés par de puissants ordinateurs, que la descriptions des espèces est bien plus exhaustives que ce qu’on est capable de faire sur une ou deux séances de TP. Mais l’impression de tricherie persiste, même si la logique de la classification est comprise.

Le deuxième point qui m’a conduit à rédiger cet article et qui est le plus important (une fois la méthodologie acquise), c’est que les élèves doivent intégrer que l’arbre phylogénétique représente une chronologie dans les étapes de l’évolution du vivant, les nœuds les plus proches du tronc marquant les divergences les plus anciennes. C’est uniquement pour cette raison qu’on leur montre comment construire un arbre et là encore, la simplicité des exemples proposés ne joue pas en notre faveur. Cet aspect du cours leur échappe souvent et pour fixer cet objectif de connaissances dans les mémoires, le film documentaire de 2008 "Espèces d’espèces" de Denis Van Waerebeke et produit par Ex Nihilo est d’une aide précieuse...

Carte mentale et classification originale

Il me fallait une idée permettant aux élèves de travailler en toute liberté, sur des espèces imaginaires, sans choix préalable des critères descriptifs et qu’au final, chaque binôme puisse construire un arbre de parenté qui représente vraiment la transformation progressive des taxons dans le temps.

C’est ma collègue Anne Supervie qui m’a apporté la solution, avec un logiciel libre de construction de cartes heuristiques, extrêmement simple à prendre en main (tutoriel intégré) : le logiciel Framindmap.

J’avais aussi besoin d’un exemple imaginaire d’évolution. Là encore, Anne Supervie avec une activité papier "planète Casto" où les élèves réfléchissent sur la classification de clous a été un élément déclencheur. La classification des clous/boulons/vis n’est pas originale car déjà utilisée en collège comme en post bac, en France comme à l’étranger (voir Phylogenetics of man-made objects : simulating evolution in the classroom). Il ne restait qu’a rendre le TP plus manipulatoire...


Le TP "Transformers"

Situation d’accroche : l’évolution sur la planète Cybertron

Clous + transformers

Les clous sont ici considérés comme les espèces primitives de la planète Cybertron (équivalents de "nos" bactéries) où ils côtoient les deux espèces dominantes bien connues : Décepticans et Autobots (voir pour infos la série des films Transformers 2007-2014, réalisés par Michael Bay).

Deux chercheurs découvrent un fossile de clou, tellement ancien qu’il doit certainement être morphologiquement très proche du clou ancestral à l’origine du développement de la vie sur Cybertron.
L’objectif et de retracer à l’aide d’une carte mentale les transformations évolutives successives qui ont conduit à la diversité actuelle de 15 à 20 clous tirés au sort parmi 32 échantillons disponibles. La carte mentale sera le support pour la construction d’un arbre évolutif...

Attention, il faut avoir à l’esprit la fausse idée qui risque de s’incruster dans la mémoire des élèves : le fait que ce fossile ne représente pas la population ancestrale des clous, (voir remarques en fin d’article)

Lancement de l’activité

Les élèves travaillent en binôme, sur une séance de 1h30. Ils disposent d’un pot en verre contenant les 32 clous, d’une feuille plastifiée où les clous sont photographiés et numérotés (vignette ci-contre), d’un ordinateur portable avec connexion internet (pour la carte mentale) et d’une feuille blanche A3 (pour y disposer les clous et construire l’arbre en fin de TP).

Il faut environ 15 minutes pour rappeler les consignes de travail et s’assurer de la prise en main correcte de la carte Framindmap. Pour que les élèves puissent terminer dans les temps et que l’évaluation des productions ne soit pas fastidieuse, il est nécessaire de leur donner le vocabulaire attendu décrivant les caractéristiques des clous.

vocabulaire_descriptif_clous

Petite astuce qu’il ne faut pas négliger si on veut être certain de tout récupérer à la fin du cours : penser à noter sur chaque pot de verre sa masse exacte au feutre indélébile. Une balance est placée sur le bureau et quand les élèves rendent leur production, ils pèsent leurs clous et ne sortent que si rien ne manque...

Les consignes de travail :

  • N’utiliser que le vocabulaire imposé pour décrire l’évolution des clous.
  • Ne pas dépasser 20 clous pour le tirage au sort initial.
  • Si une difficulté de classification se présente, rien n’empêche d’enlever le clou qui pose problème et/ou de le remplacer par un nouveau.
  • Il faut aller au plus simple et éviter au maximum les situations où un caractère apparaît, puis disparaît, puis réapparaît...
  • Il peut y avoir plusieurs clous à l’extrémité des "voies évolutives" sur la carte mentale, l’objectif n’est donc pas de les isoler mais de les retrouver dans des groupes morphologiquement proches.
  • Il n’est pas nécessaire d’utiliser toutes les caractéristiques pour décrire complètement chaque clou, n’utiliser que celles qui vous arrangent.
  • Il faut raisonner comme si le clou original se transformait sous vos yeux, étape par étape.
  • Pour éviter les erreurs, manipuler les clous sur la feuille A3 en même temps que vous élaborez la carte mentale sur l’ordinateur.

Visualiser l’évolution des clous à l’aide d’une carte mentale

C’est le point le plus important de l’activité, c’est là où la logique de l’élève s’exprime, car la construction de l’arbre n’est qu’une transformation de l’information contenue dans la carte mentale. Framindmap est vraiment un outil très simple d’utilisation, les menus sont intuitifs.

En double-cliquant sur les étiquettes qui s’affichent, on peut y saisir le texte voulu. En survol de souris, un point rouge y apparaît et une nouvelle branche se crée automatiquement par simple glisser-déposer du point rouge. Les branches sont repositionnables à volonté. En cas d’erreur, il est possible de copier-déplacer des portions entières de la carte. On peut aussi modifier la police du texte et la couleur des branches, etc...

Début d'une carte mentale Framindmap

Consignes de travail :

  • Écrire dans la première étiquette "idée principale" le numéro du clou ancestral.
  • Pour chaque nouvelle branche, inscrire dans l’étiquette la nouvelle caractéristique évolutive et le numéro de tous les clous concernés.
  • Dans les étiquettes, vous n’indiquez que les caractéristiques qui apparaissent ou disparaissent par rapport à l’état précédent.
  • Plusieurs caractéristiques peuvent être notées dans une même étiquette.
  • Favoriser au maximum la simplicité, c’est à dire éviter les branches inutiles, regrouper l’apparition ou la disparition des caractères évolutifs sur un minimum d’étiquettes ou de branches.

L’intérêt de la manipulation est que les élèves restent libres au maximum dans leur cheminement, qu’ils reconstituent leur propre "morphing" du clou ancestral conduisant à leur 15 - 20 clous actuels. Le tirage au sort des espèces de clous en début d’activité est une option qui les oblige à raisonner seuls, sans prendre modèle sur les voisins. De plus, chaque binôme choisi "son" clou ancestral, ce qui augmente encore la diversité et la richesse des productions.
Toutes les cartes mentales sont acceptables au moment de l’évaluation finale, à condition que les élèves respectent une certaine logique évolutive et optimisent la simplicité dans leur construction mentale.

Correction carte Framindmap transformers.

L’exemple ci-dessus correspond à une correction distribuée aux élèves (la séance suivante) de ce qu’il était possible de faire. On constate que le critère "tige courbée" y est répété sur 2 branches évolutives, que des caractéristiques sont omises, comme la disparition de la pointe (entre clou 28 et 23) ou l’apparition d’une deuxième pointe (entre clou 28 et 21). La carte n’est donc scientifiquement ni juste, ni exhaustive, mais elle est logique et peut parfaitement correspondre à un bricolage évolutif sur la planète Cybertron.

J’ai construit une carte mentale intégrant les 32 clous pour me faire une idée de la faisabilité du travail. Voilà ce que j’obtiens après 1h30 de réflexion et le clou ancestral n°8 :

Carte complète ancêtre n° 8.


La construction de l’arbre évolutif

Le passage de la carte mentale à l’arbre évolutif est relativement simple à condition de suivre les règles énoncées ci-dessous, et c’est en général à ce moment que les élèves repèrent leurs incohérences.

  • Un demi cercle est tracé sur la feuille A3, tout ce qui est au-dessus de ce trait vit actuellement sur Cybertron, tout ce qui est en-dessous n’existe plus.
  • Le clou ancestral est disposé en bas de la feuille, l’axe des temps (la direction que prend le "morphing") va de l’ancêtre commun vers le trait symbolisant l’actuel.
  • Quand un numéro de clou n’est plus mentionné sur un des chemins évolutifs de la carte, c’est que son évolution est « terminée ». Il suffit donc de tracer une branche jusqu’à l’actuel, c’est à dire de le placer au dessus de la ligne.
  • Noter les caractéristiques évolutives (le contenu des étiquettes) au fur et à mesure sur les branches de l’arbre.
  • Disposer les clous au-dessus du demi-cercle figurant l’actuel, en notant leur numéro.
Consigne arbre TP transformers

Voici un exemple de correction distribuée aux élèves, la séance suivante, et qui correspond à la carte mentale ayant pour point de départ l’ancêtre commun n°28.

Exemple de correction arbre TP transformers.

Toujours pour avoir une idée de la difficulté à transformer la carte en arbre, voici ce que donne l’arbre évolutif complet tiré de la carte mentale des 32 clous. Il ne tient pas sur un demi-cercle, l’actuel y est donc figuré par un cercle. La disposition des clous rappelle d’ailleurs le buisson évolutif présenté dans le film "Espèces d’espèces"...

Arbre complet ancêtre n°8.


Les enseignements de cette activité

L’évaluation se fait à partir de la sauvegarde de la carte mentale en version numérique, du document papier A3 où est représenté l’arbre avec le numéro des clous, et aussi d’une photographie de la production papier avec les clous disposés à côté de leur numéro.
Le travail est évalué par compétences : le suivi de consignes, la logique scientifique (erreurs sur la carte mentale), la transformation de l’information (cohérence entre la carte et l’arbre), l’investissement dans le travail durant la séance.

Tout d’abord, on pourrait croire que les élèves, laissés complètement libres de leurs choix, ne parviennent pas à organiser leur carte mentale. Eh bien non, ils y parviennent sans trop de difficulté, même avec les classes où le niveau est plus faible. Il n’y a pas vraiment de blocage pour le passage à l’arbre, car quand cela arrive, c’est que le problème se situe au niveau de la carte mentale.

Les "erreurs" les plus fréquentes sont l’oubli de clou dans la carte (ou dans l’arbre), des choix peu judicieux qui augmentent le nombre de branches ou multiplient l’apparition ou la disparition des caractères, le fait de ne pas vouloir éliminer les critères qui rendent la carte trop compliquée et bien entendu le classique "non suivi de consignes"...

Par exemple, normalement, les clous ne peuvent être qu’en un seul exemplaire dans l’arbre, ceux qui ne les manipulent pas au fur et à mesure en élaborant leur carte mentale se font souvent piéger. De même, le fait de ne pas noter dans les étiquettes les caractéristiques et les clous concernés rend très difficile le passage à l’arbre. Quelques rares élèves choisissent dès le départ un ancêtre commun trop complexe et voient l’évolution comme une succession de simplification et de disparition de caractères.
Toutes ces confusions constituent un support de questionnement idéal pour revenir sur la signification des arbres évolutifs la séance suivante.

L’ancêtre commun hypothétique

L’idée de se représenter l’évolution comme un "morphing" multidirectionnel passe plutôt bien, l’arbre est vraiment perçu comme un outil pratique retraçant les étapes évolutives, donc l’objectif de l’activité est rempli.

Par contre, cette façon de procéder induit une fausse idée de l’ancêtre commun et de la place des fossiles dans les arbres phylogénétiques. En effet, si l’on n’y prend garde, les élèves retiennent que le fossile se transforme petit à petit au fil du temps. Or les ancêtres communs sont hypothétiques, de même que les fossiles sont représentés sur les arbres au même niveau que les espèces actuelles.

Il faut donc insister sur ce point en fin de TP, ou au moment de sa correction si le temps manque. L’astuce consiste à leur demander de dessiner un ancêtre commun (localisé sur un des nœuds de leur arbre) en leur précisant qu’ils doivent l’imaginer en fonction des éléments disponibles, qu’il peut ressembler à l’un des clous mais qu’il ne doit surtout pas lui être identique.

Ancêtre hypothétique
TP transformers.

Même raisonnement pour le clou ancestral à la base de l’arbre, le fossile trouvé sur Cybertron par les deux chercheurs lui ressemble mais ce n’est certainement pas l’ancêtre commun qui lui reste hypothétique. Il faut donc créer une branche uniquement pour lui jusqu’à l’actuel et redéfinir ce demi-cercle. Il s’agit en fait de toutes les espèces connues ayant existé sur la planète Cybertron, fossiles compris.

Les élèves doivent corriger à la main et en rouge le document distribué (volontairement incomplet) lors de la correction du TP (voir vignette ci-contre).

Autre possibilité d’approche de l’activité

Lors de la séance de correction, il est difficile de faire comprendre le principe de parcimonie, car même s’il existe des arbres plus compliqués que d’autres, ils ne portent pas sur les mêmes clous, ni sur le même clou ancestral. Une alternative serait donc de choisir, pour le groupe, un seul clou ancestral et de tirer au sort les mêmes clous pour l’ensemble des binômes. La correction ferait sans aucun doute ressortir les raisonnements les plus parcimonieux mais cela se ferait au détriment de l’autonomie des binômes. L’angoisse de trouver le "bon" arbre, la recherche de la réponse "juste" et les coups d’œil rassurants sur la table voisine ne sauraient être évités. Comme le TP est mené, chaque binôme peut proposer sa solution, qui sera validé si le travail est cohérent.

Vous trouverez ci-joint les documents papiers distribués aux élèves.

Documents joints
un document Consignes de travail (PDF de 148.3 ko)

TP Transformers, les origines...

TP Transformers, les origines...