Relativité du mouvement : Nicole Oresme. publié le 30/12/2008

Nicole Oresme (1325-1382) fut en son temps ecclésiastique et conseiller du roi Charles V, mais aussi physicien, astronome, mathématicien, économiste, philosophe, psychologue, musicologue, théologien et traducteur français d’Aristote.
Non content de traduire ce dernier, il le commenta abondamment et souvent de façon remarquablement moderne. _ Ainsi, pour contester le dogme aristotélicien stipulant que la Terre est immobile au centre de l’univers et s’appuyant sur le fait qu’« on voit bien les astres se lever et disparaître », il note — près de deux cents ans avant Copernic :
« De plus, je suppose, le mouvement d’un lieu à un autre ne peut être constaté avec évidence que dans la mesure où l’on constate qu’un corps se situe différemment par rapport à un autre corps. Ainsi, quand un homme est sur un bateau appelé A qui se meut sans à-coup notable, rapidement ou lentement, et que cet homme ne voit rien d’autre qu’un autre bateau appelé B qui se meut tout à fait exactement de la même façon que A, je dis qu’il semblera à cet homme que ni l’un ni l’autre de ces bateaux ne se meut. Si A est fixe et que B est en mouvement, il lui apparaît avec évidence que B est en mouvement ; si A est en mouvement et que B est fixe, il lui apparaît aussi que A est fixe et que B est en mouvement. De même, si A était fixe pendant une heure et que B fût en mouvement, et si dans l’heure immédiatement consécutive, à l’inverse A était en mouvement et que B fût fixe, cet homme ne pourrait constater ce changement, cette variation, mais il lui semblerait que B fût en mouvement continu : voilà qui ressort de l’expérience. La cause en est que ces deux corps A et B ont continuellement relativité de regard l’un par rapport à l’autre, tout à fait de la même manière quand A est en mouvement et que B est fixe ou quand à l’inverse B est en mouvement et A est fixe. Il est établi au livre IV de La Perspective de Witelo [1230-1280] que l’on ne constate un mouvement que dans la mesure où l’on constate qu’un corps se comporte d’une autre manière au regard d’un autre.
Je dis donc que si des deux parties du monde susdites celle d’en haut était mue aujourd’hui d’un mouvement journalier comme elle le fait et celle d’en bas non, et que demain ce fût au contraire celle d’ici-bas qui fût en mouvement journalier, et l’autre, c’est-à-dire le ciel étoilé, non, nous ne pourrions en rien constater cette mutation mais que tout semblerait être d’une même façon aujourd’hui et demain à ce sujet. Il nous semblerait continuellement que la partie où nous sommes fût fixe et que l’autre fût toujours en mouvement, comme il apparaît à un homme sur un bateau en mouvement, que les arbres à l’extérieur sont en mouvement. De la même façon, si un homme était au ciel, une fois admis qu’il fût en mouvement journalier, et si cet homme qui est entraîné avec le ciel voyait clairement la terre et distinctement les monts, vaux, fleuves, villes et châteaux, il lui apparaitrait que la terre serait mue d’un mouvement journalier, comme il nous apparait que ce soit le cas du ciel à nous qui sommes sur terre. Semblablement, si la terre était mue d’un mouvement journalier et le ciel non, il nous semblerait qu’elle fût fixe et le ciel en mouvement ; toute personne qui a bon entendement peut facilement imaginer cela. Par là se manifeste clairement la réponse à la première expérience, car l’on dirait que le soleil et les étoiles paraissent alors se coucher, se lever, et le ciel tourner, à cause du mouvement de la terre et des éléments parmi lesquels nous nous trouvons. »

Texte d’Oresme extrait du Traité du ciel et du monde (1377), adapté en français moderne par P. Souffrin et R. Lassalle.