L'apprentissage tardif du lire-écrire : un exemple de séquence pédagogique publié le 17/09/2007  - mis à jour le 18/10/2007

Déchiffreurs, petits lecteurs, ayant d'importantes difficultés à l'écrit.

Séquence conçue et rédigée par : Jean-Paul Peyraut et Agnès Vignolle (Association PATE – 86)

Profil des élèves concernés (en référence à l’outil : « Profils et grilles » produit par le collectif de la zone de Châtellerault - 86)

En lecture :
Il subsiste des difficultés de déchiffrage. La pénibilité de l’acte de lire les incite plutôt à se détourner de l’écrit. Ils lisent seulement par nécessité.

  • Ils restent souvent « collés » au texte et vont répondre de façon erronée à des questions précises ou indirectes (y compris avec le texte sous les yeux). L’énergie développée dans le déchiffrage rend difficile l’accès au sens.

En écriture :

  • Ils connaissent approximativement la segmentation des mots d’usage courant
  • Il peut rester des confusions de phonèmes (p/b, v/f..), plus des difficultés de repérage de quelques phonèmes
  • Il reste des confusions d’homophones grammaticaux (on/ont, ce/se, ai/est/et…)
  • Les règles de grammaire (accord sujet-verbe, conjugaison) ne sont pas appliquées.
  • Ils hésitent à s’engager dans l’écriture.

OBJECTIFS GENERAUX DU PARCOURS DE FORMATION

Développer les capacités à apprendre :

  • Restauration de l’estime de soi, sortir du sentiment d’échec : amener les élèves à prendre conscience de leurs savoirs et savoir faire acquis.
  • Observer, s’informer et leur faire prendre conscience des processus qu’ils mettent en œuvre pour apprendre. Par la verbalisation sur le « comment ils font quand ils font.. », les amener à mettre en place une démarche d’apprentissage plus efficiente.
  • Leur permettre de développer leurs capacités à s’informer, à analyser, à critiquer, à valider, à rendre compte

En lecture/ Ecriture :

Mettre en place les stratégies qui permettent de devenir un lecteur habile :

  • reconnaissance en saisie directe d’un très grand nombre de mots (dictionnaire mental de mots),
  • construction des mots avec les syllabes courantes en français qu’on doit avoir en mémoire (dictionnaire mental des blocs syllabiques en saisie directe),
  • connaissance du code : conversion graphèmes-phonèmes.

Ces compétences sont nécessaires en lecture et en écriture.

Apprendre à comprendre :

  • en développant la fluidité en lecture,
  • en travaillant sur le questionnaire, le résumé…

Le questionnaire, le résumé ne servent pas qu’à vérifier s’il y a compréhension, ils peuvent être des supports pour apprendre à comprendre.

Travailler sur la capacité à produire de l’écrit

Attitude face à la production d’écrit
Travail sur les difficultés rencontrées
Construction d’outils grammaticaux


DEMARCHES ET OUTILS

  • La Méthode Naturelle de Lecture Ecriture (Danielle de Keyzer- Ed RETZ)
  • Les langagiciels (Eclire). Une démarche informatisée au service de la maîtrise de l’écrit
  • Favoriser la réussite en lecture : Les MACLE (André Ouzoulias – Ed Retz)
  • Enseigner la compréhension ( Roland. Goigoux)
  • La Gestion Mentale (Antoine de la Garanderie)
  • L’Entretien D’Explicitation (Pierre Vermersch)

PREAMBULE

  • Atelier regroupant des élèves du même profil. Groupe de 6 à 8 élèves au maximum.
  • Cette séquence (plusieurs séances) s’inscrit dans un parcours de formation. Les séquences précédentes ont amené les élèves à se construire :
  • une « fiche outil » concernant le « schéma de lecture ».

Le « schéma de lecture » est ce qui permet :

  d’interroger le texte à priori,
  de rentrer dans la lecture en faisant des hypothèses,
  de lire en cherchant à retrouver ce qu’on avait supposé,
  de mémoriser plus sûrement les informations contenues dans le texte,
  de raconter l’essentiel du texte.
C’est un apprentissage à faire réaliser à des élèves qui ont des difficultés en lecture.

  • un classeur regroupant un ensemble d’outils leur permettant d’être les acteurs dans l’amélioration de leurs compétences en lecture-écriture :
      des listes de blocs syllabiques,
      un cahier d’analogies,
      des listes grammaticales,
      etc…

DEROULEMENT DETAILLE DE LA PREMIERE SEANCE

Le texte est apporté par l’enseignant, suite à une discussion sur le rapport des élèves à la lecture.

Le garçon qui entrait dans les livres

Tout le monde à l’école embêtait Lucas, parce qu’il était malingre et binoclard. Et à la maison, tout le monde le disputait. Tout le temps. Son père, sa mère, et son frère qui avait quatre ans de plus que lui. Sa mère disait que son grand frère était une merveille et que lui, Lucas, était un monstre, un bon à rien, un laideron, un idiot, un fainéant, un chenapan, une erreur. Son père disait que sa mère avait bien raison de dire cela, et son grand frère riait aux éclats puis lui donnait une grande claque dans le dos. Lucas savait bien que sa maman et son papa ne l’aimaient pas. Il savait cela, mais il ne savait pas pourquoi. Ça arrive que des papas et des mamans n’aiment pas leurs enfants, mais généralement, on ne le dit pas. On ne le dit jamais dans les histoires pour les enfants.

Vous allez penser peut-être que Lucas était très triste. Eh bien vous vous trompez complètement ! Et si bizarre que cela puisse paraître, Lucas était le plus heureux des petits garçons, car il avait un secret. Un vrai et somptueux secret. Lequel ? Eh…Un secret, ça ne se dit pas ! Bon d’accord, je veux bien vous le dire parce que c’est vous, mais il faut me promettre de ne pas le répéter. Promis ? Je n’ai pas entendu ! Promis ? Bon, c’est bien, je vais donc vous le dire.

Le secret de Lucas, c’est qu’il parvenait à entrer dans les livres, comme vous vous entrez dans votre chambre, dans la baignoire ou dans la salle de classe. Il avait découvert cela un beau matin, à la récréation. Ce jour-là, comme d’habitude il avait voulu jouer avec les autres, mais une fois encore les autres l’avaient chassé. Alors Lucas s’était assis sur le banc, en dessous du marronnier, tout penaud. Les larmes lui venaient aux yeux. La maîtresse s’en était rendu compte et s’était approchée de lui. « Tiens, avait-elle dit, tu ne seras plus jamais seul. ». Et elle lui avait tendu un livre. Lucas l’avait pris, ouvert, avait lu le premier mot, la première phrase et soudain, pfffffttttt, il avait été comme aspiré ! Il était entré dans le livre, d’un coup, comme s’il avait plongé sur un toboggan qui n’en finissait pas.

Oh la la ! il s’en souviendra toute sa vie de cette première fois. Les autres avaient disparu, leurs jeux, leur méchanceté. La cour de l’école aussi avait disparu, le marronnier, le banc sur lequel il était assis, et même la maîtresse avait disparu….
’Le monde sans les enfants Philippe Claudel


A – Rappel, par l’échange collectif, des objectifs de ces séances de travail

Présentation du déroulement :

  • « nous allons travailler sur un nouveau texte »,
  • « chacun va le lire pour lui, silencieusement. A la fin nous échangerons sur ce que vous pouvez en dire »,
  • « ensuite, nous le lirons à haute voix. Vous savez que c’est pour relever tout ce qui va bien et aussi les difficultés s’il y en a. C’est à partir des difficultés que nous travaillerons dans les prochaines séances.

B –« Laissons revenir ce que nous devons faire, ce que nous devons avoir dans notre tête quand nous abordons un nouveau texte… »

Si besoin, ils reprennent leur « fiche outil » sur le « schéma de lecture ».

C - Lecture silencieuse individuelle

Noter tout ce qui est observé pendant cette lecture silencieuse : dépense d’énergie, blocages, oralisation plus ou moins importante…

D - Echange collectif sur ce que les élèves peuvent en dire.

Si besoin faire préciser, reformuler. Noter ce qui est dit, ce qui a été bien compris, mais aussi les informations incomplètes, erronées, incohérentes. Pas d’échange dans le groupe à ce moment là. L’objectif est de revenir sur la compréhension du texte, quand il aura été complètement travaillé, et de noter l’écart avec ce que les élèves pourront alors en dire.

E - Lecture à voix haute

Il est indispensable que chaque élève lise un passage à voix haute, car cela nous permet de prendre des informations sur les réussites et les difficultés pour chacun d’eux. C’est à partir des difficultés que nous construisons les activités pour les séances suivantes.

Les difficultés relevées :

Mots déchiffrés partiellement Mots non lus Mots mal prononcés Vocabulaire inconnu Expressions à expliciter

ma(lingre)

bin(oclard)

mon(stre)

lai(deron)

fai(néant)

co(mplètement)

som(ptueux)

tobo(ggan)

merveille

erreur

absolument


malingre

absolument

somptueux

malingre

binoclard

laideron

penaud

son grand frère était une merveille

un bon à rien

un somptueux secret

il avait été comme aspiré

Remarques : dans la première colonne, ce qui est entre parenthèses n’a pas été décodé


SEANCES SUIVANTES

Quelques exemples d’activités permettant de construire les apprentissages à partir des difficultés relevées lors de la lecture à voix haute.

Pour les mots mal prononcés :
Mot mal prononcé : mot reconnu mais mal dit, des syllabes ou des lettres sont omises, il y a des inversions.
Nous proposons de relire les mots mal prononcés en insistant sur le découpage syllabique :

  • si le déchiffrage est possible, nous l’amenons à la prononciation correcte,
  • sinon, nous insistons sur l’écoute du mot juste et le faisons répéter jusqu’à ce que ce soit correct.

La prononciation correcte des mots est indispensable pour l’écrit.

Pour les mots déchiffrés partiellement :
Nous faisons appel à des mots que nous savons connus par l’élève et qui possèdent une analogie avec le mot qu’il cherche à décoder. Nous proposons également le découpage syllabique du mot.

Ex : monstre. L’élève a lu : « mon » et s’est arrêté.

Nous montrons « mons » en incitant à lire la syllabe jusqu’au bout, en prononçant le « s ».

Pour le « tre », nous proposons « fenêtre », sous la forme « fe—nê—tre » en insistant sur la dernière syllabe.

Puis nous lui demandons de relire « mons—tre », puis en assemblant les syllabes pour que le mot (lu alors d’un seul souffle) prenne sens quand il s’entend le dire.

Remarques :

  • l’élève ne pourra s’entendre dire le mot travaillé que s’il fait partie de son bain langagier
  • s’il n’y a pas d’analogie possible avec un mot connu, nous donnons le mot, qui deviendra le référent pour une future série d’analogies.

Quand tous les mots mal déchiffrés ont été travaillés, il est important d’insister sur la segmentation en syllabes de ces mots. L’élève doit pouvoir les découper en syllabes et prononcer chaque syllabe, car les repérer, les isoler, renforce leur connaissance et facilite le décodage, donc la rapidité de lecture.

Ce travail va leur permettre de compléter leurs listes de blocs syllabiques (regroupées dans leur classeur).

Passage du déchiffrage à la lecture directe et à l’écriture :

Les mots travaillés en découpage syllabique doivent être repris en activités d’entraînement pour amener les élèves :

  • à une lecture directe (sans découpage)

Ex. activités : relecture régulière des listes langagiciels : « occultation » , « ascendant », « césécrit »*

  • à une connaissance orthographique de ces mots :

Ex. activités : langagiciels : « mot à mot », « tirécrit »*

dictée de mots

*Les langagiciels (Eclire). Une démarche informatisée au service de la maîtrise de l’écrit


Pour le vocabulaire inconnu :

Pour les mots et expressions qui ont été explicités, en garder trace sous la forme d’une définition simple construite collectivement et d’un exemple d’utilisation (ceci est consigné dans la partie vocabulaire du classeur).
Solliciter le réinvestissement au cours de la production d’écrit.

Pour travailler l’anticipation et la fluidité :

Activités langagiciels : « ascendant », « césécrit »
Activités papier : exercices à trous
Lecture à voix haute en insistant sur le regroupement des mots par groupe de sens (voir MACLE, déroulé pédagogique pour s’approprier la lecture par groupes de sens)

Production d’écrit :

Amener les élèves à oser produire de l’écrit en utilisant les outils qu’ils se sont construits ou des outils comme Eurêka, Corécrit (langagiciels)...
Ces productions sont des supports pour continuer à construire les apprentissages.

Pour la connaissance orthographique des mots : enrichissement des listes d’analogies (graphèmes- phonèmes dans un cahier d’analogie)
Ex : manteau : dans le cahier d’analogie pour le « an » comme « banque »
pour le « eau » comme « bateau »

Pour la connaissance grammaticale : enrichissement des listes d’analogies grammaticales. A partir d’un certain nombre de rencontres d’une même problématique grammaticale, la règle en sera déduite.
Ex : il a froid à la maison
elle a raison le devoir à remettre
Eric a mangé bonjour à tous
Chaque fois que l’élève a besoin d’écrire « a » ou « à », il doit réfléchir dans quelle liste cela va et il le rajoute.

Pour la construction des phrases :
Inciter les élèves à écrire des phrases minimales avec extension (phrases simples), plutôt que des phrases trop complexes.
Travailler sur la fonction des mots en les « manipulant ».