Évaluation de l'oral spontané – retour d'expérience publié le 30/06/2015

Premier bilan d'une année de mise en pratique

Aux origines du projet

En octobre 2014, le CARDIE de Poitiers publiait un article qui formulait les termes de l’expérience que je comptais mener au collège Camus de La Rochelle.
Je souhaitais lutter contre les effets délétères d’une timidité induite par nos pratiques pédagogiques, tolérée ou acceptée dans la conduite des cours, défendue aussi par l’idée que celle-ci serait liée à un déterminisme social, culturel voire même ancrée dans une certaine "génétique", construite et amplifiée par l’usure et l’appauvrissement des pratiques d’évaluation qui préfèrent une évaluation écrite corrigée en différé à une évaluation de l’oral en situation de travail in situ et in vivo. Le fait que la pratique de la colle soit un outil particulièrement pertinent en classes préparatoires aux concours d’entrée aux grandes Écoles peut nous laisser songeur sur le fait que seuls les élites bénéficient de ce régime qui permet d’évaluer le plus finement le degré de compétences acquises de l’étudiant...
L’observation du comportement des élèves des cycles 1, 2 et 3 ne permet pas d’établir un tel pronostic qui condamnerait à l’amuïssement puis à l’extinction la parole de l’enfant devenu élève puis adolescent-collégien... Quelques "timides" déjà (si peu, je le répète, comparés aux adolescents...) mais aussi et surtout, beaucoup d’engagement, de spontanéité et de sincérité ; nos pratiques conjuguées aux bouleversements physiologiques, psychiques et sociologiques de l’adolescence doivent donc amplifier ce mouvement d’abandon de la participation orale spontanée en classe, laissant seule une poignée d’élèves agir sur leurs apprentissages pour mieux les comprendre et mieux les assimiler. Les autres doivent bien s’ennuyer...
Et si l’École résistait à ce désordre, ou, à tout le moins, bornait son extension ?
L’envie de stimuler cette pratique de l’oral en évaluant régulièrement la prise de parole spontanée pour imposer de meilleurs comportements d’apprentissage m’a permis de rendre compte de la situation et d’initier certains changements de comportement.


Évolution des outils

Loutil de communication de cette évaluation n’a évolué qu’une seule fois (et au début...) ; la grille est déjà originale et il ne s’agissait pas de confronter en permanence les élèves à des nouveautés mais plutôt de les confronter à des indicateurs permanents dont la valeur est reconnue.
La note initiale proposée est fixée à 12/20 pour stimuler le développement personnel et rester ainsi de manière plus significative dans la zone proximale de développement de chacun. Une certaine conception "déterministe" derrière laquelle les élèves, les parents et les professeurs peuvent se cacher est ici plutôt estompée (la grille permet à chacun de trouver la meilleure posture pour valoriser ses compétences) ; je tente de raccrocher certains en leur montrant qu’ici leur est proposé un catalogue de marqueurs communs qui appellent des corrections et des modifications du comportement, en leur montrant aussi l’intérêt à porter à la participation orale en classe pour s’améliorer, progresser et réussir. Les efforts à produire ne sont jamais inaccessibles ; à la lecture de la grille, ce sont les élèves qui déterminent ceux qu’ils sont prêts à consentir et comptent produire par rétroaction.
Je n’ai pas exploité la partie inférieure de la grille qui évaluait d’autres comportements ; je l’ai cependant conservée car elle me semble encore particulièrement formative...
Ce même outil peut donner lieu à une auto-évaluation ; les cibles qu’ils ont complétées étaient si justes (en dehors de deux qui "dérapaient" ; c’est la loi du genre...) que j’ai choisi d’intégrer leur auto-évaluation dans la moyenne trimestrielle, considérant que l’évaluation est inter-subjective (et que c’est la somme de ces subjectivités qui doit certainement tendre à une meilleure objectivité) et que les élèves ont personnellement ici quelque chose à en dire. Et si je reste le régulateur, je permets aux élèves d’exercer leur esprit critique sur eux-mêmes, sur la pertinence des outils et critères d’évaluation, sur la confiance réciproque professeur-élève.
J’ai assez correctement tenu et atteint mes objectifs d’évaluation initiaux puisque je suis parvenu à proposer six évaluations de l’oral spontané sur l’année 2014-2015, soit deux par trimestre, évaluations associées à celles des divers oraux préparés ; je consacrais généralement une heure à produire cette évaluation pour l’ensemble des élèves de la classe.

Certains élèves ont su bénéficier du contrat de réussite qui permettait de valoriser l’effort de correction ; sur l’ensemble de l’année, j’ai entendu cinq élèves qui exprimaient une contestation de la note reçue ; j’ai toujours accepté que l’évaluation puisse être remise en question, mais jamais le jour de restitution de la grille : la discussion ne pouvait se produire "à chaud" dans le fracas des passions et des sentiments exacerbés, mais toujours après une nuit de réflexion... J’ai systématiquement proposé à ces cinq élèves un protocole de réflexion pour engager la négociation...
Ce document de "repêchage" permet de revenir sur la note proposée si l’argument présenté est recevable ; dans deux cas, j’ai relevé la note considérant la bonne forme de la demande et la pertinence du propos. J’ai aussi estimé une fois que le doute était valable et devait profiter à l’élève...
Évidemment, ce protocole refroidit aussi les ardeurs de certains... et cela a très certainement participé au fait que je n’ai pas subi et eu à répondre de beaucoup plus de réclamations !
Le logiciel Pronote (les autres logiciels de saisie doivent offrir les mêmes solutions) permet d’envisager la compulsion des évaluations de l’écrit et de l’oral comme le professeur le souhaite.


Bilan

Les élèves de la classe ont particulièrement bien accepté l’outil alors même que celui-ci admet l’honnête subjectivité de la note proposée puisque jamais je ne recense, ni ne compile, ni ne remplis de cases pour conserver de "preuves" qui justifieraient a posteriori mon évaluation. Ils ont fait montre d’une grande confiance dans la sincérité de mon jugement. La classe de 4ème D sur laquelle j’ai conduit cette expérience a effectivement vu croître cette dynamique de l’oral recherchée ; seuls quatre élèves sont vraiment restés en retrait sur cette question (et je ne pense pas qu’ils aient pris plus de cinq fois la parole sans que je la leur réclame cette année). Les cours étaient dialogués et menés dans la bonne humeur ; reste le fait que je ne suis pas parvenu à ôter mon costume de "régisseur" qui distribue la parole.
À une quasi-unanimité, mon insistance à plus et mieux participer a conduit aux objectifs que je m’étais fixés : cela sollicite une plus grande attention des élèves qui se sentent plus et mieux impliqués dans les cours, qui s’ennuient moins aussi (et surtout !). Cependant, ils n’ont pas toujours jugé nécessaire d’étendre ce comportement aux autres disciplines quand celles-ci ne l’imposaient pas aussi nettement ; les élèves peuvent aussi biaiser le système pour reprendre des habitudes grégaires.
Les effets bénéfiques du passage dans les classes communément nommées "sans notes" de 6ème et 5ème ont été renforcés sur certains élèves qui ont plus encore développé leur participation, ce que je n’attendais ni n’espérais d’eux (la "croyance" étant que la note pourrait briser l’élan d’élèves supposés à tord "plus fragiles" : il n’en est rien ; ce qui est acquis semble bien ancré désormais) ; d’autres sont plus encore devenus des "adolescents" et une certaine indolence les a tout de même saisis (leur participation est donc demeurée "mesurée" pour rester "juste suffisante"... "Ah ! Les ados...").
Un élève accompagné par une AVS pour des troubles autistiques est désormais capable d’engager de son propre chef la discussion avec son professeur, et s’il ne le fait encore aisément devant toute la classe, on n’en est pas loin... Une élèves identifiée comme particulièrement douée dès qu’elle passait par l’écrit mais accablée par une timidité qui inquiétait depuis l’entrée en 6ème tout autant ses professeurs que ses parents sur sa capacité à résister à la brutalité de l’environnement scolaire prend désormais très régulièrement la parole en Français, en Mathématiques... et elle est parvenue à dépasser une émotivité qui oblitérait son existence dans le groupe. Son professeur d’EPS se félicite désormais de sa capacité à s’engager pour affronter le risque ; à sa table en îlot, en cours de Français, elle tient tête à ses deux voisines qui n’ont pas son profil scolaire, c’est le moins que je puisse dire... Et un mot des parents dans le carnet de correspondance qui remercie l’équipe éducative pour l’ensemble du travail accompli... Puis un entretien après le Conseil de classe reconnaissant qu’ils ont parfois réprouvé des choix qui allaient à l’encontre de la nature de leur fille (Et revoilà le fameux "déterminisme" !)... et qui se félicitent de "l’agressivité" (je reprends le terme) dont elle peut désormais faire montre lorsque la situation la requiert. Oui, cela s’impose parfois dans la vraie vie... et elle saura refuser, proposer, résister, donner son point de vue, défendre ce qui lui tient à cœur... pour tout simplement s’affirmer.

Déploiement à l’horizon 2015

La réflexion sur la question de l’oral à largement transpiré des murs de la salle 104 (salle dans laquelle je fais cours !), et le précédent article y a notablement participé : l’ensemble de l’équipe de Français compte évaluer cet oral (au-delà des niveaux de 6ème et 5ème qui sont évalués par compétences, sans notes, et donc aussi sur leur participation au développement des cours à l’oral) sur les niveaux 4ème et 3ème profitant des réglages du logiciel pour mettre celui-ci en évidence sur les bulletins ; cette réflexion dévoile des carences dans certaines disciplines, mais surtout des pratiques qui n’osaient pas se révéler comme telles... En Mathématiques notamment, les professeurs valorisent déjà les élèves qui concourent au bon déroulement oral du cours ; leur réflexion est déjà bien engagée. Je ne reviens pas sur l’investissement des professeurs de Langues vivantes.


Pistes de réflexion

La question "pour quoi ?" interroge l’ensemble des évaluations que l’on propose aux élèves et qui n’entraînent pas suffisamment de rétroactions et de plus-values pour l’élève. Ici, à travers cette évaluation de l’oral, j’ai tenté d’effacer les "syndromes victimaires liés à un certain fatalisme déterministe" ("Et blablabla"... En fait : tous ceux qui se laissent aller parce que ce n’est pas de leur "faute"... Parce que l’école, très peu pour eux... Parce que c’est "trop dur" ou parce que c’est plus facile !) en les conduisant peu à peu à s’imputer la responsabilité de leurs actes au sein de la classe. Beaucoup semblent avoir agi à bon escient en consentant un effort sur soi, pour soi et pour les autres ; certains ont réellement progressé de manière ancrée et durable.
Mais il faut bien le reconnaître : trop peu d’évaluations sont réellement produites pour les élèves ; elles servent plutôt à prouver que le prof "fait le job", à remplir des tableaux de données parfaitement compilées qui seront autant d’indicateurs pour classer et orienter, à nourrir un système dans lequel l’élève ne semble pas toujours être au centre. Pourtant, toutes celles-ci devraient avoir pour unique but de permettre à tout un chacun de s’exhausser. Les collègues du collège Camus s’interrogent.
Les dernières réflexions de fin d’année (pour préparer celle à venir), la remise sur la table de la grille d’évaluation transdisciplinaire exploitée dans le cadre des classes "sans notes" font surgir la question de la persévérance scolaire. La problématique est plus vaste qu’il n’y paraît et je ne parviens pas encore à en cerner les modalités d’observation durables suffisamment efficaces pour être probantes, présentables à un enfant pour qu’il relève les leviers, performantes pour permettre d’identifier les efforts consentis et les récompenser justement. Il s’agit d’une donnée floue et volatile pour de très nombreux élèves, placés dans des situations différentes, dans différentes disciplines. Ce terme "persévérance" glissé dans la grille commune nous permettra à tous d’y réfléchir. C’est donc pour nous un nouveau far-west...

Documents joints

Document support qui présente l’évaluation de la persévérance scolaire

Les élèves ont été interrogés sur la dispositif et ont évalué cette démarche d’innovation

Grille d’évaluation de l’oral spontané _ Version de juin 2015 au collège Camus de la Rochelle

Document expliquant aux élèves la "procédure" de négociation pour dialoguer de façon constructive avec l’enseignant en cas de désaccord sur le note d’évaluation de l’oral spontané