Voyage en classes inversées publié le 25/08/2016  - mis à jour le 16/07/2018

Florence R et Romain C

Des enseignants de sciences physiques du lycée Maurice Genevoix nous ont ouvert leurs portes lors de la semaine de la classe inversée.
Dans ce lycée les 7 enseignants de sciences physiques travaillent en équipe. Chacun conserve son style personnel d’enseignement et choisit ses outils, mais ils mutualisent, réfléchissent ensemble et se soutiennent.
Florence Raffin défriche le terrain pour l’équipe. Face à l’évolution du comportement des élèves, elle a opté pour organiser différemment ses séquences, il y a deux ans. Les autres lui ont emboité le pas cette année, appliquant notamment des méthodes issues de la pédagogie en ilôts bonifiés1.
Ce compte-rendu évoque les indices qui au cours de cette observation nous ont intéressés et fait penser que cette manière de travailler correspond aux besoins à l’ère du numérique.

Se parler, sourire

Nous commençons la journée par une discussion informelle dans la salle des professeurs de physique, autour d’une galette. Les échanges sont riches, sans jugement mutuel : les 4 professeurs présents savent que le changement de méthode implique des tâtonnements. La vie d’une classe n’est pas un long fleuve tranquille, surtout dans cette société qui évolue vite.
L’ambiance de la discussion est détendue, mais chacun est attentif ; nous percevons l’habitude d’échanges constructifs, avec des pointes d’humour pour éviter de se stresser mutuellement.

L’équipe nous montre les différents outils utilisés :

  • un manuel et des livrets de corrigés communs,
  • un site web pour chaque enseignant (pour la diffusion de contenus),
  • un logiciel de présentations assistées par ordinateur (par exemple PowerPoint ou Impress) et un logiciel pour transformer ces présentations en capsules vidéo de 4 ou 5 mn (par exemple screencast-o-matic, voir exemple),
  • des applications (telles que AdobeVoice ou ExplainEverything) sont parfois utilisées pour créer directement des présentations vidéos (voir exemple),
  • un logiciel pour créer des questionnaires,
  • un tableur numérique pour organiser le travail et conserver la trace des compétences acquises, générer des notes quand c’est nécessaire (Calc ou Excel par exemple).

Les élèves en ilôts

Travail en commun

Nous assistons à un cours en seconde. La salle n’est dotée que d’un poste informatique, relié à un vidéo projecteur, et d’un écran de projection près du tableau.
A cette période de l’année les élèves viennent de choisir leur filière pour l’année prochaine. Certains savent déjà qu’ils ne poursuivront pas les sciences physiques. L’enseignante sait que cet élément est susceptible d’influencer leur comportement.
Ils sont 33 et s’installent par groupes de 2 - 3 ou 4. Ces groupes se sont formés librement en début d’année, et évoluent ensuite au fil des séances, pour éviter les associations malvenues.
Le principe présenté en début d’année aux élèves est que le travail en petit groupe doit faciliter les progrès de chacun, tout en habituant au travail collaboratif.


Lancement d’un cours sur la gravitation

Fiche traitée en sous-groupes

Dans cette classe Cécile Marquois a demandé aux élèves de regarder une capsule pédagogique en ligne avant le cours. Au début de la séance elle demande à ceux qui ne l’ont pas fait de lever la main : 3 bras se lèvent. Elle commente : "je suppose que si vous ne l’avez pas regardée c’est que vous n’avez pas pu le faire. Tâchez de mieux vous organiser la prochaine fois". Ici l’autonomie est un objectif, pas un pré requis.

La capsule était associée à deux questions, et l’outil de questionnement a généré un tableau qui fait apparaître en vert ceux qui ont fait cette partie du travail. Les tableaux permettent notamment à l’enseignante de faire des bilans statistiques, par élève et par classe (et d’ajuster sa méthode si besoin : quand beaucoup d’élèves ne réussissent pas à faire une partie du travail attendu c’est l’attente qui est à questionner).
Les élèves qui n’ont pas regardé la vidéo avant le cours peuvent aborder le travail de groupe comme les autres, sa visualisation n’étant pas indispensable pour la suite des opérations. Ils pourront y avoir recours à un autre moment, car elle reste accessible sur le site pédagogique de l’enseignante.

tableau affiché pendant la séance
et renseigné par les élèves

La professeure indique les attendus de la séance en 3 mn et lance une activité de petit groupe : les élèves doivent trouver ensemble la réponse à une question. Ils se mettent au travail sans tarder, pendant qu’elle se connecte au logiciel de vie scolaire pour indiquer les absents, puis projette le tableau de suivi de la séance, qui restera affiché sur le grand écran. Certaines cellules de ce tableau sont communes aux élèves d’un même groupe, par exemple la case "bruit", car le respect d’un niveau sonore raisonnable sera évalué pour l’ilôt. D’autres appréciations seront faites par individu, par exemple l’implication dans le travail de groupe.

Cécile Marquois
utilise une animation

L’enseignante observe la classe, et circule, essentiellement au fil des demandes d’aide. Ce faisant elle constate une erreur commune à plusieurs équipes, liée à l’interprétation d’une question, et requiert l’attention de la classe pour faire à voix haute une mise au point à ce sujet.
Quand les 15 mn sont écoulées elle exploite les conclusions des groupes et synthétise les lois de la force gravitationnelle, en s’appuyant sur une animation vidéo-projetée.

Actifs en classe

Les élèves reprennent le travail en sous-groupe pour 20 mn d’exercices. Chacun travaille sur un document personnel, mais peut communiquer avec les autres - notamment pour recevoir une explication complémentaire - s’il ressent le besoin d’une aide qui peut lui être apportée par un autre élève. L’un d’eux distribue un livret de corrigés par table. Le niveau de bruit reste modéré, et les échanges servent notamment à la régulation mutuelle ("non mais c’est bon, là, on avance...") parfois avec négociation ("mais je t’ai dit que c’était bon" "oui mais moi je veux comprendre"). Quand un groupe a fini un exercice et vérifié sa réussite, un de ses membres vient cocher au tableau la case correspondant à cet exercice. Chacun peut donc constater où en sont les différents groupes.

Les mains se lèvent régulièrement. L’enseignante est donc bien occupée, mais reste posée et sereine :

les élèves qui l’an dernier seraient restés bloqués par une difficulté ont autour d’eux de multiples outils pour avancer : le manuel, le livret de corrigés, les camarades de leur ilôt qui sont en train de travailler sur la même question, ils peuvent aussi m’appeler. Ils apprennent petit à petit à utiliser ces ressources à bon escient.

 

Ressources communes
trace individuelle

A cette table un jeune attend, la main levée. Il voit que l’enseignante est occupée, son attente se prolonge. Il évalue du regard où en est son entourage. Les autres membres du groupe semblent momentanément incapables de l’aider. Un groupe proche a terminé l’exercice qui lui pose souci. Il se saisit d’une de leurs fiches et tout en plaisantant avoue qu’il ne comprend pas. Le groupe le laisse regarder la fiche, une fille l’observe pendant qu’il en prend connaissance, elle attend ses éventuelles questions. Ici le contexte incite à se sentir chacun responsable de sa stratégie pour apprendre, à lui de voir s’il sollicite son aide.

A cette autre table un élève particulièrement participatif nous confie qu’il trouve un peu fatiguant de travailler à plusieurs.

Document élèves

En effet le groupe ne se coche l’exercice que lorsque tous les membres l’ont fini. Les enseignants l’ont constaté : les plus rapides - ceux qui s’en sortaient bien avec les cours magistraux - sont parfois frustrés par cette nouvelle organisation. Mais cette "fatigue" est le prix d’une vision démocratique de l’école : les élèves qui ont besoin d’un recours fréquent au concret et à l’action avancent ici comme les autres. D’autre part le travail collaboratif devient plus efficace avec l’expérience, et les capacités d’adaptation se développent. A l’élève qui voudrait avancer plus vite Cécile fait remarquer par exemple qu’il pourrait tenter de « booster » son binôme.
L’enseignante espère récolter les fruits de cette nouvelle méthode quand ces élèves seront en 1ère. Mais d’ores et déjà elle constate chez certains un engagement actif dans les apprentissages que d’autres enseignants n’obtiennent pas avec l’ancienne méthode, ce qui est un indice positif.


Des travaux pratiques incluant une tâche complexe

Projets en sous-groupes
et circulation du professeur

Nous assistons dans une autre classe de seconde à la dernière phase de réalisation d’un projet. Ici les capsules pédagogiques ont servi à présenter le défi (qui concerne un concours d’haltérophilie), et à fournir les éléments de cours nécessaires pour mener à bien la mission.
L’enseignant Romain Chauvière s’est formé par l’intermédiaire d’un MOOC2 à la pratique des ilôts ludifiés3, dont il s’inspire.
Il annonce le déroulement de la séance du jour :

  • les élèves doivent terminer leur travail collectif, en publier le résultat sur un espace numérique et rendre la fiche de suivi de ce projet,
  • dans le même temps l’enseignant va vérifier en passant de groupe en groupe les exercices et les compte-rendus de TP, qui faisaient partie de la liste des tâches de la séquence.

Il ajoute quelques recommandations et chacun se met à l’ouvrage.

Document élève

Dans cette salle chaque ilôt est doté d’un ordinateur de bureau. L’enseignant lui se déplace avec son ordinateur portable.

L’enseignant vérifie
et explique si besoin

Les élèves ont décidé au sein du groupe comment ils répartissaient le travail sur les 5 séances. Devant nos yeux ils s’accordent sur les étapes, s’organisent, commentent les propositions, rédigent, calculent, se relisent. Romain vérifie sur les fiches individuelles si les exercices auto-corrigés ont été faits, et demande à certain.e.s élèves « ça a été ? Tu as compris ? ».
L’évaluation formative est là complétée par ce qu’exprime le visage de l’adolescent.e interrogé.e. S’il n’est pas certain d’avoir acquis les connaissances en dépit de la méthode qu’il a mise en place, le jeune le fait savoir par sa manière de répondre à cette simple question. L’enseignant pose alors une question complémentaire pour repérer plus précisément de quoi l’élève a besoin. Selon les cas il va apporter une nouvelle explication, rassurer le jeune ou lui prescrire une action qui lui permettra de progresser.

Co-évaluation

Dans cette deuxième classe les élèves n’ont pas forcément choisi leur équipe. C’est souvent le professeur qui fait les associations, en accord avec des objectifs qui ont été présentés aux élèves : faciliter les progrès de chacun, et habituer au travail coopératif.
Chacun.e a une carte indiquant les détails de son rôle dans le groupe pendant cette séquence. Pendant les 5 séances de réalisation l’un.e était "scribe", l’autre "analyste", l’autre "chercheur", l’autre "gardien" (chargé de veiller au bon fonctionnement de l’équipe). Les fiches de suivi de projet comportent une grille d’évaluation de l’implication de chaque membre du groupe dans son rôle.

Rôle de l’élève
et co-évaluation
de son implication

A la fin du projet les jeunes s’évaluent mutuellement sur cette partie du contrat et sur l’engagement de chacun au sein du groupe.
Assumer des responsabilités et interagir, dans un collectif pas forcément choisi, sont ici considérées comme des capacités qui s’acquièrent. La co-évaluation fait partie de la méthode.

Conclusion

Les enseignants nous confirment que le travail de préparation de ces séances a été conséquent. Mais l’investissement est déjà payant, et s’amortira sur plusieurs années, disent-ils en souriant.
Nous repartons avec le sentiment que le travail d’équipe est un atout certain pour s’adapter aux nouveautés du métier, et que le fait d’observer une classe vaut bien des stages pour comprendre comment se construit une relation favorable aux apprentissages.

La fiche "expérithèque" pour en savoir plus sur cette expérimentation.

(1) Ilôts bonifiés : dispositif créé par Marie Rivoire, engageant les élèves à fournir un travail efficace entre pairs, en toute confiance

(2) (MOOC : Massive Online Open Course, cours ouvert en ligne)

(3) Ilôts ludifiés : organisation utilisant des principes issus du jeu, dans laquelle les élèves sont engagés à assumer des rôles au sein d’un groupe et relèvent collectivement des défis